Cet article est la première partie (relue et corrigée) d’un de mes dossiers paru dans le magazine L’Anspessade de février 1999. Il couvre grosso modo la première période de l’histoire du royaume d’Ecosse, du départ des envahisseurs vikings à l’avènement de Jacques IV, en 1488.
Au début du XIII° siècle, l’Ecosse est déjà dominée par les clans. Les MacLeod règnent sur la région de la côte sud de Kyle et les O’Beolan sont installés en Kintail, leur chef ayant le titre de comte, ils ont pour vassaux les MacKenzie. Sur les îles de Gigha, Barra et Colonsay sont établis les «clansmen» d’origine irlandaises, les MacNeil. Le clan irlandais MacLachlan veille sur la destinée des terres de Cowall en voisinage avec les Lamont. Au nord, dans le GlenOrchy, résident les MacGregor. Les MacLean, traditionnellement élus rois d’Ecosse, sont établis dans l’ouest, en Morven et à Mull, et les MacNaughton entre le loch Fyne et Lochawe. Le puissant clan Campbell, descendant des anciens rois d’Irlande, s’est établi près du Lochawe – Cailean Mor (Colin Mor), chef du clan Campbell et héros de la guerre contre les MacDougall, a fait bâtir sa forteresse sur l’île d’Inchconnell. Quand aux îles de l’ouest, elles sont sous la domination des MacDonald et de leur Seigneur des Iles.
Carte des clans écossais et principales batailles
LES ORIGINES DES STUART
En octobre 1263, à la bataille de Largs, le roi d’Ecosse Alexandre III (de la dynastie des Dunkeld) écrase sur terre comme sur mer les forces du roi de Norvège Håkon IV et éloigne définitivement la menace viking des côtes écossaises. Le vieux roi mourant lors du trajet de retour, son fils, Magnus VI, signe un traité de paix avec Alexandre III qui restitue à l’Ecosse les îles Hébrides et lui offre en sus l’île de Man. Il est cependant important de savoir que jamais les maîtres de ces îles, les MacDougall et les MacDonald, n’ont fait allégeance au roi d’Ecosse, aussi réticents à la suzeraineté highlander qu’à l’occupation scandinave. Il en résulte une lutte permanente des clans fidèles à la couronne (avec en tête les Campbell) contre ces clans farouchement indépendants.
Lorsque Alexandre III décède en 1286, le trône revient à Margaret, petite-fille du roi défunt et fille de Magnus VI, roi de Norvège. De son vivant, Alexandre III avait décidé que sa petite-fille devait épouser le fils du roi d’Angleterre Edouard 1er afin de réunir les deux couronnes (on imagine aisément la réaction de certains clans!) mais, hélas, la jeune fille meurt «mystérieusement» lors de son voyage qui l’amène en Ecosse. Désormais, parmi les plus sérieux prétendant à la couronne sont Robert le Bruce et John Baliol mais aucun des deux n’est d’origine celte. De racines anglo-normandes, ils possèdent de nombreuses terres en Angleterre et en France. Inévitable, la guerre éclate alors en les clans. Profitant de l’occasion, s’attribuant un rôle d’arbitre, le roi Edouard 1er d’Angleterre parvient à placer Baliol sur le trône d’Ecosse, l’imaginant plus facile à manœuvrer que le turbulent Bruce. Mais Baliol ne se montre pas aussi docile que prévu et en 1296, après avoir jeté hors d’Ecosse tous ses conseillers anglais, il signe un pacte de fraternité avec ses cousins français (édit qui est d’ailleurs toujours valable aujourd’hui). Fou de rage, Edouard 1er lève une gigantesque armée (près de 7000 fantassins et 350 chevaliers, ce qui était considérable pour l’époque) et marche vers le nord. Le 11 septembre 1297, à Stirling Bridge, il se heurte aux troupes réunies par le petit-fils de Robert le Bruce (qui répond au même nom) et le chevalier William Wallace. Probablement pris en flagrant délit de suffisance, il subit une surprenante et humiliante défaite. Le roi d’Angleterre ne tarde pas à prendre sa revanche sur les Ecossais. Un an plus tard, le 22 juillet 1298, à Falkirk, plus prudent, il bat l’armée de William Wallace, qui doit fuir en France.
William Wallace et Robert le Bruce
En 1306, avec l’appui des clans et du clergé écossais, le jeune Robert le Bruce est couronné roi d’Ecosse sous le titre de Robert 1er. Il lève une armée qu’il envoie à la rencontre d’Edouard 1er, qui n’a pas abandonné son projet de soumettre l’Ecosse et occupe une grande partie des Lowlands. Le 20 juin 1306, dans les bois de Methven, l’armée anglaise, mieux armée et mieux préparée, écrase les écossais qui fuient en désordre dans les Highlands. Les pertes sont énormes: les trois frères de Robert 1er sont tués au combat et de nombreux chefs de clan sont capturés et sommairement exécutés. Edouard 1er tient enfin sa revanche. Il va cependant rapidement déchanter. En effet, malgré la répression exercée par les Anglais, Robert 1er récupère en trois années toutes les terres perdues suite au désastre de Methven. Mieux, il envahit le nord de l’Angleterre, pille Durham et Hartlepool, et ridiculise encore plus les Anglais en chassant les garnisons des forteresses de Perth, Dundee, Dumfries, Edimbourg et Roxburgh! Le roi d’Ecosse, empli de confiance, marche alors vers Stirling, point fortifié anglais. Il rencontre l’armée anglaise à proximité de la ville, en un lieu entré dans la légende: Bannockburn. Là, le 24 juin 1314, à travers le fait d’arme le plus glorieux de l’histoire de l’Ecosse, Robert 1er le Bruce et ses gueux armés d’épieux rudimentaires mettent en déroute l’armée expérimentée et la chevalerie d’Edouard II, pourtant aguerries par des années de service en France.
On serait tenté de dire que Bannockburn marque la victoire de la résistance écossaise face à l’envahisseur anglais. La situation était cependant plus complexe que cela. Il faut savoir l’armée d’Edouard II comptaient dans ses rangs de nombreux clans highlanders, comme les Comin et les MacDougall (le fils aîné de Red Comin y trouve d’ailleurs la mort), qui n’ont jamais considéré Robert comme un prétendant légitime. On peut cependant affirmer sans trop de risque que Bannockburn marque une date importante dans l’identité nationale des clans des Highlands, quatorze ans avant la reconnaissance officielle du royaume d’Ecosse par Edouard II.
Robert 1er, premier vrai roi d’Ecosse, meurt de la lèpre en 1329. Son fils David n’ayant que 4 ans, la régence est confiée à son cousin Thomas Randolph, comte de Morlay et héros de Bannockburn. Mais il ne fait pas l’unanimité et de nombreux chefs de clan, menés par Edouard Baliol (le fil de John), complotent et finissent par se lever contre le royaume. L’armée royaliste, dirigée par Donald, comte de Mar (Morlay est en effet décédé entre temps) est pulvérisée par une force insurrectionnelle comprenant un fort contingent anglais à Duplin Moor, près de Perth. Dans la foulée, Edouard d’Ecosse est couronné à Scone. Cela ne va guère durer. En effet, les écossais ne vont pas supporter longtemps ce roi qui accorde, selon eux, trop de faveurs à ses alliés anglais. La révolte explose. Edouard 1er d’Ecosse est capturé, destitué et jeté à moitié nu hors des frontières d’Ecosse. Un acte humiliant qui n’est pas sans conséquence. Vexé de voir ainsi traité son allié, le roi Edouard III d’Angleterre lance une campagne vers le nord. Sa flotte met en déroute un corps expéditionnaire français et son armée bat les écossais à Halidon Hill, dans le Northumberland, en juillet 1333. L’indépendance de l’Ecosse est à nouveau menacée.
Le nouveau régent, Robert Stewart (petit-fils de Bruce) est à peine âgé de 17 ans mais non dénué de courage. Il organise la résistance face aux Anglais et aux partisans de Baliol – parmi lesquels on compte le puissant clan MacDonald. Faisant preuve de patience et de prudence. Robert Stewart profite qu’Edouard III est très occupé en France (nous sommes en pleine guerre de cent ans) pour récupérer petit à petit les territoires perdus, dont les importantes places d’Edimbourg et de Stirling. Puis il rappelle son oncle David II, réfugié en France, qui prend sa suite dans la direction du pays. En 1346, quand les français sont vaincus à Crécy, David II lève une armée et marche sur l’Angleterre. Piètre général, il est battu à plate couture et capturé à Neville’s Cross, près de Durham, dans le Northumberland. Mais, en fait, pour la destinée de l’Ecosse, cette défaite n’est pas une mauvaise chose. Les écossais se voient en effet débarrassés de ce roi gras, fainéant et incompétent, remplacé par un irréductible highlander: Robert Stewart. Dans un premier temps, Edouard III d’Angleterre neutralise temporairement Robert Stewart en offrant une rente princière à Edouard Baliol et en libérant, contre rançon, David II en 1357. Mais quand David II décède en 1371, le trône revient enfin à celui qui l’a toujours mérité le plus: Robert Stewart, fils de Marjory, soeur de David II, et de Walter Fitzalan Stewart, grand sénéchal héréditaire d’Ecosse. Avec Robert II, la glorieuse dynastie des Stuart était née.
Edouard II et John Baliol
LA GUERRE DES CLANS
Robert II possède une qualité qui est aussi son plus gros défaut: sa générosité. Il accorde trop de faveurs, sous forme de fiefs, surtout aux clans de l’ouest. Si son but est de s’assurer la fidélité de ses sujets, cela crée aussi un gros déséquilibre politique. Le clan MacDonald d’Islay acquiert durant cette période trop de puissance. Sous son règne, cela n’entraine pas de gros problèmes, mais Robert III, son fils, affiche une totale incompétence à gérer le royaume et abdique en 1399, abandonnant la régence à son frère, Robert Stewart d’Albany – son fils, le futur Jacques 1er, est encore trop jeune pour accéder au trône. L’ambiance devient houleuse et la lutte de pouvoir s’intensifie. En 1406, Jacques 1er tombe dans les mains des Anglais dans des circonstances étranges, alors que, de son côté, les MacDonald, leaders des clans des îles, négocient dans leur coin avec Henri IV d’Angleterre et signent en 1408 un pacte défensif. Des dissensions se créent, la situation devient critique. Cela ne va pas tarder à exploser.
En 1411, une violente discorde éclate entre Alexander Stewart, comte de Mar, frère du régent, et le chef du clan MacDonald, Donald d’Islay. Le désaccord – ou plutôt le casus belli – porte sur un héritage. Le roi d’Angleterre décide d’intervenir pour défendre son «allié» et lève dans les îles une armée de 10,000 hommes composée des MacLean, MacLeod, Cameron et MacKintosh. Après avoir débarqué dans les Highlands, les islesmen battent les MacKay et les Fraser et se dirigent vers Aberdeen, à la rencontre d’une petite armée dirigée par le régent. La bataille fratricide a lieu le 24 juillet 1411, à Harlaw on the Ury, près d’Aberdeen. L’affrontement est terrible et il restera dans l’Histoire sous le nom du «massacre d’Harlaw». S’achevant dans la confusion, la bataille n’apporte aucun résultat décisif mais les Islesmen, épuisés, doivent se retirer. Déçu, le fier Donald d’Islay, seigneur des Iles, finit par accepter la défaite et rentre dans son fief. Presque un signe de soumission. Le 24 juillet 1411 est donc une date très importante car c’est le jour où les Stewart, qui ne sont issus d’aucun clan, ont affirmé leur puissance et imposé leur domination.
Edouard III et Jacques 1er
A la mort d’Albany, le nouveau régent (Murdoch, frère du précédent), obtient la libération de Jacques 1er. En 1424, Jacques 1er, éduqué en Angleterre, arrive donc à Perth fort d’un bon niveau de connaissance dans les domaines de l’économie et de l’art militaire. Il sera un grand roi, c’est certain, mais sa tache est ardue. Pour affirmer son pouvoir, il se montre impitoyable, allant même jusqu’à faire exécuter ceux qu’il juge responsables de sa captivité: la famille Albany. Son beau-père, Murdoch, comte de Lennox, et ses deux fils sont décapités sur Heading Hill, à Stirling. Le troisième fils de Murdoch, James Mor Stewart, est le seul qui réussit à fuir. Cette méthode est efficace jusqu’en 1427, quand il apprend que l’on complote encore contre lui. Rusé, il parvient à piéger une cinquantaine de chefs de clan à Inverness. Parmi eux, Alexandre d’Islay, le fils de Donald (qui croupira en prison pendant deux ans). Un peu plus tard, il fait assassiner par un Campbell le vieux Ian Mor McDonald (frère de Donald d’Islay) et évite une insurrection dans l’ouest en condamnant à mort, pour meurtre, le naïf James Campbell.
A sa sortie de prison, Alexandre d’Islay est bien décidé à faire payer son royal cousin le prix d’une telle humiliation. Après avoir levé une armée de 10,000 islesmen, il met le siège devant la forteresse d’Inverness, qui ne tarde pas à tomber. En représailles, Alexandre la fait raser. Rapidement informé de la situation, Jacques 1er réagit. Après avoir convaincu les vassaux d’Alexandre (les MacKenzie et les Cameron) de l’inutilité de la lutte, le roi d’Ecosse, à la tête d’une puissante armée, met définitivement un terme aux ambitions d’Alexandre d’Islay à la bataille de Lochaber, en juin 1429. Pour Alexandre, c’est retour à la case prison. Cependant, deux ans plus tard, les îles bougent à nouveau. Dirigés par Donald Balloch, fils de Ian Mor (assassiné, on s’en souvient, sur les ordres de Jacques 1er) et cousin d’Alexandre d’Islay, les MacDonald et les MacKean se lancent dans une vendetta contre ceux qu’ils considèrent comme des traîtres. A Inverlochy, près du loch Linnhe, ils écrasent et sont sans pitié envers les MacKenzie, les Cameron et les Chattan. Les annales parlent de 1,000 morts du coté des royalistes. Evidemment, l’énergique Jacques 1er ne reste pas inactif. Pendant que les MacDonald et leurs alliés saccagent les terres de leurs ennemis, il lève une nouvelle armée, si puissante qu’à l’annonce de son approche, l’armée des islesmen se désintègre. Abandonné par ses vassaux, Donald Balloch fuit en Irlande.
Jacques II n’a que six ans quand son père est assassiné en 1437. La régence échoit tout d’abord au comte de Douglas puis, à sa mort en 1439, à William Crichton, lord d’Edimbourg, un personnage peu recommandable qui n’hésite pas à assassiner de sa main les deux jeunes fils de Douglas, en présence du futur roi. En 1446, quand Jacques II monte sur le trône d’Ecosse, la situation est un peu confuse. Les Douglas, Jean d’Islay (le fils d’Alexandre) et le puissant comte de Crawford ont monté une coalition contre lui. Aussi habile que son père, il parvient à se débarrasser, par l’assassinat, de l’ainé des Douglas puis mène son armée face à ce que l’on appelle les «Black Douglases». Le 1er mai 1455, à Arkinholm, près de Langholm, le roi écrase l’ennemi. Si le leader de la rébellion, Jacques Douglas, comte de Douglas, parvient à fuir le champ de bataille pour se réfugier en Angleterre, ses trois frères son tués alors que Crawford et Jean d’Islay prêtent allégeance à la Couronne. La résistance est (au moins pour le moment) totalement matée.
La bataille de Bannockburn (23 juin 1314)
LA RÉSISTANCE DES MACDONALD
Désormais conforté sur son trône, Jacques II peut se pencher vers d’autres affaires, et notamment sur ce qui se passe de l’autre coté de la frontière. En 1460, il prend parti pour le roi Henri IV d’Angleterre qui est engagé dans la guerre des Deux Roses. Avec son nouvel «ami» Jean d’Islay, il met le siège devant Roxburgh, ville frontalière tenue par les York. Il est alors brutalement tué par l’explosion accidentelle de l’un de ses canons lourds. La mort soudaine de Jacques II provoque un vent de panique en Ecosse. Son fils, Jacques III, n’a que neuf ans; il faut donc désigner un régent. C’est sa mère, Marie d’Edmont, qui se voit confier cette mission (elle la mènera d’ailleurs fort bien jusqu’en 1463, date de sa mort). Essayant de profiter de la situation, l’opportuniste Jean d’Islay change de camp et négocie avec les Lancastre, victorieux des York, et Edouard IV, nouveau roi d’Angleterre, qui a bien entendu une dent contre les Stuart. Jean d’Islay trouve des alliés dans les exilés Jacques Douglas (en Angleterre) et Donald Balloch (en Irlande). Mais, mal étudié, le complot est éventé et Douglas est arrêté.
Alors qu’Edouard IV, rancunier, fait tout pour causer des désordres dans le royaume d’Ecosse, Jacques III gouverne à sa manière, que nombre de ses vassaux juge injuste. En 1475, il arrive, avec l’aide son lieutenant Colin d’Argyll (un Campbell, clan très fidèle au trône depuis Robert 1er), a prendre sa revanche sur Jean d’Islay. Avec l’aide de nombreux seigneurs, dont il s’achète l’affection, il parvient à lui confisquer toutes ses terres de l’intérieur et s’empare même du comté de Ross. Pour sauver ce qui lui reste, Jean d’Islay est contrait de s’agenouiller devant le roi. Révolté par de tels agissements, ne prenant pas conscience que la soumission de son père n’est que pure feinte, Angus II MacDonald, fils de Jean d’Islay, prend les armes contre Jacques III... et contre son père, qui dirige l’armée royale! A la tête d’une armée d’Highlanders, Angus s’empare d’Inverness, non sans avoir défait toutes les armées qui sont envoyées contre lui. En 1480, la flotte de galères d’Angus II McDonald rencontre et bat celle de son père à la bataille de la baie sanglante, au large de la péninsule d’Ardnamruchan. Angus fait prisonnier son père, mais aussi la plupart des chefs de clan MacLeod et MacLean. Désigné leader du clan MacDonald et Seigneur des Iles, Angus II McDonald pardonne alors à Jean d’Islay et à ses lieutenants. Pour Jacques III, il s’agit là d’un sacré revers, même s’il conserve toutes les possessions prises aux MacDonald.
Jacques III et Edouard IV
Le 11 juin 1488, à la bataille de Sauchieburn, près de Stirling, où il fait de nouveau face à une insurrection de highlanders dirigée, entre autre, par Archibald Douglas, comte d’Angus, Jacques III est égorgé, victime d’un complot fomenté par les partisans de son fidèle lieutenant, Colin d’Argyll, et de nombreux membres de sa famille excédés de voir sa piètre manière de conduire le royaume. Son fils, Jacques IV, monte sur le trône…