Le siège de Furiani est un solide ouvrage de plus de sept cent pages construit autour de l’un des plus célèbres faits d’armes des guerres de Corse. A travers ce roman historique, l’auteur Marc Piazza ouvre une fenêtre temporelle sur l’année 1763 (du 5 juin au 24 juillet), alors que l’armée génoise assiège le village de Furiani, tenu par une petite garnison du Royaume de Corse et une poignée de volontaires. Là, le romancier se penche à nous raconter le déroulement des évènements, à la manière d’un historien, mais il consacre aussi sa prose à la construction d’un récit bigarré, mêlant les éléments narratifs de la chronique paysanne et ceux du texte introspectif. Ainsi, avec ses personnages d’Orsu Santu, le jeune Bastiais réfugié à Furiani, et du Père Augustin, ancien officier français reconverti moine franciscain et fasciné par la personnalité de Pascal Paoli, il nous offre deux points de vue complètement différents, et entreprend de nous donner une vue générale sur les us et coutumes insulaires de l’époque.
Le siège de Furiani peut donc être appréhendé de plusieurs manières. La première, la plus évidente à mes yeux, serait de le considérer comme un ouvrage historique teinté de vulgarisation. Et, vu sous cet angle, force est de dire que Le siège de Furiani apparait comme le fruit d’un admirable travail de synthèse opéré par un documentaliste aussi passionné que consciencieux. Essentiellement bâtie sur des documents d’époque (lettres de Pascal Paoli, d’Alerius Matra, et autres personnalités des Lumières), l’œuvre de Marc Piazza est un exceptionnel condensé d’éléments historique, et un puits d’enseignements pour celui qui chercherait à approfondir ses connaissances sur la période – ou se rafraichir la mémoire. Evidemment, cet imposant, et très instructif, aspect documentaire (on n’est pas devant un précis de bataille, puisque l’assaut sur Furiani est traité en quelques pages, mais plus sur un panorama général de la situation politique en 1763) a son prix qui se traduit par un côté très «scolaire» avec un grand nombre de citations, d’extraits de documents, d’annotations et de parenthèses. Pas de quoi effrayer le plus humble des universitaires mais surement un peu rébarbatif pour le lecteur lambda.
C’est peut-être pour cette raison que Marc Piazza – conscient du fait que son livre devait explorer d’autres horizons pour séduire un public plus large? – a choisi d’introduire plus de vie dans son oeuvre, en développant les histoires d’Orsu Santu et du Père Augustin, deux personnages chargés de séduire, de divertir, le lecteur. Mais c’est aussi deux occasions pour Marc Piazza de nous faire visiter la région de Furiani (avec de longs passages consacrés à la description des paysages environnants, lors de balades bucoliques), telle qu’elle se présentait au XVIII° siècle, et de nous donner une idée des mentalités de l’époque ou, comme de nos jours, tout n’était pas noir ou blanc. Par exemple, on découvre ainsi, lorsque le récit fait une parenthèse sur la jeunesse d’Orsu Santu, une ville de Bastia, capitale de Gènes en Corse, et son complexe canevas de clivages politiques, idéologiques et… ethniques. Une situation qui se reproduit à petite échelle dans le microcosme furianais, ou la suspicion rode, entraînant l’isolement des populations considérées comme «suspectes». Marc Piazza ne se contente donc pas de nous décrire la matière, mais aussi les esprits. Enfin, soucieux de donner le plus de relief possible à ses héros, témoins actifs du siège mais également de leur temps, Marc Piazza, à la manière du roman populaire, leur crée des amis, et même des amours.
Je ne peux que respecter, et saluer, cette louable intention. Malheureusement, dans le cas présent, je trouve que la sauce ne prend pas. Du moins, pas souvent. Ajoutées à un compendium historique extrêmement riche (c’est incroyable le nombre d’informations que contient ce livre!), la gentille histoire d’Orsu Santu et les introspections philosophiques (qui exploitent, il est vrai, les pensées de l‘époque des Lumières) du père Augustin ralentissent le récit et égarent – voire endorment – le lecteur. La démarche pédagogique est évidente mais, au lieu de rafraîchir et d’alléger un texte autrement trop scolaire, ces «tranches de vie», de nature souvent très naïves (on est parfois à la limite du roman jeunesse, ce qui amène un aspect décalé), entraînent l’effet inverse. De plus, on a l’impression que l’auteur, dans ces moments, force son style d’écriture, qui, par sa nature rigoureuse et très descriptive, se prête plus au documentaire qu’à l’émotion. Ce qui n’est pas fait pour rendre le texte plus digeste. Alors, reste à savoir si, en entreprenant cette démarche fédérative, Marc Piazza n’a pas pris un trop gros risque, qui est celui de s’aliéner deux lectorats aux aspirations bien différentes. J’espère sincèrement que non, car il ne le mérite vraiment pas. Personnellement, si j’ai parfois un peu souffert à la lecture des aventures d’Orsu Santu le brave, je ne regrette pas d’avoir tenu jusqu’au bout tant Le Siège de Furiani est riche en informations pour l’amateur d’Histoire… et les descendants des familles de ce village qui, en cette an de grâce 1763, mirent en échec l’armée de la Superba Repubblica.
Ma côte: 4/5
Le siège de Furiani
Un roman historique de Marc Piazza
745 pages
Paru aux éditions Anima Corsa (Octobre 2012)
Prix conseillé: 28€