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Tous les voyageurs ayant effectué un séjour en Thaïlande pour d’autres raisons que les paillotes balnéaires de Phuket ou les night-clubs de Bangkok s’accordent à dire que le parc d’Ayutthaya, rendez-vous incontournable des amateurs d’Histoire et des passionnés d’art et de culture asiatiques, est l’un des plus extraordinaires sites historiques du monde. Il y a deux ans, j’ai eu la chance de pouvoir découvrir Ayutthala au cours d’une longue visite et, comme tous les gens ayant franchi l’enceinte de cette magnifique cité, j’ai été impressionné par la magnificence des lieux et l’atmosphère magique qui se dégage de ces pierres qui, jadis, composaient l’une des plus belles villes du monde et la capitale d’un puissant royaume, avant qu’elle ne soit détruite au XVIII° siècle par les envahisseurs Birmans.

Fondée par le roi Ramathibodi 1er en 1350, Ayutthaya fut, durant quatre siècles, la capitale du plus grand royaume du Siam, un royaume qui, à son apogée, couvrait un territoire correspondant approximativement à la Thaïlande actuelle. Jusqu’à sa destruction en 1767 par les troupes du roi birman Hsinbyushin, le puissant royaume d’Ayutthaya vit se succéder un grand nombre de dirigeants prestigieux, et certains d’entre eux atteignirent même le statut de héros légendaire. Parmi eux, une femme, Somdet Phra Sri Suriyothai, l’épouse du roi Maha Chakkraphat, célèbre personnage (l’équivalent de notre Jeanne d’Arc ou de reine Boadicée pour nos voisins d’Outre-manche) dont la monumentale statue domine le lieu (présumé) où elle est héroïquement tombée. Le film La reine guerrière raconte l’histoire de cette femme exceptionnelle.

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Sorti dans les salles thaïlandaises en 2001 (où il connut un énorme succès), et directement en DVD deux ans plus tard en France, La reine guerrière se voit aujourd’hui honoré d’une nouvelle édition DVD, plus conforme à son standing (chez Rimini) et disposant d’une version thaï sous-titré en français (je déconseille fortement la version française où l’actrice M.L. Piyapas Bhirombhakdi se voit affubler d’une voix ridicule évoquant l’insupportable Nelly dans La petite maison dans la prairie). Produit par Francis Ford Coppola et réalisé par Chatri Chalerm Yukol (le diptyque Kingdom of War) pour un budget de 400 millions de baths (environ 15 millions de dollars), ce film à grand spectacle est une fresque historique grandiose qui mêle avec élégance éléments légendaires et faits authentiques. Un blockbuster asiatique intéressant à plus d’un titre. Surtout si l’on a envie d’en savoir plus sur l’histoire du Siam, pays toujours énigmatique aux yeux des occidentaux.

D’une grande précision historique, le récit s’étend de 1528 à 1548. Dés les premières images, le métrage dévoile ses ambitions: séduire le public par l’exploitation de ce personnage romantique et par de somptueuses et fidèles reconstitutions. Durant l’ouverture, pendant que la caméra remonte le fleuve en suivant la majestueuse flotte royale, le narrateur en voix off nous présente les particularismes du royaume d’Ayutthaya: une autorité centrale, dirigée par le roi des rois et établie à Ayutthaya, et de nombreuses provinces autonomes administrées par des proches de la famille royale. La réalisation, luxueuse, dresse progressivement un superbe tableau des lieux. Un pays riche, une population bigarrée où se croisent paysans, soldats de l’armée royale et mercenaires portugais (le Portugal a établi des comptoirs commerciaux au Siam dés le début du XVI° siècle), des palais somptueux où fourmillent serviteurs, conseillers et favorites, des parties de chasse à dos d’éléphant, bref un décor superbe, à l’exotisme envoûtant.

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Le scénario introduit également dans le récit une romance: l’amour impossible entre Suriyothai et son cousin, le seigneur Pirenthoratep, gouverneur d’une province du nord et futur chef des armées du roi. Une occasion de (re)découvrir le gout du public thaïlandais pour les histoires d’amour un peu kitch (ah, ces gros plans fixes sur ces visages rayonnant d’amour!) qui rappellent nos vieux romans-photos ou un volet de Sissi Impératrice. Force est de dire que c’est mignon mais parfois un peu niais. Heureusement, cette romance ne devient pas trop envahissante, une grand partie du film voyant les deux amoureux éloignés par leurs positions sociales et la distance qui sépare Ayutthaya, épouse fidèle et mère attentive, et le royaume vassal de Phitsanulok. Le métrage se concentre plus à nous conter les intrigues de palais (riche en complots et assassinats – c’est pire qu’à Rome où à la cour des Médicis !) et les multiples conflits que doivent gérer les trois rois qui se succèdent durant cette période de vingt ans – comme la rébellion de la reine de Chang Mai – et il s’achève avec la lutte contre l’envahisseur birman. Bref, l’on se rend compte que ça ne rigolait pas tous les jours au Pays du Sourire.

La reine guerrière est donc une fresque historique forte de ses nombreuses reconstitutions de batailles, qui mettent en lumière les spécificités de l’art de la guerre en Asie au XVI° siècle. Une science militaire qui combine les tactiques médiévales universelles (carrés de piquiers, guerriers armés de sabres chargeant en désordre, armures de demi-plates), les technologies modernes (arquebusiers portugais et asiatiques, canons primitifs) et quelques éléments exotiques, comme les canons à main montés sur les éléphants de guerre ou ces chevaliers aux pieds nus. Riches en figuration et bénéficiant d’une belle réalisation, les scènes de bataille assurent leur part de spectaculaire. On peut seulement regretter que Chatri Chalerm Yukol aient décidé de donner plus de théâtralité à la mort de Suriyothai en tournant la séquence – et les suivantes – au ralenti. Aussi inutile qu’indigeste.

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Si le film ne manque pas de bons moments et de passages très instructifs, l’amateur d’Histoire militaire appréciera plus particulièrement les dernières vingt minutes de métrage, consacrés à l’attaque d’Ayutthaya par la redoutable armée du roi birman Tabinshwehti (personnage un brin diabolisé par le film, on n’est pas loin du ridicule Xerxès de 300). Cela commence par l’assaut sur un fortin gardant la route de la capitale, avec une superbe charge d’éléphants et des nuées de fantassins ennemis se ruant sur des fortifications légères. A noter que cette scène propose le seul gag du film, autrement très sérieux. Autant dire que le spectateur est très surpris. Fou rire assuré. Puis, arrivent les renforts avec l’armée du roi et de la reine, suffisamment tôt pour sauver les défenseurs du fortin (du moins, ce qu’il en reste), ce qui va entraîner une nouvelle bataille.

Ce deuxième combat se déroule dans les bois environnants, où l’armée birmane, par un faux mouvement de repli a attiré les troupes de Chakkraphat. En première ligne, sur son éléphant de guerre, se tient la reine Suriyothai et sa fille, la princesse Boromdilok. La reine-consort a insisté pour accompagner son époux dans cette ultime tentative pour sauver le royaume et, sous son casque et sa cuirasse, elle est difficilement identifiable. Au cours de ces passages, l’on apprend que contrairement aux pratiques indiennes, le cornac se tient à l’arrière de l’éléphant. Le combattant se place devant, derrière la tête, alors qu’un conducteur (ici, la princesse Boromdilok) fournit les indications de direction au cornac au moyen de petits étendards à franges (la classe, quoi !). Quand son éléphant charge et entre dans les lignes ennemies, Suriyothai se retrouve séparée de son armée et face à l’éléphant du vice-roi de Prom, qui ne la reconnaîtra que quand, facilement vaincue (contrairement à ce que peut indiquer le titre français, Suriyothai n’était pas une reine guerrière, juste une femme courageuse accomplissant son devoir) et mortellement touchée, elle chutera de son éléphant, perdant son casque. Le film reste alors fidèle à la légende; voyant leur reine adorée tomber, soldats, officiers et princes du Siam, poussés par une soif de vengeance, sont pris d’une terrible rage guerrière, renversent le cours de la bataille… et mettent en déroute l’armée birmane.

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Le monument dédié à la reine Suriyothai, à l’entrée du parc historique d’Ayutthaya

Au final, personnellement, malgré quelques longueurs (le film dure quand même 140 minutes!), j’ai bien apprécié La reine guerrière. Le ton parfois un peu naïf qui, suivant l’humeur du moment, peut faire sourire ou agacer, et l’étrangeté de quelques choix esthétiques sont largement compensés par une luxueuse réalisation, de belles séquences de combat, et un non négligeable aspect pédagogique.

Ma côte: 4/5

La reine guerrière (Thaïlande – 2001)
Titre original: Suriyothai
Genre: Historique
Durée: 140 minutes
Un film de Chatri Chalem Yukol
Avec: plein d’acteurs aux noms imprononçables

Disponible en DVD chez Rimini éditions – avril 2014

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