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Même si, parfois, je ne reste pas insensible aux épanchements contemplationistes d’un Terrence Malick (je suis fan, allez savoir pourquoi, de son Nouveau Monde) ou aux évasions introspectives d’un Nicolas Winding Refn (j’adore Drive), en matière de cinéma, je suis principalement quelqu’un que l’on pourrait qualifier de primaire. L’émotion et le plaisir, je les trouve autant dans le pur produit de série B, voire le nanar, que dans le cinéma d’art – ou le «vrai» cinéma, comme le définissent les «vrais» critiques. Souvent, et je l’avoue avec humilité, l’appréhension du Septième Art en tant que «sport cérébral» destiné à des cercles d’initiés m’ennuie. Rapidement, d’ailleurs, on m’en a gentiment écartés, mes hôtes se rendant compte que j’étais en leur compagnie plus pour l’hospitalité de leurs buffets que pour la pertinence de leurs analyses. Bref, je suis plus cinéphages que cinéphile, un spectateur lambda qui a bouffé, certes, des milliers de films – et dans des registres très variés – et non pas un critique de cinéma. Je n’ai d’ailleurs jamais revendiqué ce statut.

Tout ça pour dire que l’étiquette arty et tendance de Darren Aronofsky, son statut de jeune génie de Brooklyn, je m’en tamponne un peu le coquillard. J’aime bien Black Swan et The Wrestler, c’est vrai, mais The Fountain m’a plus ennuyé qu’envouté, tout comme Requiem for a Dream, quand à Pi, son discours pompeux m’a particulièrement gonflé. Une relative retenue envers ce réalisateur porté aux nues par nombre de théoriciens et de grands spécialistes du cinématographe qui fait que j’ai abordé le visionnage de Noé, Kolossal blockbuster biblique, sans aucun préjugé et, de plus, sans avoir subi d’influences préalables – n’ayant guère eu de retours, qu’ils fussent positifs ou négatifs. Un regard vierge de toute perversion, porté par un spectateur (je parle de moi, hein?) qui espérait tout de même découvrir un spectacle renouvelant le genre. Style «Allez Darren, surprend-moi! ». De ce côté là, je n’ai pas été déçu. Par contre, pour le reste…

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Noé, dernier représentant de la tribu des Gentils, est un hippie végétalien qui survit dans un monde post-apocalyptique en se nourrissant de mousses et des racines, et en suçant des cailloux. Avec son épouse et ses trois fils, Noé erre dans des terres désolées tout en prenant bien soin d’éviter les villes, car habitées par les membres de la tribu des Méchants. Une existence de nomade difficile et sans confort qui ne l’empêche pas d’afficher une barbe soigneusement taillée et, tout comme les autres membres de sa famille, une garde-robe de première qualité (mais où trouvent-ils les étoffes?) et une remarquable hygiène corporelle (sans eau ni savon, et encore moins de lait corporel, avouez que cela tient de l’exploit… ou du miracle). Il est bon de noter que, à contrario, les Méchants, eux, ce sont des crados (et en plus, ils mangent de la viande!). Le strict régime alimentaire de Noé n’est cependant pas sans conséquence sur son comportement. En effet, à trop consommer de lichens et de champignons, ce brave homme, en plus de débiter quotidiennement des propos sibyllins, parlant d’Eden et de Serpent, à son auditoire familial, est devenu sujet aux hallucinations et aux rêves étranges. Dans l’un de ses cauchemars récurrents, il voit la Terre entière disparaître sous les eaux. Noé est troublé… Quand il en déduit que ces rêves sont des avertissements divins, annonciateurs d’une grande lessive purificatrice! Et là, paf, il comprend enfin ! C’est évident, il lui faut construire un bateau géant pour abriter toutes les races animales – car, ne l’oublions pas, Noé est un hippie, il est donc écolo – qui ne sont pas responsables de la folie des hommes. Oui, mais comment faire? Pour fabriquer un bateau, il faut du bois et de la main d’œuvre (bon marché, de préférence, car Noé est fauché). Heureusement, il a ses contacts.

Tout d’abord, comme beaucoup de gosses dans la mouise, Noé suit une tradition toujours en cours de nos jours: il fait appel à ses vieux. Ici, en l’occurrence, c’est Mathusalem, qui vit en ermite dans une montagne verdoyante (qui n’intéresse personne… Bizarre…). Il est un peu gâteux, ce brave Mathusalem, mais il est Gentil et il sait endormir les enfants en bougeant simplement les doigts (un savoir perdu que doivent regretter aujourd’hui bon nombre de jeunes parents en manque de sommeil). De plus, comme Panoramix le druide, Mathusalem possède des glands magiques. Enfin, il n’en a qu’un, mais il est super puissant. Ce gland, une fois planté dans le désert va faire naitre une forêt luxuriante et créer un fleuve apte à guider tous les animaux du monde (un couple de chaque espèce – les heureux élus sont tirés au sort?) vers l’arche. OK, voilà pour le bois. Reste la main d’œuvre. Cette assistance ouvrière, ainsi que le savoir-faire, Noé va les trouver auprès des Veilleurs, ces anges déchus, sorte d’improbable croisement entre un vieux Transformer déglingué et un Ent fossilisé. Ces Veilleurs, désireux de se racheter auprès du Créateur, acceptent d’aider Noé, qui affirme obéir à la volonté divine.

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Evidemment, la construction de l’arche ne va pas passer inaperçu de côté des Méchants crados, qui squattent désormais la forêt. Noé va donc devoir protéger l’arche contre la cupidité du roi autoproclamé Tubal-Cain, en plus de gérer quelques problèmes et conflits familiaux qui contrarient fortement cet homme, brave certes, mais à l’esprit assez étriqué et obsédé par un objectif: finir son bateau. En effet, son second fils, ressentant quelques besoins légitimes et n’ayant que sa main droite à disposition, passe une difficile fin d’adolescence alors que sa fille adoptive, Ila, se désespère d’être inféconde (heureusement, le vieux Mathusalem va passer par là… Euh, ce n’est pas ce que vous croyez, hein?). Un enchainement de situations imprévues qui vont semer le doute dans l’esprit de Noé, le persuader que même les derniers représentants de la tribu des Gentils ne méritent pas d’être sauvés. Et quand vient la pluie, Noé se retrouve devant un terrible choix: épargner sa famille ou obéir à ce qu’il pense être la volonté du créateur. Lui seul peut en décider.

Original, Noé? Certes. De ce côté, rien à redire, Darren Aronofsky confirme sa réputation de réalisateur imprévisible. Cette relecture très libre de la Bible mais aussi du Livre d’Enoch ne manque pas de surprise, à commencer par son inattendu, et très prononcé, aspect heroic fantasy. Mais est-ce que cela suffit à faire de Noé un bon film? Sincèrement, je ne le pense pas. Entre la faiblesse du thème (la notion de libre-arbitre), qui n’est pas plus approfondie ici que dans une production Disney, et l’aspect parfois ridicule de cet univers post-apo de pacotille (on se croirait parfois dans une production spaghetti des années 80, le numérique en sus), le métrage de remplit pas du tout les conditions aptes à satisfaire ses ambitions. J’ai parfois eu la sensation de me retrouver devant une sorte de projection chrétienne du délire scientologue de John Travolta, lorsqu’il offrit au monde ébahi l’un des plus grands nanars du cinéma, Terre, champ de bataille.

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Mais, bon, tout n’est pas à jeter dans Noé et comparer sans nuance le film d’Aronofsky à une ridicule messe Hubbardienne serait vraiment chose trop injuste. Quelques éléments non négligeables compensent les faiblesses précédemment citées. La réalisation, tout d’abord, qui, surtout dans la deuxième moitié de métrage, restitue de belle manière la démesure de l’imagerie biblique, si bien traduite, et ancrée dans l’imaginaire collectif, par le cinéma de Cecil B. DeMille et les peintres de la Renaissance. Certains plans, mémorables, composent de magnifiques tableaux vivants, comme celui où, foule désespérée et hurlante, les derniers survivants de l’humanité, dans de vains efforts pour sauver leurs vies, s’accrochent à un promontoire rocheux entouré par des eaux bouillonnantes. Saisissant. Tout au long du film, la recherche esthétique est omniprésente. Cela se traduit parfois par un spectacle incongru, parfois même un peu niais, mais visuellement, force est de dire que c’est souvent impressionnant et surprenant, Aronofsky ne se contentant pas d’aligner les plans numériques et les effets spéciaux mais cherchant toujours l’effet photographique le plus pertinent, et le plus séduisant. Cela m’entrainerait presque à qualifier Noé de magnifique spectacle vide de matière. Si j’étais quelqu’un de méchant ou d’aigri. Mais je ne suis ni méchant, ni aigri.

Autre point fort de Noé: le casting. Fichtre, que Russell Crowe est bon! Pourtant, ce rôle de patriarche aveuglé par son attachement envers le Créateur, si propice au surjeu ou au mélodrame, n’était pas si évident à interpréter. Le comparatif n’allait pas manquer d’être fait avec ces monstres du cinéma que sont John Houston ou Charlton Heston, qui ont dessiné le profil du patriarche biblique. La pression devait bien être présente. En fait, ce comédien attachant s’en tire de très belle manière (et fait aussi bien que ses ainés), en employant le ton juste, et fait de Noé un personnage crédible – malgré un environnement qui l’est beaucoup moins -, qui dégage une aura de puissance mais aussi de la fragilité. Autre bonne surprise, Emma Watson. L’ancienne camarade d’Harry Potter se voit ici confier un rôle clé, difficile et ingrat, demandant une bonne dose de talent dramatique. Elle s’en sort finalement très bien, sans faute de goût, son physique tout à fait commun (elle est loin d’entrer dans les canons de beauté actuels) rendant le personnage d’Ila encore plus véridique. Près de 15 ans après Requiem for a Dream, Jennifer Connelly retrouve Darren Aronofsky qui lui a confié ici le rôle de la docile Naameh (non inventé pour l’occasion car le nom de la femme de Noé n’est pas cité dans la Bible, c’est dire l’importance du personnage), alias madame Noé. Un personnage de mère et d’épouse assez effacé qui ne lui permet d’exprimer son talent qu’en de rares exceptions. Dommage, elle mérite mieux. Pour ce qui est de l’adversité humaine, le rôle de Tubal-Cain, roi des Méchants – de la lignée des Fratricides – a été confié à l’acteur anglais Ray Winstone, qui remplit pour l’occasion parfaitement sa tache: à savoir en faire des caisses dans le rôle du méchant – tout en laissant apparaître un trait de caractère qui fait la force, et le particularisme, de la race humaine (histoire de rendre le personnage plus utile). Enfin, il y a le cas Anthony Hopkins. Là, une nouvelle fois, le comédien cède à son péché mignon et se perd dans des démonstrations étranges mélant cabotinage et clownerie, une manie qui fait que j’ai parfois le plus grand mal à le supporter. Dans le cas présent, il fait de Mathusalem un original, une sorte de Professeur Tournesol en version magicien dont chaque blague dissimule une métaphore pleine de sagesse. Franchement, je n’adhère pas.

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Noé a peut-être déçu les fans du cinéma de Darren Aronofsky. Il a peut-être aussi déçu les fans de cinéma tout court. Mais, bon, Noé n’est pas non plus un film honteux. On est loin du désastre Planète des Singes ou Dune, pour ne citer que deux «véritables artistes» accusés par certains d’avoir trahis (le mot est fort) leur public et leur art après avoir succombé aux chimères hollywoodiennes. Réalisé par un autre, on aurait même peut-être catalogué Noé comme un respectable divertissement, réussi dans le domaine du spectaculaire et armé d’un gentil débat moral ayant pour sujet principal le libre-arbitre. Pas de quoi fouetter un chat. Ni un cinéaste.

Ma côte: 2.5/5

Noé (Noah, USA, 2013)

Un film réalisé par Darren Aronofsky

Scénario de Darren Aronofsky et Ari Handel

Avec: Russell Crowe (Noé), Jennifer Connelly (Naameh), Anthony Hopkins (Mathusalem), Ray Winstone (Tubal-cain), Emma Watson (Ila), Logan Lerman (Cham), Douglas Booth (Sem)