robert e lee perrin

« La perte malheureuse qui a privé l’armée […] de son compétent général n’est plus amèrement déplorée par personne que par son présent commandant. Celui-ci espère que son absence sera temporaire et bien qu’il soit déterminé à donner le meilleur de ses compétences pour accomplir son devoir, il sent qu’il sera incapable de remplir sa tâche à moins de recevoir le soutien cordial de chacun des officiers. » Cette lettre du 31 mai 1861, à la modestie incroyable, rédigée sur le champ de bataille de Fair Oaks, marque un tournant dans l’extraordinaire destinée de Robert E. Lee, officier d’état-major jusque là décrié par l’opinion public pour son fiasco l’année précédente en Virginie Occidentale, et nommé par Jefferson Davis, après la blessure sévère de Joe Johnston, général de l’armée de Virginie.

Mais « Grand-mère Lee », comme le surnommait les journalistes, va rapidement faire taire toutes les critiques et notamment une presse sudiste acerbe qui en avait fait son souffre-douleur, pour devenir rapidement l’idole de la jeune nation confédérée et un sujet de cauchemar pour l’état-major de l’Union. En quelques jours, Lee redresse une situation pourtant jugée catastrophique, sa maigre armée de 30,000 hommes aculée contre les premiers faubourgs de Richmond faisant face à une armée nordistes de plus de 100,000 hommes. Robert E. Lee, descendant direct d’un héros de la Révolution Américaine lié par le mariage à la lignée de George Washington, qui détestait plus que tout cette guerre fratricide, ne se démonte pas… et étonne le monde. Menant ses troupes de victoire en victoire, ce génie dans le domaine de la manœuvre et de l’exploitation optimale des ressources va non seulement sauver la Virginie mais aller jusqu’à menacer Washington, jusqu’au brutal coup d’arrêt de Gettysburg.

C’est l’extraordinaire destinée de cet homme au véritable profil finalement peu connu que nous conte à travers ce livre Vincent Bernard. On y (re)découvre bien entendu l’insaisissable général, au caractère doux et mesuré, symbole de la gentry sudiste, dans son exercice de chef d’armée (une partie très intéressante, construite essentiellement à partir de son quartier-général) mais l’intérêt de l’ouvrage réside principalement dans sa conception globale, qui nous offre une véritable biographie faite d’extraits de lettres personnelles (souvent très surprenantes), de textes rédigés par ses pairs et des témoignages de ses contemporains et amis. Un véritable trésor de connaissance concernant un homme qui n’écrivait que très peu sur lui-même et qui ne se confiait réellement qu’a son épouse Mary, qu’il adorait plus que tout au monde.

Au fil des pages, à travers le récit d’une jeunesse difficile (sa prestigieuse famille traversant une grave crise financière), d’une vie étudiante extrêmement brillante à West Point, d’une première partie de carrière militaire où il n’est guère reconnu pour ses mérites (ce qui le mine, sans que cela ne l’offusque), le lecteur découvre la véritable personnalité de Robert E. Lee, personnage fascinant. Un homme qui est resté toute sa vie très attaché à sa famille (qui lui rendait bien), doté d’une grande noblesse d’âme et dont le déroulé de carrière militaire sera finalement freiné par un excès d’humilité et des sens de l’honneur et du devoir frôlant la pathologie. Mais, fait plus rare, Vincent Bernard nous dévoile aussi l’autre côté de la personnalité de Robert E. Lee, un gentleman sudiste, certes humaniste (pour son temps) mais à l’état d’esprit souvent désuet, plongé dans un monde en pleine explosion. Un nouveau monde qu’il a du mal à appréhender. Un « homme du 18ème siècle », diront certains à son sujet, qui avait du mal à se positionner dans les débats concernant son temps, comme la délicate question de l’esclavage (cultivant des idées abolitionnistes, il n’était pourtant pas un maître des plus commodes), et qui contrairement à l’idée générale que l’on pourrait se faire de lui, était souvent en proie au doute et aux paradoxes.

Un livre exceptionnel sur un personnage exceptionnel.

Ma côte: 5/5

Robert E. Lee, la légende sudiste
Un livre de Vincent Bernard
Editions Perrin, avril 2014

Prix indicatif: 24€