Mû par une pulsion tenant à la fois du masochisme et de l’historophagie (terme bien connu désignant une folle passion pour tout ce qui tient à l’Histoire de France, de Navarre et d’Ailleurs), je me suis relancé dans la folle entreprise qu’est la lecture de La guerre de trente ans, gigantesque condensé arial 8 de lettres, de ponctuation, de paragraphes, de dates et de noms, réuni dans un triptyque de près de 2000 pages. Pourquoi ? Aucune idée, d’autant plus que cette œuvre dont le poids pourrait sans difficulté servir de projectile à un obusier de l’armée du Roy, je l’avais déjà ingéré il y a quelques années dans le cadre de mes errances estudiantines. En fait, dernièrement, en rangeant ma bibliothèque (si, si, ça m’arrive), je suis tombé sur le tome 1, dissimulé derrière de vieux volumes du Mémorial des Corses. L’ayant ouvert, j’ai entamé la lecture de l’introduction, comme ça, par pur reflexe…
Depuis, je ne me suis plus arrêté.
Ce n’est pas que la prose qui compose La guerre de Trente Ans soit envoûtante. Loin de là, l’auteur Henri Sacchi, pourtant romancier à ses heures, appartient à la vieille école. D’aucun pourrait même considérer son ouvrage comme plutôt indigeste. Ses lecteurs les plus accrochés aux traditions et à l’hermétisme pédagogique pourraient, eux, le qualifier d’ouvrage pour « spécialistes » – comme si une œuvre universitaire se devait d’être rébarbative. C’est un fait, pour arriver au terme de sa lecture, le néophyte intéressé par la guerre de trente ans se doit d’être persévérant et patient (si vous êtes amateur de fantasy, imaginez le Silmarillion étendu sur 2000 pages et vous aurez une vision assez précise du défi). Je ne compte pas les fois où je suis revenu plusieurs fois en arrière dans ma lecture, égaré au milieu d’une jungle de noms et de dates. Mais, croyez-moi, le jeu en vaut la chandelle, car ces livres cachent un véritable trésor de connaissances sur le XVIIème siècle et aborde le conflit d’une manière totalement originale, avec un point de vue panoramique sur ses multiples aspects.
En France, la grande majorité des œuvres consacrées à cette terrible période de l’histoire de l’Europe (qui sont tout compte fait peu nombreuses) utilise le système de l’historien Jules Michelet (1978-1874) qui, pour plus de clarté, a divisé ce demi-siècle en plusieurs périodes événementielles. Un choix arbitraire, encore communément usité aujourd’hui qui facilite l’étude mais qui a pour principal inconvénient de simplifier à l’extrême l’écheveau historiques qui compose une guerre conséquence de multiples affaires et prises de conscience, politiques, religieuses et sociales (le casus belli convenu, la défenestration de Prague, n’est en fait qu’un élément déclencheur parmi d’autres). De mon point de vue (et là, je rejoins l’auteur dans son raisonnement), La guerre de trente ans, en plus d’être une guerre « politico-religieuse » est une guerre « d’évolution » – et non pas une révolution. L’implosion d’un système obsolète héritier de la renaissance pour un début de mutation vers une Europe proto-moderne, qui fait entrer dans l’équation des composantes jusque là ignorées.
Henri Sacchi, à travers son œuvre monumentale, qui fait aujourd’hui office de référence (et c’est bien mérité), a pratiqué avec La guerre de trente ans un exercice de décryptage. Pour nous éclairer, il remonte jusqu’à la moitié du XVIème siècle et la fin du règne de Charles-Quint. Il dresse en premier lieu un riche tableau de la situation politique et religieuse de cet empire aux pieds d’argile, qui ne va pas tarder à trébucher. Intransigeance luthérienne, contre-réforme agressive, renversement d’alliances, émancipation des couches sociales intermédiaires… Un travail de synthèse admirable, effectué sans réel effort de vulgarisation (d’où une lecture ardue), qui va perdurer jusqu’à la dernière page.
La guerre de trente ans, contrairement à ce que pourrait faire croire son intitulé, n’est pas un ouvrage axé sur les opérations militaires de cette première moitié de siècle. Du moins, ce n’est pas que cela. Mais il ne faut pas que cela décourage les amateurs d’histoire militaire, car le travail d’Henri Sacchi permet une meilleure compréhension de toutes ces campagnes qui ont ravagé l’Europe, et plus principalement l’Allemagne. Et personnellement, cette lecture m’a permis d’appréhender le conflit d’une manière nettement moins superficielle, et certaines questions concernant l’aspect opérationnel de quelques campagnes y ont trouvé réponse. J’ai réalisé qu’il était impossible de comprendre (plus ou moins) les différents éléments stratégiques, grands tactiques et opérationnels de cette guerre sans s’intéresser de près aux motivations et aux sensibilités philosophiques des protagonistes.
Je finirai ma petite chronique en affirmant que La guerre de trente est une œuvre indispensable (un « must have », dirait les d’jeuns) à tous ceux qui sont intéressés par l’histoire de l’Europe et qui s’interrogent sur les raisons et les influences de ce conflit. A tous eux qui pensent que La guerre de trente ans n’est qu’une « grande » guerre de religion, Henri Sacchi répond avec ses arguments de poids, et fait de ce conflit l’un des événements majeurs de l’Histoire de l’humanité.
Ma côte : 5/5
La guerre de trente ans, tome 1 : L’ombre de Charles-Quint
La guerre de trente ans, tome 2 : L’empire supplicié
La guerre de trente ans ; tome 3 : Cendres et renouveau
Des livres d’Henri Sacchi
Paru aux éditions L’Harmattan (1991- réédition corrigée en 2003)