der grosse koenig

En 1942, tout le peuple allemand se doit de soutenir l’effort de guerre. La propagande nazie use de tous les moyens pour séduire et entraîner un pays à faire tous les sacrifices, notamment en portant haut l’étendard du pangermanisme et en entretenant le culte de la race supérieure. Le cinéma, bien entendu, tient alors une place de choix dans l’arsenal médiatique mis au point dans les services dirigés par Paul Joseph Goebbels, un homme qui, force est de le reconnaître, est en avance sur son temps dans le domaine de la communication. Cependant, ce qui se pose comme une méthodologie malsaine de manipulation des masses et d’endoctrinement n’accouche pas que d’enfants malades, certaines œuvres, volontairement ou non, parviennent à se démarquer suffisamment des canons pourtant bien rigides des obligations administratives pour offrir au public le plus perspicace une œuvre cultivant quelques qualités. Il suffit de gratter un peu le verni « rouge et noir » qui enveloppe ces films pour y découvrir quelque intérêt. Le grand roi, sorti dans les salles du Reich en 1942, fait partie de ceux-ci.

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Alors, bien sûr, Le grand roi met à l’honneur l’esprit de sacrifice. Et pas qu’un peu. On y suit ainsi l’histoire d’un jeune sous officier qui tombe amoureux et épouse la fille d’un meunier avant de tomber au champ d’honneur, lors de la bataille victorieuse de Torgau (le 3 novembre 1759). Qui plus est, il pousse son dernier souffle sous les yeux d’un roi reconnaissant. C’est certainement la partie la plus mélo, et donc la moins intéressante, du film. Cependant, l’argument majeur développé par Veit Harlan (réalisateur sans personnalité mais appliqué, influencé par expressionnisme allemand, qui réalisera après guerre quelques films d’aventures mineurs) est le concept de prédestination, avec un Frédéric II qui n’est rien d’autre que la projection du führer en mode despote éclairé (mais, ici, vous vous en doutez, guère philosophe). Le choix de la défaite de Kunersdorf (12 aout 1759) pour débuter le métrage, drame où Frédéric le Grand perd plus de 40,000 hommes, n’est donc pas anodin. Ce fait historique est utilisé par Veit Harlan pour mettre en évidence l’invincibilité d’un peuple allemand fort de son bon droit, un peuple qui se relève toujours. Sauvé in-extremis de la capture par l’héroïsme d’un soldat, ayant perdu son armée, le roi de Prusse se met à douter, pense même au suicide, et la fidélité certains de ses proches s’effrite (ils seront logiquement puni ; un avertissement du Furher à ses courtisans?). Mais, et il ne pouvait en être autrement, la Fortune va lui sourire (la mort de la tsarine Elisabeth fait sortir la Russie de la guerre) et son habileté stratégique va prendre le dessus sur les Autrichiens, un ramassis d’incompétents poudrés.

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Une grande partie du film se déroule au Sans-Souci, temple du rococo, où Frédéric II converse avec ses conseillers et établit ses plans de bataille. Des passages forts en verbiages qui valent surtout pour les efforts de reconstitutions, avec notamment des superbes costumes confectionnés par des costumiers… français, et le talent de la star allemande d’avant-guerre Otto Gebühr. L’acteur, qui a principalement été choisi parce qu’il connait bien son personnage (qu’il a de nombreuses fois interprété dans les années 20-30), affiche une bonne vingtaine d’année de plus que n’avait Frédéric le Grand en 1759 mais force est de dire qu’il est sacrément convaincant, proche des portraits de l’époque… et très impressionnant quand Veit Harlan joue des clairs-obscurs sur son visage. Certains plans sont d’ailleurs devenu célèbres.

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Pour ce qui est des batailles, le film nous offre une longue description de Kunersdorf (avec de très beaux plans aériens sur le champ de bataille) et des aperçus de Liegnitz (une poignée d’images) et Torgau. Comme souvent dans les films de l’époque qui ne manquaient pas de figurants (il suffisait de puiser dans les casernes de réservistes), les reconstitutions sont grandioses quoiqu’ici, un peu brouillonnes (j’ai a un moment perdu un peu le fil) car le cinéaste alterne entre les scènes de combat et le drame qui frappe la petite meunière. De toute manière, aucun amateur d’Histoire militaire, plutôt sevré de spectacles traitant de cette période des Lumières, n’oserait faire la fine bouche devant ces masses impressionnantes de combattants, soigneusement alignées et manœuvrant avec un grand souci d’historicité. Mention spéciale aux imposantes batteries Autrichiennes, qui ne doivent rien à celles des grands films rendant hommage aux épopées Napoléoniennes.

Ma côte : 3/5

Le Grand Roi (Allemagne – 1942)
Der große König
Un film de Veit Harlan
Scénario de Veit Harlan, Gerhard Menzel, Hans Rehberg
Avec : Otto Gebühr (Frederic II), Kristina Söderbaum (Louise), Gustav Fröhlich (Sergent Treskow), Hans Nielsen (Niehoff), Hilde Körber (tsarine Elisabeth), Paul Wegener (général Czernitscheff )