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Avec la reine Brunehaut, qui fut sa plus farouche adversaire durant la plus grande partie de son règne, Frédégonde est l’une des personnalités les plus marquantes de la période mérovingienne, et l’une des plus passionnantes dames de l’Histoire de France. Issue du milieu paysan, cette femme ambitieuse réussit la prouesse de s’imposer à la cour de Chilpéric 1er, l’impétueux roi de Neustrie, pour finalement, après avoir éliminé toute concurrence, s’asseoir sur le trône au côté de ce petit-fils de Clovis. A la mort de son époux, elle dirigea même longuement le royaume, assurant la régence de son fils, le futur Clotaire II. Frédégonde, de fait, peut se poser comme une très fidèle incarnation d’une dynastie qui n’a rien a envier, dans le domaine de l’intrigue et du meurtre, à celles des Julio-claudiens ou des Borgia.

Frédégonde arrive sur la scène de l’Histoire de France vers les années 560, alors que le royaume des Francs saliens, qui a brièvement été réunifié à la fin du règne de Clotaire 1er, est de nouveau divisé entre quatre de ses fils (rapidement trois après la mort prématurée de Caribert 1er). Chilpéric 1er, futur époux de Frédégonde reçoit le nord de la France, le royaume de Soissons (la Neustrie). Et c’est à la cour de Chilpéric que débarque Frédégonde, en qualité de simple servante d’Audovère, la première femme de Chilpéric 1er. Usant de son charme, cette serve ambitieuse et intelligente devient rapidement la concubine du roi. Un premier pas vers le pouvoir de cette femme dont l’histoire nous est ici raconté par Virginie Greiner et Alessia de Vincenzi dans ce nouveau diptyque de la série Reines de Sang.

Dans son Histoire des Francs, l’historiographe Grégoire de Tours nous dresse un terrible portrait de Frédégonde. Son avis est évidemment orienté, l’évêque de Tours étant un contemporain proche de Sigebert 1er, roi d’Austrasie, frère et rival de Chilpéric 1er. Cruelle, manipulatrice, licencieuse, rustre, la Frédégonde de l’Histoire des Francs affiche tous les vices au profil d’une Brunehaut qui, finalement, si l’on regarde l’histoire dans son ensemble ne valait guère mieux… sauf qu’elle était issu d’une filiation royale (elle était la fille du roi des Wisigoths). Evidemment, faute d’autres sources (les Chroniques de Frédégaire, sur cette période, ne sont rien d’autres qu’une compilation des textes de Grégoire de Tours), il convient de considérer ces descriptions comme fiables. Tout en gardant une certaine réserve.

La scénariste de Frédégonde la sanguinaire, Virginie Greiner,a eu moins de scrupules et a récupéré le personnage de Frédégonde pour mettre en avant ses aspects les plus malsains. Une diabolisation, artifice dramatique, qui fonctionne parfaitement dans cette bande dessinée – par pur contraste avec un environnement policé. Pourquoi pas, nul ne peut affirmer que Frédégonde n’était pas un monstre. Cependant, du point de vue historique, on pourrait regretter que dans ce tome 1, mis à part Chilpéric 1er et sa diablesse de concubine, tous les protagonistes affichent des profils assagis par rapport à l’historiographie et aux connaissances que l’on a de la période. En réalité, on conspirait et on assassinait à qui mieux-mieux dans les palais, et le « maléfique » couple de Neustrie n’avait pas le monopole de la perfidie et du parjure.

Ce premier opus raconte l’ascension de Frédégonde, de son statut de servante jusqu’à la mort/ le meurtre de Galswinthe, seconde épouse de Chilpéric 1er et sœur aînée de Brunehaut (qui, pour le moment, nous est présentée sous un visage fichtrement sympathique). Le scénario suit une trame fidèle aux récits historiques, et n’est donc pas dénué d’intérêt pédagogique – d’autant plus que l’histoire de la dynastie mérovingienne fait rarement le sujet des ouvrages grand public. Le lecteur candide y découvrira un royaume des Francs assez loin de l’image barbare qu’on lui attribue parfois, oubliant que ce sixième siècle incarne le passage entre la haute antiquité et la période féodale. Une époque charnière hélas souvent mésestimée. Il me tarde de voir comment les auteurs vont concevoir le tome 2, qui, s’il coure jusqu’à la mort de Frédégonde, risque d’être très riche en événements (cela me semble d’ailleurs impossible à traiter en 50 planches). Bref, on ne peut que féliciter les auteurs de l’initiative.

Visuellement, le coup de crayon arrondi et réaliste d’Alessia de Vincenzi nous offre le fruit d’un beau travail de recherche documentaire, tant dans les décors que dans les costumes. Je préfère d’ailleurs largement les aspects « reconstituteurs » de l’œuvre à tous ces gros plans sur le visage de Frédégonde, qui nous dévoilent un personnage à la limite de la démence. Cela, à mon avis, la diabolise de trop et la prive de finesse. C’est bien entendu un avis très subjectif, car il est évident que le choix des deux artistes était de faire de Frédégonde une véritable « méchante ». Dans le sens littéral du terme. Et de ce point de vue, c’est réussi. Par contre, rien à redire sur le flux narratif, qui est fluide et agréable à suivre, un confort qui fait de cette bande dessinée une œuvre accessible à presque tous les lectorats (il y a quelques nus, mais rien de bien grave).

Ma côte: 3.5/5

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FREDEGONDE LA SANGUINAIRE, TOME 1
Série Les Reines de Sang
Scénario de Virginie Greiner
Dessins d’Alessia de Vincenzi
Encrage de Luca Sotgiu
Couleur de José Luis Rio
Parue aux éditions Delcourt (octobre 2014)