Personnalité centrale de la Renaissance italienne, Sampiero de Bastelica, ou Sampiero Corso (1498-1567) reste encore, de nos jours, encore peu connu du grand public. Même en Corse, pourtant son île natale. En effet, si son nom sonne familier aux oreilles des insulaires, une rapide enquête nous permet de prendre conscience que peu d’entre eux, hormis quelques universitaires, sont capables de le resituer dans son contexte historique et de dresser un portrait, même flou, de l’homme politique et du soldat. Une injustice qu’ont voulu réparer le scénariste Frédéric Bertocchini et le dessinateur Eric Rückstühl à travers un diptyque édité chez DCL et tout logiquement intitulé… Sampiero Corso.
Un contexte historique d’ailleurs assez complexe, reflet d’une Europe très éloignée de ce qu’elle sera deux siècles plus tard, et qui, appréhendé avec trop de distance, pourrait faire passer les agissements du condottiere comme des actes contre-nature. Comment ? Il a œuvré pour les Français ? Il a frayé avec le Turc ? Il a assassiné son neveu, étranglé SA FEMME? Mais quelle horrible personne ! serait tenté d’affirmer le curieux peu exigeant avant de se tourner vers des Corses qu’il juge plus dignes d’intérêt, comme l’illustre Pascal Paoli (ce même curieux qui oublie d’ailleurs volontiers le royaume Anglo-Corse, guère plus glorieux). Pourtant, Sampiero Corso fut l’un des rares Corses de l’Histoire à revendiquer haut et fort ses racines, et le premier a réellement souhaiter libérer les Insulaires de leurs chaines étrangères. En l’occurrence, ici, la République de Gènes. Par tous les moyens.
Frédéric Bertocchini, scénariste de cette bande dessinée historique, n’en est pas à son premier essai dans le genre. En habile spécialiste, il effectue un encore une fois un subtil écrémage pour offrir au public une biographie complète de cet homme à l’extraordinaire destinée, concentrée sur une centaine de planches ! Au regard de la longue carrière politique et militaire de Sampiero Corso, la réussite tient presque de l’exploit. On aurait pu craindre quelques désagréables raccourcis, voire omissions ; il n’en est rien et ce récit peut sans nul doute composer un incontestable support pédagogique pour faire découvrir non seulement le personnage mais aussi ce qu’était la Corse de la Renaissance. Alors, bien entendu, l’auteur a dû procéder à des coupes et des ellipses, mais le récit n’en souffre jamais et est riche de nombreux enseignements, sans être pour autant rébarbatif pour le grand public car riche en prouesses guerrières – Frédéric Bertocchini a privilégié l’action, bien entendu.
C’est Eric Rücksthül qui s’est vu confier la conception graphique de l’œuvre. Bon, je dois l’avouer, je ne suis absolument pas fan du très personnel coup de crayon de ce dessinateur – un amoureux sincère de la Corse et des Corses – mais il compte nombre de partisans, est reconnu de ses pairs et est récipiendaire de nombreuses récompenses. Mon manque d’appréciation est donc purement subjectif. Un simple ressenti. En fait, dans le domaine de la bande dessinée historique, je préfère un style plus photo-réaliste, moins axé sur la « pantomime » dans la retranscription des mouvements et à la physiognomonie moins prééminente. Par contre, ici, la rencontre entre style graphique et contenu se fait sans douleur – Sampiero Corso ne manque pas de charisme -, on même dire qu’il se produit une sorte de fusion paradigmique entre l’univers graphique de Rücksthül et la Renaissance de Sampiero, une période qui, on le sait, était riche de nombreuses expérimentations dans le domaine de l’art et de la perspective. Alors, pourquoi pas.
Ma côte : 4/5
Sampiero Corse, tome 1 : Le colonel
Scénario de Frédéric Bertocchini
Dessin d’Eric Rückstühl
Paru aux éditions DCL (décembre 2012)
Sampiero Corso, tome 2 : Vannina d’Ornano
Scénario de Frédéric Bertocchini
Dessin d’Eric Rückstühl
Paru aux éditions DCL (juin 2014)