Alexandre Nevski est un film historique de propagande soviétique sorti dans les salles en 1938. Il nous conte, de manière évidemment bien romanesque, les exploits d’Alexandre Iaroslavitch, grand-prince de Vladimir et prince de Novgorod, qui a assuré « l’indépendance » de sa nation face aux menaces suédoises et teutoniques.
En réalité, ce film situe son récit dans un contexte historique à la fois complexe et flou. Complexe car, en ce XIIIème siècle, la Russie en temps que nation n’existait plus réellement depuis la fin de l’hégémonie Kiévienne en 1204. Son territoire était divisé en de nombreuses principautés, parfois rivales. Héritière de la Rus’ de Kiev, la principauté de Vladimir-Souzdal était l’une des plus importantes de ces entités politiques, d’une part parce que la cité de Vladimir était la plus grande et la plus prospère du nord de l’ex Russie Kiévienne, d’autre part parce que sa situation géographique la plaçait relativement à l’abri des ingérences étrangères, très fortes tout au long des XII° et XIII° siècles (mongols, tatars, coumans et Tchernigoviens principalement). Une situation qui en faisait, avec Novgorod, l’une des principales places commerciales du monde rus’ (devant l’ancienne capitale Rostov). Cependant, comme toutes les autres, la principauté de Vladimir-Souzdal était soumise à la domination des khans mongols. Et, dans les faits, Alexandre Nevski n’était qu’un vassal du khan de la Horde d’Or.
Ensuite, si l’existence réelle d’Alexandre Nevski ne fait aucun doute, il subsiste peu de textes contemporains citant ses principaux exploits. Par exemple, il n’existe aucun témoignage détaillant la victoire de la Neva (qui valut au prince, alors encore « simple » prince de Novgorod, sur surnom), qui s’est déroulé le 15 juillet 1240 sur les bords du fleuve de même nom. Encore plus contrariant, cette bataille ne figure nulle part dans les textes suédois. On doit donc se fier aux textes russes qui citent cette bataille comme un événement majeur de l’histoire de la Russie et on évolue autant dans le domaine de la légende que de l’Histoire.
Par contre, ce dont on est sûr, c’est que par son dynamisme, non seulement le grand-prince a réussi à maintenir l’orthodoxie comme religion d’état (il est d’ailleurs l’un des principaux saints de l’église orthodoxe russe) mais il est parvenu à inspirer le plus grand respect à ses suzerains mongols – Batu, grand khan de la Horde d’Or lui donnera même l’investiture de la principauté de Kiev en 1249. Par cet acte à la forte signification politique, Vladimir Nevski recréait pendant quelque temps l’ancienne Russie, ce qui en fait également un héros national, en plus de religieux.
Le film de Sergueï Eisenstein se concentre principalement sur l’année 1242, la période où Alexandre Nevski se voit rappeler par les boyards de Novgorod (il avait été mis à l’écart, car trop influent politiquement) avec comme mission celle d’arrêter une croisade menée par les chevaliers Teutoniques et les Porte-glaives. Il s’agissait d’une expédition militaire aux buts tant religieux (l’armée du Grand-maître de l’Ordre ; Hermann de Dorpat, était accompagnée par le légat du pape, de nombreux évêques, et avait reçu la bénédiction du Saint Empire) que politique, puisque les noblesses lithuaniennes, estoniennes et danoises qui composaient une partie de l’ost ne cachaient pas quelques ambitions territoriales. La plus grande partie du métrage est donc consacrée aux quelques opération précédent la bataille (la prise de Pskov par les Teutoniques) et une reconstitution de la bataille du lac Peïpous, délivrée le 5 avril 1242, sur le lac gelé du même nom.
Tout au long du métrage, le réalisateur omet sciemment de présenter les composantes militaires alliées pour mettre en avant les forces teutoniques (importantes, il est vrai) afin de les diaboliser. De l’autre coté, il « oublie » que l’armée de Vladimir Nevski comptait un imposant contingent mongol et affichait une forte supériorité numérique (les historiens s’accordent pour fixer un rapport de 1 contre 50 !). A l’écran, on se retrouve donc avec une opposition directe entre russes et allemands, aux consonances modernes et intrinsèquement peu historiques. Même si en 1938, le Reich et l’URSS n’étaient pas (encore) des adversaires, le message est clair. On est au final devant une œuvre chargée d’un patriotisme belliciste déclaré, prédicateur d’un dramatique futur.
Si le message peut sembler trop orienté, le spectacle vaut vraiment le coup d’être visionné. Usant d’un style expressionnisme fortement appuyé, s’appuyant sur l’extraordinaire bande musicale de Prokofiev, Sergueï Ensenstein nous offre une succession de magnifiques tableaux vivants où les Teutoniques s’affichent comme de redoutables anges blonds exterminateurs, massacrant les populations, brulant les réfractaires et les « sorcières », et détruisant les objets de culte orthodoxes. Leurs actes sont accompagnés par une macabre mélodie religieuse générée par un organiste papal au regard illuminé. A coté de cela, il n’hésite pas à introduire par moment cet étrange humour slave, un peu slapstick, qui fait encore aujourd’hui l’originalité et une partie du charme du cinéma russe (bon, c’est vrai, cela peut aussi agacer)
La bataille sur la glace s’appuie à la fois sur la présence d’une imposante figuration mais aussi sur la virtuosité d’Ensenstein. La charge de la chevalerie teutonique, menée sur la musique monumentale de Prokofiev, est l’un des plus grands moments de l’histoire du cinéma. Cette partie est également intéressante du point de vue historique. En effet, si les forces engagées sont mal représentées, l’engagement suit assez fidèlement les faits réels. On y voit la charge des Teutoniques qui traversent le lac gelé, qui subissent quelques pertes suites aux barrages d’archers, suivi de l’impact sur la rive où sont retranchés les russes. Puis quand les lignes russes commencent à plier, Vladimir fait donner la réserve sur les flancs. Le combat fait rage sur la glace, qui, piétinée par les chevaux, finit par céder. Plus lourde, les chevaleries teutoniques et alliées sombrent dans les eaux gelées. Si le Grand-Maître parvient à fuir, il perd là plus de 400 chevaliers (dont de nombreux, mais en minorité quand même, appartiennent à l’ordre). C’est très spectaculaire et on accepte volontiers les quelques scènes, au rendu très kitch, mettant en vedette les personnages principaux (deux jeunes boyards intrépides qui cherchent à mesurer leur courage pour obtenir la main d’une belle russe). Oui, parce qu’il fallait bien une petite histoire dans la grande. Ou pas.
Alexandre Nevski (URSS – 1938)
Titre original : Aleksandr Nevskiy
Un film de Sergeï Eisenstein, assisté de Dmitriy Vasilev
Scénario de Sergeï Eisenstein, Nikolai Okhlopkov, Andrei Abrikosov
Avec : Nikolai Cherkasov, Nikolai Okhlopkov, Andrei Abrokosov, Dmitriy Orlov, Vasili Novikov
Disponible en DVD chez Bach Films (19 octobre 2005)