Combat de cuirassiers à Lobositz
Combat de cuirassiers à Lobositz

La bataille de Lobositz a pour intérêt majeur d’être la première bataille de la guerre de Sept Ans, mais elle brille également par l’insolite de son déroulement chaotique et par le relief très accidenté du champ de bataille, très éloigné des standards généralement choisis par les généraux de l’époque.

UN PEU D’HISTOIRE

A la fin de la guerre de Succession d’Autriche, durant laquelle une coalition  prenant comme prétexte la pragmatique sanction (1) tenta de dépouiller l’Autriche, le roi de Prusse réussit à conserver la Silésie, au dépend de Marie-Thérèse.

En fait, Frédéric II, alors jeune roi de Prusse, avait profité de la grande confusion dans laquelle se trouvait l’Europe au début du conflit, pour envahir sans préavis cette riche province qu’il convoitait depuis longtemps. Marie Thérèse, prise à la gorge, n’obtint la paix qu’au prix de la Silésie, cédée à la Prusse, mais durant les dix années d’après-guerre, sa principale préoccupation fut de trouver des alliés afin de tenter de la récupérer. C’est ce qu’elle parvient à obtenir en 1755, en scellant des alliances solides avec les France et la Russie.

Dés lors qu’il est avisé de ce retournement d’alliances, Frédéric II lance ses troupes sur la Saxe, pays neutre mais ami de l’Autriche, riche en hommes et en numéraires, éléments dont il aura grand besoin pour entretenir son armée en campagne. Il espère, par cette opération coup de poing,  pendre de vitesse les généraux saxons et capturer l’armée ennemie avant son regroupement. Malheureusement pour lui, l’armée saxonne lui file entre les doigts et se réfugie dans le camp retranché, réputé imprenable, de Pirna. Dépité, Frédéric installe le siège devant Pirna, et attend des renforts qui sont déjà en route.

De leur côté, les Autrichiens ne sont pas restés inactifs. Ils ont rassemblé une armée, mise sous les ordres du feldmarshall Browne, et dès 1756, elle se met en marche pour secourir les Saxons assiégés. Apprenant qu’une armée ennemie est entrée en Saxe, le roi de Prusse envoie quelques éclaireurs qui lui apprennent qu’une forte concentration de troupes impériales fait mouvement dans les plaines près de Lobositz, une agglomération du bord de l’Elbe. Il envoie alors à sa rencontre un fort parti de cavalerie et la division d’infanterie du prince Ferdinand de Brunswich. Ils se voient charger la tache de tourner les positions ennemies par la droite, au pied du mont Homulka. Dans le même temps, il fait installer des batteries d’artillerie sur les hauteurs du mont Homulka, qui entament un dialogue d’artillerie avec les pièces lourdes autrichiennes positionnées dans la vallée.

Le 1er octobre 1756, vers sept heures, Frédéric II ordonne à von Brunswich-Bevern de déployer sa division d’infanterie sur la gauche et de dégager le pied de la colline Lobosch, puis au lieutenant-général von Kyau d’y lancer une charge de la brigade de cavalerie von Penavaire. Cette brigade est composée des meilleurs éléments de cavalerie prussiens, avec ses unités de Gardes du Corps et les cuirassiers du régiment d’élite Prince von Preußen. Le « must » de la cavalerie lourde du roi de Prusse.

Cette fière cavalerie s’élance alors dans le brouillard matinal. Par cette opération, Fredéric II espère obtenir des informations concernant l’ennemi, qu’il ne parvient pas à avoir en raison de brumes persistantes.  Au milieu d’une véritable purée de pois, la cavalerie Prussienne percute de plein fouet une contre-charge autrichienne menée par des régiments de cuirassiers et de carabiniers. Le choc est puissant, le combat acharné, mais attaqués de flanc par les dragons d’Erherzoy Joseph, les cavaliers de la brigade von Penavaire doivent replier et se réfugier derrière une ligne de cavalerie formée par les dragons de Bayreuth de la brigade Truchfetz.  Forts de leur supériorité, les Autrichiens entament une percée et dévoilent même quelques batteries d’artillerie dissimulées qui prennent pour cibles les dragons de Bayreuth, qui sont contraints, eux aussi, à se retirer.

Ces deux unités de cavalerie en désordre tentent alors de se réorganiser sur les contreforts du mont Homulka, et sous la direction di maréchal Gezler. Cependant, exaspérés par le pilonnage incessant qu’ils subissent depuis leur repli, les fiers cavaliers s’emportent… et chargent en direction des lignes ennemies !  Un mouvement qui prend la forme de folie suicidaire quand les lignes de cavalerie sont accueillies par les feux nourris des régiments de Croates et de Grenadiers qui les attendaient en bon ordre. Déjà décimée, la cavalerie prussienne est alors achevée par deux charges de cuirassiers autrichiens sur leurs flancs. Les survivants de ce massacre, en déroute, sont ralliés par Frédéric II en personne, qui les installe au centre, comme écran à l’avance de son infanterie.

Une avance d’infanterie qui arrive au pied de la colline Lobosch. Là, les lignes prussiennes se heurtent à des éléments Croates, renforcés par des bataillons de ligne et de grenadiers appartenant au corps de Lacy. Après un échange de feu, les bataillons prussiens de la division von Brunswich-Bervern, appuyés par quelques régiments de la division von Kleist, parvient à nettoyer, à la force des baïonnettes le pied de la colline des forces autrichiennes, qui replient en désordre.  Vers 13.00 heures, Frédéric II, confiant, quitte le champ de bataille, et confit le commandement au maréchal Keith.

Le prince Ferdinand de Brunswich-Luneberg obtient alors du maréchal Keith l’autorisation d’appuyer sur la droite l’attaque d’August Wilhelm von Brunswich-Bevern, et dirige sa division vers le village de Lobositz. Entre 15.00 heures et 16.00 heures, de violents et infructueux affrontements ont lieu pour la possession du village, défendu par des troupes fraiches de l’avant-garde autrichienne.

A la nuit, l’armée impériale se retire, laissant Frédéric maître du champ de bataille.

Cette bataille n’est certainement pas une grande victoire tactique pour le roi de Prusse, mais il y obtient ce qu’il recherchait, le repli de l’armée autrichienne et la conservation de la route de Pirna en sacrifiant un minimum de pertes (environ 1700 fantassins et 900 cavaliers).

Le 15 octobre, asphyxiée dans Pirna, l’armée Saxonne capitule.

map lobositz 1756

COMMENTAIRES

Il ne faut pas s’ôter de l’esprit que ces deux armées s’étaient déjà affrontées une dizaine d’années auparavant et avaient pu, par la même occasion, prendre connaissance de leurs forces et de leurs faiblesses réciproques.  Comme c’est souvent le cas, il se produisit ce que l’on appelle communément un « effet miroir », chaque parti développant ses forces en rapport avec ce qu’elles avaient découvert sur l’ennemi. Les Autrichiens furent les principaux bénéficiaires de ce processus.

Malgré leur supériorité numérique et une nette amélioration qualitative depuis la guerre de Succession d’ Autriche, l’infanterie de Marie-Thérèse reste encore moins efficace que celle du roi de Prusse, plus disciplinée. De plus, l’armée était minée par des tracas de commandement et de préséance, qui entrainaient des difficultés dans la coordination des attaques. Un problème alors insoluble au sein de l’état-major autrichien. Par exemple, le corps du major-général Lacy était composé de nombreuses sous-divisions, commandées par des officiers de même rang que lui. On imagine la difficulté pour Lacy à convaincre ces « subordonnés » de lui obéir aveuglément. Dans les faits, il ne commandait personne, hormis les hommes de sa propre brigade ! L’état-major Prussien ne connaissait pas ce problème. Depuis longtemps, on a avait créé un grade d’officier supérieur, celui de lieutenant-général. Formés à l’école prussienne, ayant la confiance du roi, ces hommes très capables avaient un degré de dévotion proche du fanatisme et n’étaient jamais contestés dans leurs décisions par leurs subordonnés ; major-généraux et maréchaux de camp.

L’ARTILLERIE

Du côté de l’artillerie, Frédéric avait un très net avantage dans le poids de son parc mais il fut gêné durant les premières heures de la bataille par un épais brouillard qui submergeait la vallée.  De plus, même si le roi de Prusse disposait de 46 pièces lourdes – contre 24 pour Browne -, on ne peut négliger le particularisme de la pièce d’artillerie prussienne (tout comme du canon de bataillon). A partir de 1740, la Prusse mit en service des pièces au canon léger équipée d’une chambre sous-calibrée dans laquelle on versait la poudre. Il est vrai qu’ainsi le canon était plus léger et plus facile à déplacer sur le terrain mais l’explosion de la poudre dans la chambre entrainait une nette perte de la puissance du souffle dans le tube du canon. De plus, ils étaient compliqués à charger car le remplissage de la chambre en poudre était une manœuvre longue et délicate. On en arriva à la conclusion qu’une pièce de douze livres prussienne n’était pas plus puissante qu’une pièce de huit livres autrichienne. D’ailleurs, Frédéric II effectuera progressivement le changement de son par cet, en 1759, les canons à chambre auront disparu (2).

Nombres de pièces d’artillerie à Lobositz

PRUSSE :

Dans la vallée

23 pièces de 12 livres à chambre

6 obusiers de 18 livres

4 pièces de 24 livres

Sur le mont Homulka (sous le commandement de Moller):

4 pièces de 24 livres

6 obusiers de 18 livres

5 pièces de 12 livres à chambre

AUTRICHE :

12 pièces de 6 livres

6 pièces de 12 livres

6 obusiers de 18 livres

Canon de bataillon : 1 pièce de 3 livres par bataillon.

L’INFANTERIE

En 1756, l’infanterie autrichienne avait énormément progressé depuis la fin de la guerre de Succession d’Autriche et était l’égale de celles de la plupart des grandes puissances européennes. Comme pour la Prusse, chaque brigade (ou régiment) était composé de deux bataillons pour un effectif total de 1200 hommes pour les Prussiens et 1500 hommes pour les Autrichiens. Ce chiffre tomba rapidement à 1000 au cours de la guerre mais à Lobositz on peut considérer que les régiments étaient au complet. Depuis longtemps, les Prussiens avaient adopté la technique des bataillons de grenadiers employés comme troupes de choc. Il y en avait quatre à Lobositz.  Les Autrichiens, dans le cadre de cette bataille, avaient retiré les 3000 grenadiers disséminés dans l’armée pour les regrouper en trois régiments, qui furent répartis sur le terrain (un avec Lacy, un avec les Croates et un en réserve), mais il s’agit d’une exception. De manière générale, le grenadier autrichien combat au sein de son régiment de ligne.

Du côté autrichien, on trouvait aussi les unités Croates. Incontrôlables, pillant et massacrant les populations durant la précédente guerre, ils avaient acquis de la discipline au cours des dix années de paix. Le résultat de leurs entrainements fut si spectaculaire que les Croates devinrent les meilleures troupes légères du monde. Les bataillons de Croates étaient en nombre à Lobositz, soit quatre bataillons de 980 hommes.

L A CAVALERIE

La cavalerie prussienne – dragons et cuirassiers – avait largement refait son handicap sur son glorieux homologue autrichien. Elle était organisée en brigades de deux régiments de cinq escadrons, chaque escadron comptant une centaine de cavaliers. Parmi eux, on comptait aussi des brigades comptant un seul gros régiment de dix escadrons, comme les fameux dragons de Bayreuth du major général von Truchfez.

De leur côté, les Autrichiens avaient organisé leurs brigades de dragons et de cuirassiers en régiments de six escadrons d’une centaine d’hommes. Deux régiments étaient réunis en brigade sous les ordres d’un major général. Les compagnies d’élite, désignées sous le terme de carabinier pour les cuirassiers et de grenadiers pour les dragons furent, à l’occasion de cette bataille, regroupées pour former une brigade de carabiniers et une brigade de grenadiers à cheval.

Les hussards autrichiens, levés en Hongrie, étaient devenus progressivement des troupes plus contrôlables et disciplinées. Ils avaient gardé leur capacité de troupe de reconnaissance, d’harcèlement et de fourrageur mais ils pouvaient également employée comme cavalerie de ligne, opérant en rangs serrés.

 LE TERRAIN

Le champ de bataille est très accidenté. Il est bordé au Nord par l’Elbe, qui fait à cet endroit 300 mètres de large et est impossible à traverser. C’est au bord de ce fleuve que se trouve le gros village de Lobositz. Devant lui, une plaine s’étend vers le Sud. Cette plaine est limitée au Sud par la Morellen-ach, un fleuve marécageux au passage très délicat hormis via un pont et un petit passage à gué qui se trouve près du village de Sullowitz. De plus, de grandes zones marécageuses bordent le fleuve et une forêt s’étend sur les berges. A l’Ouest de Lobositz se trouvent deux volcans éteints qui dominent la vallée, le mont Homulka, grand et érodé, et la colline Lobosch, plus petite mais abrupte. Le pied de la colline Lobosch est terrassé et recouvert de vignobles alors que son sommet est couvert d’arbustes. Le paradis des troupes légères comme les Croates.

ORDRE DE BATAILLE

ARMEE PRUSSIENNE (29,000 hommes)

Frédéric II, assisté du maréchal de camp Keith

CORPS D’INFANTERIE

Prince Fréderic Henri de Prusse

Division de Brunswich-Lunebourg

Prince Ferdinand de Brunswich-Lunebourg

Brigade Anhalt

Brigade Alt Braunschweig

Brigade Itzenplitz

Brigade des grenadiers de Puttkamer et Grumbkow

Division de von Keist

 Lieutenant général von Kleist

Brigade Quadt

Brigade Blandensee

Brigade Hulsen

Division de von Bevern

lieutenant genéral Herzog von Bevern

Brigade Manteuffel

Brigade von Bevern

Brigade von Kleist

Brigade de fusiliers de Muchow (il s’agit de troupes légères opérante en ordre lâche)

Brigade des grenadiers de Billerbeck et von Kleist

CORPS DE CAVALERIE

Maréchal Graf von Geßler

Aile droite, première ligne

lieutenant général von Kyau

Brigade de cuirassiers de von Penavaire

Brigade de cuirassiers de Driesen

Aile droite, deuxième ligne

lieutenant général von Katte

Régiment de dragons de von Truchfetz

Aile gauche, première ligne

lieutenant général von Katzler

Brigade de cuirassiers de von Ludertiz

Brigade de cuirassiers de Schoenaich

Aile gauche, deuxième ligne

lieutenant général von Schwerin

Régiment de dragons de Dertzen.

 

ARMEE AUTRICHIENNE (34,000 hommes)

maréchal Maximilian Ulysses Browne

COLONNE D’ASSAUT

Major général Moritz von Lacy

Brigade de grenadiers combinés de Moritz von Lacy

Régiment des grenadiers à cheval de Moritz von  Lacy

Brigade Louis Wolfenbuettel

Brigade Joseph Esterhazy

Brigade Hildbergausen

Brigade Brown

Brigade Anton Colloredo

En raison d’une défaillance de commandement, ces cinq brigades se sont retrouvées plongés dans la plus totale confusion durant la durée de la bataille.

AVANT-GARDE

Major général Graf Hadick

Brigade de grenadiers combinés de Graf Hadick

Brigade de carabiniers de Graf Hadick

Régiment de Hussards de Graf Hadick

Régiment de hussards de Baranay

CORPS D’EMBUSCADE

Major général Moritz von Lacy (sur le papier, mais les troupes furent abandonnées à elles-mêmes)

Régiment de Croates de Banalist

Régiment de Croates de Carlstaedler

Brigade de grenadiers combinés.

CORPS PRINCIPAL D’INFANTERIE

Maréchal von Kollowrath

Lieutenant maréchal Staremberg

Régiment Alf Wolfenbuettel

Régiment Durlach

Régiment Wallis

Régiment Harrach

Régiment Kollowrath

Régiment Niclas Esterhazy

Régiment Keulh

Régiment Waldeck

CORPS DE CAVALERIE

Général Lucchessi

Aile droite

Lieutenant maréchal Radicati

Brigade de cuirassiers de O’Donnell

Briagde de dragons de E.H. Joseph

Brigade de cuirassiers de Lobkowitz

Aile gauche

Lieutenant maréchal Emmanuel Kollowrath

Brigade de cuirassiers de Loewenstein

Brigade de dragons du Liechenstein

Brigade de cuirassiers de Hedwiger

(1) La pragmatique sanction est une déclaration solennelle de l’empereur Charles VI sur l’indivisibilité de l’Autriche et la confirmation des droits de succession au trône à sa fille Marie-Thérèse.  Cette déclaration, approuvée difficilement par les grandes Nations du vivant de Charles VI, fut remise en cause à sa mort en 1740.

De nombreux postulants au trône firent entendre leurs voix et la guerre éclata. Marie-Thérèse, admirable dans l’adversité, s’en sortit en renonçant à la couronne impériale au profit de son mari, Charles de Lorraine, mais elle restait reine d’Autriche.

(2) il est intéressant de noter que durant toute la guerre, l’efficacité de l’artillerie prussienne fut sujette à controverse.  En 1757, Frédéric II, fort mécontent de son artillerie à chambre commence à remplacer les pièces de son parc d’artillerie par des canons de 12 livres plein calibre de fabrication prussienne. On s’aperçoit alors qu’ils sont plus puissants mais incroyablement plus lourds, et la combinaison et la combinaison de l’importante quantité de poudre qu’ils nécessitent et le bruit particulier qu’ils produisent lors du tir leurs valut le surnom de brummer (lit. Mastodonte).

Il est probable que les seules pièces de qualité que possédait la Prusse étaient les 80 pièces de 12 livres calquées sur le modèle autrichien et qui furent produites durant l’hiver 1760-1761. Frédéric II possédait aussi des pièces lourdes de 24 livres jugées comme très médiocres par les Autrichiens qui leur attribuaient une porté à peine supérieure à leurs 12 livres et une absence totale de précision.


Infanterie Prussienne durant la Guerre de Sept Ans (extrait du film Minna von Barnhelm – RDA 1962)