L’Acadie est une presqu’île située au nord-est de la Nouvelle-Angleterre. A son territoire, on peut y ajouter également la large bande de terre qui la relie au continent américain par l’isthme de Chignecto (1). Les Français sont les premiers européens à s’établir en Acadie, et cela dés 1606. Ils y établissent notamment un des plus grands comptoirs français du nouveau monde : Port-Royal. Mais c’est compter sans l’expansionnisme des Britanniques qui, dés 1613, par l’intermédiaire de sir Samuel Argall, mènent des campagnes destructrices contre les établissements français de Pentagouet, Sainte Croix et Port-Royal. La couleur est annoncée : le combat sera rude pour les Acadiens désirant rester fidèles à la Couronne.
A la suite des multiples contestations du Roi-Très-Chrétien revendiquant l’inviolabilité de ses territoires de Nouvelle-France, les Britanniques abandonnent, à contrecœur, leurs incursions en 1614. En 1635, la faible population française d’Acadie (elle a atteint à son apogée, au milieu du 18ème siècle, environ 12,000 personnes), comprenant qu’il serait plus sûr de regrouper leurs forces en un comptoir unique, concentre son action de développement sur la très prospère côte occidentale de la presqu’île (l’Acadie péninsulaire) et sur la cité de Port-Royal.

En 1672, quand reprennent les heurts avec les Britanniques, Port-Royal est la capitale d’une riche province, bien aménagée et irriguée par les colons français et leurs amis autochtones. En fait, les Acadiens, bien que très inférieurs en nombre à leurs voisins anglais (1 pour 10 environ) exploitent de meilleures terres, des zones côtières très poissonneuses et ils ont réussi à s’attirer la sympathie des indiens Micmacs et Abénakis qui haïssent les Britanniques et leur politique de colonisation complètement opposée à celle d’intégration des Français.
En juin 1706, Port-Royal est considérablement fortifié lorsqu’il essuie un premier assaut d’envergure. Mais Benjamin Church et ses 1,500 hommes des milices coloniales américaines, bien qu’appuyés par trois vaisseaux de guerre qui bloquent la baie, n’arrivent pas à faire céder les Acadiens et ils doivent se retirer à la fin de l’été. Harcelés sur le chemin du retour par les Micmacs, nombreux sont ceux qui ne reverront pas la Nouvelle-Angleterre.

Quelques années plus tard, les Britanniques saisissent l’opportunité matérialisée par l’engagement de la France dans la guerre de Succession d’ Espagne (1701-1714) et, par conséquence, de l’impossibilité pour le Roi Soleil de renforcer ses colonies, pour lancer une opération d’envergure contre l’Acadie péninsulaire. En 1710, le colonel March, venu de Boston, se présente avec 2000 hommes devant Port-Royal dont la garnison contient au plus 300 miliciens. Pilonnés pendant plusieurs jours par sept vaisseaux de ligne britanniques mouillant dans la baie, les assiégés voient leur moral s’écrouler quand un boulet fait exploser le magasin à poudre du fort. Le gouverneur de la place, Daniel Aube de Subercase, soucieux d’éviter d’inutiles souffrances supplémentaires à la population, capitule le 13 avril 1710 et quitte la ville avec ses 150 combattants survivants et les honneurs de la guerre. Port-Royal est alors investi par les Britanniques, qui la renomme Annapolis Royal.
Mais si la péninsule est tombée, l’Acadie n’en est pas pour autant anglaise. S’appuyant sur ses bases établies dans la partie continentale (l’Acadie de terre ferme), avec l’aide de la puissante confédération Abénakis, la résistance s’organise sous la direction du héros canadien Jean-Vincent d’Abbadie de Saint Castin. Cet ancien officier du régiment de Carignan (le premier régiment de ligne à avoir débarqué en Nouvelle-France) met à mal durant trente ans les tentatives anglaises venues de Nouvelle-Angleterre et d’Annapolis Royal pour pacifier la région. Avec son ami Madokawando, chef des Pentagouet Abenakis, il effectue de nombreux raids et est relayé ensuite par son fils Bernard Anselme (un des héros de la résistance de Port-Royal). La lutte continue même après la signature du traité d’Ultrecht en 1713 et la rétrocession de l’Acadie péninsulaire à la Grande-Bretagne – une frontière de facto est établie sur l’isthme de Chignectou. Les Tuniques rouges doivent même lutter contre les Micmacs (encouragés bien entendu par leurs alliés Canadiens) qui effectuent de nombreux raids contre les établissements britanniques et ils font de cette lutte une priorité.
En fait, les Acadiens, même si soumis à la domination britanniques, entendent rester français. Du moins la grande majorité veut garder son identité et refuse, en 1730, de prêter allégeance à la Couronne Britannique. Une grande partie du territoire est quasiment interdite aux troupes anglaises, principalement celles qui s’étendent au-delà de l’isthme de Chignectou. Certains Acadiens de la presqu’île prennent même ouvertement parti pour la France quand éclate en 1740 la guerre de Succession d’Autriche. Français, partisans Acadiens et Micmacs se lancent alors dans une guerre ouverte contre les Britanniques et les miliciens des Treize colonies. Si, au Nord, les Français perdent (temporairement) l’Ile Royale et sa forteresse de Louisbourg, en 1745, à la stupéfaction générale, les Micmacs pillent la petite ville de Saratoga, dans le Maine. Et quand s’achève en 1748 la guerre de Succession d’Autriche, la situation en Acadie reste très tendue. Durant sept ans, la province est le théâtre d’une lutte entre des autorités britanniques qui ne contrôlent finalement que les grandes villes de la presqu’île et des Acadiens réticents soutenus par leurs amis indiens.

En juillet 1755, avant même que n’éclate la guerre de Sept Ans (Britanniques et Français s’affrontaient d’ailleurs depuis un an dans l’Ohio), Londres concrétise un plan dessiné de longue date : la déportation du peuple Acadien (2). A partir de l’été de la même année, durant un processus qui durera plusieurs mois, dans des conditions parfois abominables, les Acadiens sont dispersés dans les Treize colonies, au milieu de gens hostiles dont ils ne comprennent pas la langue. Le but visé est évidemment de faire disparaître définitivement ces « gens, qui ont toujours été la peste de la colonie » comme les qualifiera Montague Wilmot, gouverneur de Nouvelle-Ecosse, en les assimilant. La méthode la plus couramment usitée était la capture et la déportation du chef de famille, accompagné de la destruction de ses biens immobiliers. Evidemment, privées de ressources, de père et d’époux, les familles n’avaient aucun autre choix que de suivre l’homme dans son exil. Par contre, pour les réticents et tous ceux qui avaient opposés une résistance armée à la Couronne d’Angleterre, la sanction en cas de capture était la mort.
Dans le même temps, les petites garnisons françaises et canadiennes établis dans les forts de l’isthme (fort Beauséjour et fort Gaspareau) voient arriver, parties de fort Lawrence, une forte colonne composée de troupes britanniques et provinciales. Les commandants des deux places n’ont alors aucun autre choix que la capitulation. L’Acadie de terre ferme se trouve alors sans défense. Quand aux indiens de la région, désormais livrés à eux-mêmes, ils n’allaient guère lutter plus longtemps.
A la fin de l’année 1755, l’Acadie a cessé d’exister.

(1) Au début du 18ème siècle, la Nouvelle-France est divisée en plusieurs régions autonomes, administrées par des gouverneurs ou des administrateurs royaux : le Canada (capitale : Quebec), l’Acadie (capitale : Port-Royal), l’île Royale et l’île saint Jean (capitale : Louisbourg), la Louisiane (capitale : La Nouvelle-Orléans) et le Pays des Illinois (large zone située au sud des Grands lacs et le long de Missisipi, avec comme capitale Fort de Chartres).
(2) : Proclamation des autorités britanniques au peuple acadien :
« Messieurs, j’ai reçu de son excellence le gouverneur Lawrence les instructions du Roi que j’ai entre les mains.
C’est par ses ordres que vous êtes rassemblés pour entendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de cette sienne province de Nouvelle-Ecosse où, depuis près d’un demi-siècle, vous avez été traité avec plus d’indulgence que autres sujets dispersés dans ses Etats.
Vous savez mieux que tout autre quel usage vous avez fait d’une telle bonté. Le devoir que j’ai à remplir, quoique nécessaire, est très désagréable et contraire à ma nature et à mon caractère car je sais cela vous affligera puisque vous possédez comme moi la faculté de sentir.
Mais il ne m’appartient pas de m’élever contre les ordres que j’ai reçu. Je dois m’y conformer.
Ainsi, sans aucune hésitation, je vais vous faire connaître les ordres de Sa Majesté qui sont que vos terres et vos maisons et votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes, sont confisqués au profit de la Couronne avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos mobiliers et que vous-mêmes vous devez être transportés hors de cette province. Les ordres péremptoires de Sa Majesté sont que tous les habitants français de ses districts soient déportés et, grâce à la bonté de Sa Majesté, je dois vous accorder la liberté d’emporter votre argent et autant de vos effets que possible sans encombrer les navires qui doivent vous transporter. Je ferai tout en mon pouvoir pour que ces effets soient laissés en votre possession, que vous ne soyez pas molestés en les emportant et que chaque famille soit réunie dans le même navire afin que la déportation qui, je le comprends, doit vous causer de grands ennuis, vous soit rendue aussi douce que le service de Sa Majesté peut le permettre. J’espère que, quelles que soient les parties du monde où le sort va vous jeter, vous serez des sujets fidèles et un peuple paisible et heureux. Je dois aussi vous informer que c’est le plaisir de Sa Majesté que vous soyez retenus sous sa garde et la surveillance de ses troupes que j’ai l’honneur de commander. »
