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Avril 1945. Les Alliés mènent leur ultime offensive en Europe. À bord d’un tank Sherman, le sergent Wardaddy et ses quatre hommes s’engagent dans une mission à très haut risque bien au-delà des lignes ennemies. Face à un adversaire dont le nombre et la puissance de feu les dépassent, Wardaddy et son équipage vont devoir tout tenter pour frapper l’Allemagne nazie en plein cœur…

Voilà le pitch utilisé par les distributeurs pour la promo du film. J’aurai forcément dû me méfier. L’histoire d’un tank Sherman qui s’attaque, tout seul, au troisième Reich, même agonissant, cela tient plus du poème mythologique moderne que du récit historique. En fait, Fury, c’est bien cela, une ode guerrière dressée à la gloire de l’armée américaine. Surtout dans sa seconde moitié, qui mêle sans souci de réalisme l’imagerie violente post-Soldat Ryan et environnement de jeu vidéo façon Call of Duty. A ce gruau patriotique indigeste, il ne faut pas manquer de signaler la présence du thème « super original » du bleu-bite qui découvre les horreurs de la guerre.

Passent encore les erreurs historiques. Comme le signale si bien Pierre Grumberg dans l’un de ses articles, la deuxième division blindée américaine, lors de son avancée en territoire ennemi n’a pas vraiment trop souffert, du moins pas autant qu’il nous est montré dans le film. Le seul problème qu’elle rencontra durant cette période fut le manque de soutien aérien. En effet, les colonnes américaines progressaient tellement vite que la logistique aérienne avait du mal à suivre le rythme des chars. Quand à la résistance, si elle fut parfois assez coriace, il y avait, en avril 1945, autant de chance pour un char Sherman de tomber sur un Tigre (représenté en synthèse dans métrage) que j’en ai de gagner au LOTO. Un détail pour puriste, me diriez-vous, mais le pire attend l’historien, ou le simple amateur d’histoire militaire un peu exigeant, plus loin.

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Leur Sherman immobilisé après avoir sauté sur une mine, les cinq hommes d’équipage commandés par un vétéran, le sergent Don Collier, dit Wardaddy, décident de garder la position coûte que coûte, malgré l’approche d’un bataillon de panzergrenadiers waffen SS. On voit alors, pendant une bonne demi-heure, Brad Britt – toujours « impeccablement décoiffé » dés qu’il ôte son casque – et ses potes dézinguer des dizaines d’abrutis qui courent dans tous les sens devant les mitrailleuses du char et qui s’acharnent à tirer sur le blindé à l’arme légère, histoire de faire de jolis étincelles. Une véritable boucherie absolument débile, qui prend fin quand un ou deux nazis, un peu moins cons que leurs camarades, décident d’user de leurs panzerfaust – à ce sujet, on relève une énorme erreur de raccord (dans un plan d’ensemble sur le bataillon, on voit de nombreux panzergrenadiers équipés, comme c’était historiquement le cas, de panzerfausts, ils en sont démunis par la suite).

Bon, évidemment, les braves américains vont finir par mourir en héros sous les balles de nazis vraiment très, très maladroits. A un contre cent. C’est les Thermopyles en Germanie. Parce que c’est leur destin. Tous meurent les armes à la main, sauf le petit intello, qui a appris auprès d’eux à « devenir un homme ». Brad Pitt (irréprochable par ailleurs dans son jeu), en star américaine, debout sur son char, dans une tourmente de feu, tombera, tel Ulysse sous les murs de Troie, frappé par les traits d’un lâche. C’est un sniper allemand dissimulé dans la végétation qui prend ici le rôle de Pâris. Par tous ces aspects, Fury se rapproche terriblement de tous ces films de propagande qui garnissent aujourd’hui les cinémathèques, et qui portent un regard faussé, et aujourd’hui inquiétant, sur l’Histoire. Un travail de gros bourrin, au jugement aveuglé par son désir de spectaculaire. Pas étonnant quand l’on sait que le réalisateur, David Ayer, est le scénariste d’une débilité testeronnée comme Fast & Furious (mais qui a le mérite d’être fun) et d’un malhonnête U-571.

Alors, que peut-on sauver dans ce Fury ? J’ai évidemment apprécié l’aspect « reconstitution », à la fois dans les costumes et les blindés. L’attaque dans le champ, avec les Sherman (un 88 et trois 76) en couverture de l’infanterie, est très réussie du point de vue historique. On peut également mettre au crédit du métrage qu’il présente des soldats américains qui n’ont rien d’enfants de cœurs. Maintenant, ce dernier aspect lève aussi les intéressants questionnements « est-ce que combattre pour la liberté ou la démocratie autorise à être une ordure » ? et « suffit-il pour transformer un gamin craintif en homme de l’obliger à tirer une balle dans le dos d’un enfoiré d’allemand ? » Malheureusement, il est certain que la plupart des spectateurs prendront le message de David Ayer comme argent comptant, plus que comme un sujet de réflexion.

Enfin, il y a l’interprétation. Brad Pitt, comme je le dit plus haut, est vraiment très bon, et parfois même imposant en leader impitoyable. Mais le reste du casting est également au niveau. Shia Labeouf est impeccable dans la peau d’un « tireur-pasteur », et ce mal-aimé d’Hollywood prouve, encore une fois, qu’il est un bon acteur. Jon Bernthal est toujours aussi efficace dans les rôles complexes, et il est très convaincant en Grady « Coon-Ass » Travis, un personnage torturé. Quand à la jeune recrue, elle est interprétée par un Logan Lerman qui nous offre, ici, bien plus côté émotion, que ses rôles en Percy Jackson. Seul Michael Peña est un peu en retrait, sans pour autant être mauvais.

Ma côte : 2,5/5

Fury (USA/GB/Chine – 2014)
Un film de David Ayer
Scénario de David Ayer
Musique de Steven Price
Avec : Brad Pitt, Shia LaBeouf, Logan Lerman, Michael Peña, Jon Bernthal, Jason Isaacs