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1912-1913

Grande puissance méditerranéenne, maître de la mer Egée et de l’Europe balkanique durant de nombreux siècles, l’Empire Ottoman voit son hégémonie s’éteindre tout au long du 19ème siècle, victime des insurrections nationalistes, des griffes de l’ours russe mais aussi d’une usure naturelle. A la fin du siècle, la Sublime Porte n’est plus que l’ombre du magnifique empire mahométan qui forçait l’admiration et inspirait la crainte. La Turquie est l’homme malade de l’Europe, déclarait le tsar Nicolas 1er en 1856. Toutefois, autant par respect de son riche passé glorieux que par peur de créer un bouleversement du paysage politique européen, personne, hormis les Russes, n’ose encore s’attaquer de front à son intégrité territoriale. Alors on grignote, comme l’Autriche-Hongrie qui, en 1908, annexe d’autorité la Bosnie-Herzégovine (qu’elle occupait depuis 1878).

En 1911, en Cyrénaïque, l’empire Ottoman est défait à plates coutures par une Italie pourtant peu redoutable. C’est le déclic pour les jeunes nations balkaniques qui rêvent de reconnaissance, d’émancipation ou d’expansion. Un an plus tard, emmenée par des jeunes rois ambitieux (le roi Nicolas 1er du Monténégro, le tsar Ferdinand de Bulgarie, le prince Constantin de Grèce, Pierre 1er de Serbie) qui veulent se tailler une place de choix dans l’échiquier européen, une coalition formée du Monténégro, de la Serbie, de la Bulgarie et de la Grèce déclare la guerre à l’empire Ottoman. Les grandes puissances, Triplice et Triple-Entente, elles, intriguent. Certaines cherchent à empêcher ces petites nations d’acquérir trop de puissance, d’autres espèrent gratter quelques avantages, mais la plupart luttent pour limiter les dégâts et éviter une conflagration européenne. Certains pays, comme la France et la Grande-Bretagne, soutiens militaires en Grèce, ou l’Allemagne, qui a de nombreux instructeurs dans les états-majors turcs, en profitent pour juger de l’efficacité de leurs méthodes.

L’empire ottoman des Jeunes-Turcs est vaincu. Humilié. Il ne doit sa survie qu’à l’action de la communauté internationale qui voit d’un mauvais œil la disparition de cet état, certes moribond, mais qui assure tout de même une certaine stabilité en Asie Mineure et au Moyen-Orient. Mais la guerre n’est pas terminée pour autant. Car, c’est bien connu, les alliés d’hier peuvent devenir les ennemis de demain. Tous les coalisés revendiquent ces régions abandonnées par les Turcs. Bien entendu, des accords avaient été signés, mais mal rédigés, mal compris, ou de circonstances. Le Mahométan parti, ils sont aussitôt ignorés. La Grèce veut SA Macédoine, la Bulgarie SA Roumélie, le Monténégro lorgne sur une Albanie qui, par sa superficie, doublerait son territoire, tout comme la Serbie qui recherche à tout prix un accès à la mer. A cela se greffent de nombreux désaccords religieux. Le 22 juin 1913, moins de deux mois après la signature du traité de Londres qui met fin à la première guerre balkanique, la Bulgarie attaque « par surprise » la Serbie et la Grèce. Dans les ambassades européennes, c’est la panique. Tout le monde veut s’en mêler. On se pose en médiateur, en arbitre, ou en supporteur plus ou moins officiel.

C’est finalement la Bulgarie qui va sortir vaincu du conflit, victime d’un roi présomptueux aux tendances mégalomaniaques (qui lui fera perdre de nombreux soutiens), mais aussi de l’entrée en guerre d’une Roumanie opportuniste et du retour dans la guerre d’un empire Ottoman revanchard. Epuisée, le 10 aout 1913, la Bulgarie signe le traité de Bucarest qui met un terme à la guerre .De ces deux conflits, qui firent environ 200,000 morts sur 1 129,000 hommes engagés en campagne, sort un nouveau découpage politique des régions Balkaniques. Mais un découpage artificiel, qui ne résout pas de nombreux problèmes, notamment ethniques et religieux. Aujourd’hui encore, de nombreuses régions paient le prix, avec le sang, de cette paix mal préparée. Et, un an plus tard, c’est de cette Bosnie-Herzégovine si convoitée que démarrera un incendie qui, pendant quatre ans, enflammera le monde.

Avec Les guerres Balkaniques, ouvrage paru aux éditions Presse Universitaire Paris Sorbonne, Jean-Paul Bled et Jean-Pierre Deschodt se penchent à nous expliquer en détail ce dramatique épisode de l’histoire européenne. Pour aborder ce sujet rarement traité, ils ont réuni dans ce livre de 240 pages les composantes d’un colloque tenu à l’Institut Catholique d’études supérieures (I.C.E.S.) les 5 et 6 décembre 2012. Au programme, on trouve bien entendu un descriptif assez précis du déroulement de ce double-conflit mais aussi – et surtout – des comptes rendus et des études détaillant les motivations, les moyens et les enjeux de chaque belligérant, ainsi que les comportements diplomatiques et les jeux d’influence des grandes puissances. Très intéressant, également, les articles (chapitres) consacrées à exposer les opinions de l’espace politique français, avec notamment un descriptif du journal de voyage du général Herr, qui se distinguera durant la Grande Guerre. En tout, dix-neuf articles absolument passionnants, qui m’en ont appris beaucoup sur cette guerre un peu oubliée, occulté par l’ombre de la Première Guerre Mondiale. Enfin, ces exposés historiques sont autant enseignements permettant de mieux appréhender les faits d’actualités dramatiques qui secouent toujours régulièrement la Bosnie, la Macédoine ou l’Albanie.

SOMMAIRE
Présentation, du recteur Armel Pécheur
L’Europe à la veille des guerres balkaniques, de Jean-Paul Bled
Les opérations militaires lors des deux guerres balkaniques 1912-1913, du colonel Frédéric Guelton
La Serbie dans la première guerre balkanique (1912) : libération de la Vieille Serbie (Vilayet du Kosovo), par Dusan T. Batakovic
Le Monténégro ou le rêve de grandeur brisé. Le conflit Austro-monténégrin en Albanie Septentrionale, par Vojislav Pavlovic
Ivan Evstratiev Guéchov, artisan et dernier défenseur de l’Alliance Balkanique, pr Charlotte Nicollet
Rêves grecs et guerres balkaniques, par Joëlle Dalège
La Roumanie et les guerres balkaniques, par Dan Berindei
L’empire assailli. La Turquie face aux guerres balkaniques, par Tancrède Josseran
Le patriotisme de l’Internationale à l’épreuve de la première guerre balkanique, par Jean-Pierre Deschodt
Germany and the Balkan Wars, par Alma Hanning
Austria-Hungary and the Balkan Wars, par Lothar Höbelt
Les Slaves méridionaux de la Monarchie des Habsbourg et les guerres balkaniques, par Edi Milos
La Hongrie spectateur de son destin, par André Reszler
L’Italie et les guerres balkaniques : le jeu d’équilibre, par Frédéric Le Moal
Russia and the Balkan Wars, par Günther Kronenbitter
Un observateur et commentateur français de la première guerre balkanique : le général Georges Herr (1855-1932), par Jean-Noël Grandhomme
Les guerres balkaniques dans les mémoires de Poincaré, par Georgiana Medrea
« La guerre des Balkans n’aura pas lieu ». Réactions contre la guerre dans l’espace français pendant les guerres balkaniques de 1912-1913, par Nicolas Pitsos
Les conflits balkaniques et la politique britannique, par Gérard Hocmard.
Conclusion générale, par Jean-Paul Bled.

Ma côte : 5/5

Les guerres balkaniques 1912-1913
Jean-Paul Bled et Jean-Pierre Deschodt
Paru aux éditions PUPS – septembre 2014
22€