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Élevés en véritables frères de lait, Ramsès le bourrin et Moïse le sage semblent être les sujets d’une affection sincère et réciproque. Mais derrière cette façade de politesses et de gestes d’amitié se cache une vérité bien plus sombre. Car si Moïse est tout dévoué à celui qui est appelé, dans un futur plus ou moins proche, à devenir son seigneur, Ramsès, lui, voit d’un très mauvais œil l’affection que porte son père, le pharaon Sethi 1er, à ce jeune homme bien sous tous rapports. Certes, Moïse n’a aucun droit à revendiquer la succession de Séthi 1er, cependant, secrètement, Ramsès le craint et le considère comme un rival à éliminer. Un sentiment d’autant plus fort qu’il est entretenu par une sinistre prophétie menaçant la dynastie.

Sans se douter le moins du monde de la nature des pensées de son « ami », Moïse accomplit avec zèle les missions de confiance que lui confie Pharaon. Foncièrement honnête, le jeune homme jure avec le personnel de la cour et les administrateurs du Royaume, comme ce vice-roi cruel qui, non content de maltraiter les esclaves hébreux, pioche sans scrupule dans les caisses de l’état pour mener grand train de vie. Courageux, Moïse sauve même la vie de Ramsès durant la bataille de Kadesh livrée contre les Hittites. Autant d’actes emplis de générosité, autant de fidélité, qui, à la mort de Pharaon, vont l’emmener vers la disgrâce … et vers son véritable peuple…

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Exodus, où le regard du cinéma américain du 21ème siècle sur la civilisation égyptienne. Un regard puéril, simpliste – voire réducteur – mais également critique…. Et donc éminemment politique (comme lorsque Moïse disserte devant le peuple hébreu des affres du radicalisme). Dès l’entame du film, en marquant bien les différences qui séparent Moïse et Ramsés II, l’on comprend que Ridley Scott ne va pas nous livrer un aperçu très flatteur de la civilisation égyptienne, pourtant alors à son apogée. L’artifice est tellement grossier que l’on ne peut s’empêcher de sourire en pensant que l’Egyptien (et Ramsès plus particulièrement) ne possédait pas un sens aigu de l’observation. Si pour le spectateur lambda Moïse, plongé dans la foule de Memphis, est aussi discret et malvenu qu’une mouche surnageant dans le lait (il est original et décalé autant par la sobriété et le modernisme de sa cosmétique que par sa morphologie très « caucasienne »), dans les couloirs du palais, on ne se pose aucune question sur le sujet. Il faudra attendre une indiscrétion pour que Ramsès et sa clique réalisent enfin que Moïse est un imposteur malgré lui. Et là, Ramsès de sauter sur l’occasion pour se débarrasser de ce gêneur aux goûts vestimentaires étranges et au système pileux luxuriant. Allez, zou ! Exilé dans le désert !

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Bref, pour Ridley Scott, au treizième siècle avant Jésus Christ, les rives du Nil constituaient une place de choix pour les marchands de cosmétiques et de bijoux, ainsi que pour les architectes, mais certainement pas un lieu fréquentables pour les gens de bonnes mœurs. D’ailleurs, étant donné la tournure que prennent les événements, on pourrait même trouver dans cette présentation de l’élite du peuple égyptien, ramassis d’intrigants efféminés aux maquillages outranciers, adeptes de ridicules sacrifices cérémonieux (une séquence calomnie sans complexe les pratiques traditionnelles égyptiennes), quelques relents racistes qui ramènent au tableau outrancier des Perses de 300. Evidemment, placé au premier plan, celui qui souffre le plus des regards obliques des caméras de Ridley Scott, c’est Ramsès. Ce dieu-roi – le plus glorieux de la XIXème dynastie – nous est présenté ici comme un individu certes téméraire, mais aussi comme un homme en manque de moralité. L’intention de Ridley Scott était peut-être de diaboliser au maximum la civilisation égyptienne pour mieux faire ressortir la tristesse du sort des gentils hébreux pacifistes, mais force est d’admettre qu’il pousse le bouchon un peu loin. En fait, dans ce tableau misérabiliste, seuls les militaires apparaissent comme des hommes braves et fidèles (une fidélité qui confine à la connerie quand, en obéissant aveuglement aux ordres d’un Ramsès dément, ils se transforment en une armée de lemmings). Ridley Scott a toujours eu un grand respect pour les valeurs militaires. Il le prouve une nouvelle fois. On peut simplement s’interroger sur la nature de la droiture de ce soldat égyptien. Ne serait-ce pas, tout simplement, parce qu’il est réduit à l’état de simple accessoire, le prolongement charnel de l’épée du roi fou ?

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Aimant digresser sur les grands classiques hollywoodiens, après Gladiator (variation construite sur La chute de l’empire romain), Kingdom of Heaven (Les Croisades) et Robin des Bois (moult fois adapté), Ridley Scott nous propose cette fois une relecture très personnelle et actualisée des Dix Commandements. Ici, suivant l’exemple de Darren Aronofsky avec son Noé écolo, le réalisateur a décidé de moderniser le personnage de Moïse pour, en l’arrachant de son contexte biblique, en faire un individu torturé par son problème identitaire et la nature de son sacrifice. Il s’éloigne ainsi de la démarche habituelle où Moïse apparait comme un exécutant de la volonté divine, conscient de l’importance de sa mission. Ici, ce guide du peuple hébreu (dont il se fiche quand même un peu) accomplit sa tache mal volontiers, en ayant comme seule motivation une récompense qui est le dégagement de ses obligations. Un angle d’attaque qui rend presque évident le choix de Christian Bale dans le rôle principal. En interprétant cet homme forcé par le « destin » (ici, un Dieu matérialisé par un enfant capricieux – l’un des rares choix pertinents de Ridley Scott) d’effectuer une mission qui le prive de tout lien affectif et l’amène sur le chemin de la guérilla, Christian Bale rendosse en quelque sorte le costume de Batman, dans une version « lion du désert ». Force est de dire que l’on est loin du rôle de composition.

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Mais attention ! Il n’est pas dans mon intention de critiquer ce souci de renouvellement et ce croisement de thématiques (Moïse endosse même le rôle de leader syndicaliste). Bien au contraire ! Je critique assez tous ces cinéastes qui se contentent de recycler. D’ailleurs, par le passé, ce choix lui a plutôt réussi (si l’on a la gentillesse d’oublier le calamiteux Robin des Bois). Par contre, comme cela est le cas depuis quelques temps (cf. Prometheus), je lui reproche d’avoir usé d’un traitement narratif des plus rudimentaires et d’avoir cédé à un manichéisme bien pratique. Cette pauvreté d’écriture entraîne le fait que, hormis Ramsès, l’entourage de Moïse n’est constitué que de spectres furtifs, bien que composé de stars comme Sigourney Weaver, Ben Kingsley ou John Turturro. Comme les soldats cités plus haut, tous les personnages de soutien ne sont que de simples accessoires utiles au parcours de Moïse. On ne connait rien d’eux et, une fois utilisés, ils disparaissent définitivement du récit. Cela ne manque pas d’entrainer de nombreuses interrogations chez le spectateur attentif et crée une frustration, voire un désintéressement. Et, au final, ce manque de richesse dans l’entourage de Moïse contribue à faire de l’intrigue un simple duel qui manque singulièrement de puissance dramatique, d’autant plus que Joel Edgerton, sous les traits de Ramsès II, peine à convaincre et s’enlise souvent dans l’interprétation d’un personnage sans finesse.

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Restent les effets spéciaux. Grandioses. Comme l’on pouvait s’y attendre dans ce type de péplum à gros budget. Se faisant épigone de Michael Bay, grand sachem de l’école Boom-boom décérébrée, Ridley Scott déçoit et nous offre une succession de tableaux (inspirées d’ailleurs de peintures classiques) apocalyptiques et guerriers qui impressionnent l’œil et les oreilles mais guère l’âme et le cœur. Exodus fait dans le clinquant, le tape-à-l’œil, respire les millions de dollars, mais pèche par un manque de force épique dans la reconstitution de la seule bataille du film (celle de Kadesh) et d’émotion dans la mise en image des dix plaies d’Egypte. On se moque du sort du peuple égyptien comme de sa première chaussette, tout comme on est indifférent à la douleur d’une mère et d’un fils qui voient leur père les abandonner pour accomplir une quête dont ils n’entendent rien. Et que dire des malheurs de ces égyptiens, victimes des mouches, des grenouilles, des sauterelles… On s’en fout. On en rit même, en ironisant sur le fait que le peuple égyptien déclare souffrir de la famine mais, en même temps, reçoit comme cadeaux divins des invasions d’espèces riches en protéines.

Dans le final, Dieu ouvre la mer Rouge et sauve le peuple hébreu. On pense à Cecil B. De Mille et l’on se demande ce que cette scène apporte de plus. Pire, on s’interroge sur ce qu’elle a de moins. Et on en arrive à une évidente conclusion qu’à trop négliger l’aspect humain, Ridley Scott a fait d’Exodus un superbe spectacle glacial…. Un désert émotionnel.


Ma côte : 2.5/5

Exodus (USA – 2014 – 150’)
Titre original : Exodus – Gods and Kings
Un film de Ridley Scott
Scénario de Adam Cooper, Bill Collage, Jeffrey Caine et Steven Zaillian
Musique d’Alberto Iglesias
Avec : Christian Bale (Moïse), Joel Edgerton (Ramsès), John Turturro (Sethi 1er), Aaron Paul (Joshua), Maria Valverde (Zipporah), Sigourney Weaver (Tuya), Ben Kingsley (Non)..
Disponible en DVD et Bluray le 27 mai 2015 (20th Century Fox)