Dénicher chez mon buraliste habituel le tout nouveau numéro du magazine Guerres & Histoire me procure toujours un certain plaisir, tant sa ligne éditoriale épouse mes goûts en la matière. C’est donc les yeux fermés que j’ai acheté le numéro 24, paru il y a quelques jours et qui consacre le plus gros de ses pages à un dossier sur l’armée française de 1943 à 1945.
Réalisé par le « team » de spécialistes que forment Nicolas Aubin, Julie Le Gac, Benoist Bihan et Claire Mihot (Patrick Bouhet clôt ce dossier avec un petit, mais non moins intéressant, article sur la reconstruction d’après-guerre), fort d’une bonne vingtaine de pages (toujours aussi richement illustrées), ce dossier s’intitule fort justement « Une douloureuse résurrection ». Oui, car à la lecture de ces articles, l’on se rend compte que l’on se situe effectivement plus près des pas hésitants d’un Lazare ou d’une créature de Frankenstein que de la majesté d’un Phoenix renaissant. Pourquoi ? Parce que dépoussiérant l’Histoire de ses mythes, les rédacteurs exposent à nos yeux une succession d’opérations administratives, politiques et opérationnelles qui composent au final une gigantesque tambouille franco-française indigeste et amère. Ils nous entrainent au-delà de l’image d’Epinal de la deuxième DB défilant dans un Paris en liesse, effacent les textes idéalisés de nos vieux manuels scolaires, et nous envoient en plein visage une vérité parfois dérangeante (faire lire ces textes à ma mère, qui a vécu, du haut de ses dix ans, la libération de Paris, lui causerait surement un énorme choc, voire une réaction de déni), certes, mais qui forme le creuset où naitra la future armée française. Une armée française qui se nourrira de ce passé pour redevenir l’une des plus puissantes du monde.
Passionnant, ce dossier met en lumière les luttes d’influences entre les composantes de cette armée composite où tentent de coexister Vichystes d’Afrique, vétérans Gaullistes des FFL et, à partir de 1944, les forces polypartites et politiquement bigarrées des FFI. Du plus haut gradé au simple soldat, on se considère avec défiance, voire haine (on se traite de collabos, de communistes, et autres amabilités), mais heureusement, au feu, on oublie ses différences pour se souder contre l’ennemi commun. Ainsi, même si les rédacteurs égratignent l’image de cette armée de « libération », ils n’oublient pas de signaler (et de prouver) que l’armée du CFLN (puis de la GPRF dés juin 1944) a souvent opéré sur le terrain de manière remarquable, bien qu’elle fut souvent déconsidérée par des Américains à qui elle devait hélas toute sa logistique. Enfin, Guerres & Histoire n’oublie pas de nous rappeler que loin de créer un mouvement d’engouement patriotique, la libération de la France n’a pas entraîné un phénomène d’enrôlement de masse de ses citoyens (la classe 43 ne s’est pas ruée dans les casernes, si vous voyez ce que je veux dire..). Une absence d’enthousiasme que n’ont pas manqué de remarquer les « Africains » (pieds-noirs et indigènes) qui eux, avaient sacrifié beaucoup pour la libération de la métropole. Cela ne manqua pas d’avoir des conséquences futures.
Mais, Guerres & Histoire, ce n’est pas que son dossier. Bien au contraire ! La revue est riche de sa diversité dans les sujets et les périodes. Petit tour d’horizon.
Dans ce numéro, j’ai particulièrement apprécié la deuxième partie de l’article de Benoist Bihan consacré à Clausewitz, qui est encore plus passionnante que la première, que j’avais dévoré (vous l’avez compris, je suis un fan inconditionnel de Clausewitz – derrière le maréchal Maurice de Saxe, toutefois). Benoist Bihan nous propose dans cette deuxième partie (sur quatre) un décryptage de la philosophie de ce grand homme de la guerre avec six de ses idées décryptées via des exemples historiques. Une approche et un traitement remarquables, accessibles à tous. De la grande vulgarisation.
La rubrique Caméra au poing, composée de reportages photo commentés, est consacrée cette fois-ci aux luttes en Irlande du Nord. De nombreuses photos sur le Bloody Sunday (30 janvier 1972) pour ne pas oublier ce conflit qui ensanglanta l’Irlande pendant un quart de siècle. Une belle initiative. Des images chocs.
Pour l’interview exclusive, petit tour au Machrek avec le témoignage de Zeev Sternhell, vétéran de nombreux conflits, ancien officier supérieur et historien spécialiste de l’extrême droite française et du fascisme, qui nous raconte son expérience dans Tsahal, durant la crise de Suez, la guerre des Six Jours et la guerre du Kippour. Vu que je n’entends pas grand-chose sur ce sujet, j’ai beaucoup appris. Merci.
Bicentenaire de la bataille de Waterloo oblige (d’ailleurs, si vous êtes dans le coin entre le 19 et le 21 juin, ne manquez pas la somptueuse reconstitution prévue pour la commémoration), Patrick Bouhet nous propose un article sympathique, invitation à moult réflexions, sur les circonstances de la défaite française en dissertant sur sept grosses erreurs relevées par les historiens, et dont les causes font encore débats dans les cercles d’initiés.
Autre article qui a attiré plus particulièrement mon attention : Hussards, les yeux de l’armée en campagne. Un exercice de réhabilitation plutôt réussi pour cette arme déconsidérée. Joueur de jeu d’Histoire à figurines, je regarde toujours mes hussards avec circonspection, ne sachant savoir trop que faire de ces unités à peine bonne à sabrer les fuyards durant les poursuites… et semer la pagaille dans les tavernes. Benoist Bihan, avec toujours la même élégance de plume, redore le blason des hussards en mettant en avant leur utilité dans la petite guerre, les missions de fourrage et la reconnaissance. Il rappelle même qu’à quelques occasions, les Hussards ont chargé à la manière de la cavalerie lourde, sans pour autant être ridicules.
Guerres & Histoire numéro 24 présentent également deux autres articles, que j’ai jugé moins intéressants. Dans la rubrique Chasse aux mythes, Eric Tréguier nous parle de la bataille de Marathon et du mythe Phidippides. L’article est très bien écrit (j’aime beaucoup le style « romanesque » de Tréguier) et limpide, mais intrinsèquement, son niveau informatif est inférieur, à mon humble avis, de ce qu’attend un lecteur de ce magazine, qui, je pense, est un minimum instruit dans le domaine. En résumé, c’est agréable à lire. Mais je n’ai rien appris.
Même constat pour l’article sur le feu grégeois, dans la rubrique Aux armes !, par Nicolas Chevassus-au-louis. Un contenu circonstanciel un peu trop léger, une enquête sans conclusion (en même temps, on ne peut en vouloir au rédacteur pour cela, le feu grégeois reste un mystère). Peut-être que ce texte aurait mieux eu sa place dans un article plus général, consacré à l’art de la guerre byzantin aux époques de Justinien à Alexis V.
SOMMAIRE
SUR LE FRONT
Caméra au poing : Bloody Sunday, paraxysme de l’autre guerre de Trente Ans.
Commémoration : Waterloo, la bataille des sept erreurs
Chasse aux mythes : Marathon, un réel exploit mais un demi-succès Troupes : Hussards, les yeux de l’armée en campagne
Aux armes ! Feu grégeois, un secret parti en fumée
Doctrine : Clausewitz (2/4), les six idées majeures
EXCLUSIVITE
Sternell, le pacifiste aux six guerres
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