Petite réflexion purement subjective qui n’engage que moi.
Horizon masqué par des nuées de drakkars chargés de barbares assoiffés de sang, casques à cornes et haches à deux mains portés par des géants nus aux corps couverts de runes, femmes esclaves traînées dans des cahutes pour satisfaire les pulsions de guerriers hirsutes s’abreuvant d’hydromel dans des cranes évidés, sacrifices humains et aigle de sang (si cher à l’écrivain Howard)… De nos jours, encore, l’imaginaire collectif voit dans le peuple viking un patchwork fantasmé construit en grande partie à partir de vieux clichés qui ont pour origine les récits des lettrés chrétiens de l’époque, autrement dit les ecclésiastiques. Une mythologie construite par des hommes voulant diaboliser ces peuples païens qui est entretenue d’abord par la littérature populaire, puis le cinéma et la bande dessinée. Aussi, aujourd’hui, si un enfant s’adressait à un adulte en paraphrasant Saint-Exupéry : « s’il vous plait… dessine-moi un barbare ! ». Il y a de grandes chances que ce dernier, sous peine qu’il sache correctement tenir un crayon, lui offre la caricature d’un guerrier viking.
Courant 2013, on a aimé à penser que la respectable chaîne History, en produisant une série basée sur l’univers des vikings, pouvait corriger en grande partie ce que les spécialistes de la civilisation nordique considèrent comme une injustice. Premier projet de fiction d’envergure pour cette chaine spécialisée dans la diffusion de documentaire, Vikings pouvait tirer profit de la respectabilité de son diffuseur et changer le regard de ses spectateurs sur les peuples du Nord. Qu’en est-il réellement ? A la fin de la troisième saison, riche en évènements, on peut s’autoriser faire un petit bilan. Vikings corrige-t-elle des siècles d’erreurs, de stigmatisation et de propagande ? Offre-t-elle un panorama plus conforme à la réalité historique ?
Oui. Et non…

Bon, c’est vrai, en faisant de Ragnar Lodbrok (l’excellent acteur australien Travis Fimmel), héros semi-légendaire présent dans la magistrale œuvre de Saxo Grammaticus (La Geste des Danois), un auteur du 13ème siècle, le créateur Michael Hirst (Les Tudors) annonçait la couleur : « Vikings, chers téléspectateurs, se permettra quelques libertés ». En effet, personnage très intéressant puisqu’il incarne la vaine ambition des Jarls danois qui était d’unir les comtés sous une autorité unique, le mythique Ragnar Lodbrok donne au scénariste une grande liberté d’action. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire, comme le prouve les tâtonnements de la première saison, qui balance maladroitement entre le docu-fiction mensonger et une fantasy débridée qui n’a rien à envier avec un volet du Seigneur des Anneaux – avec un paroxysme délirant atteint dans les derniers épisodes. Digression fantastique et à mon avis malhonnête (puisque cautionnée par History) qui a failli me faire abandonner le visionnage du show. Aujourd’hui, je l’avoue, j’aurai eu tort. Vraiment tort.

Après le départ de Gabriel Byrne (le jarl Haraldson), seule star de la série destinée à lancer le projet, Michael Hirst réussit à atteindre un délicat équilibre entre la vulgarisation historique et une fiction qui vise à familiariser le spectateur avec les traditions nordiques. Avec ses personnages bien construits et des acteurs très charismatiques, ses extraordinaires plateaux de tournage (l’Irlande est vraiment un pays magnifique) et sa luxueuse réalisation (un gros effort a été fait sur les costumes… bien que légèrement uchroniques), Vikings expose de manière fidèle bon nombre d’éléments de la culture nordique, et les met en valeur. Dés le début, force est de le reconnaître, Michael Hirst a bien pris soin d’éviter les clichés les plus ridicules – pas de casques à cornes, par exemple – tout en étant très prudent dans l’utilisation de spécificités qui, bien que véridiques, pourraient décrédibiliser la série – comme les berserkers, très discrets. Vikings propose donc une vue de la société nordique en satisfaisante conformité avec les recherches historiques ; un petit groupe communautaire (dont le symbole est la « maison commune) placé sous la « tutelle » d’un mâle adulte élu (bon, dans la série, les élections sont un peu de forme… euh… autocratique) ; l’importance de la gente féminine dans les orientations politiques et sociales de la famille mais aussi de la communauté dans son ensemble (les femmes libres pouvaient voter) ; la place dans le cercle familial de la religion non dogmatique qu’est la religion Asatruer (à ne pas confondre avec l’Odinisme moderne) ; et enfin (au moins durant la première saison), la prédominance des occupations agraires du « viking moyen ». Finalement, quant l’on se penche sur les trois saisons dans leur ensemble, on réalise que la réalité historique a été quelque peu « endurcie » pour donner du « nerf » au show (les vikings ne pratiquaient pas la peine de mort, le régime était démocratique, la femme était la maitresse au foyer…) sans que celui nuise trop à l’appréhension du monde.

Par contre, et cela est confirmé durant cette (excellente) troisième saison, Michael Hirst et ses collaborateurs, préférant jouer le spectaculaire et mettre en avant l’aspect « guerrier » de la société viking, évitent de traiter quelques aspects importants, qui ont justifié ce qu’aujourd’hui l’on nomme « les invasions viking ». Ils omettent de signaler que, dans la plupart des cas, ces expéditions vikings (même au IXème siècle, qui correspond à celui de l’histoire) avaient pour objectif principal le tracé de routes commerciales. Oui, de manière générale, les vikings étaient de simples commerçants, et s’ils cédaient parfois à la violence, celle-ci n’avait rien à envier à celle qui gérait la vie des palais carolingiens, lombards ou slaves. Bon, c’est vrai, faire des vikings des vulgaires camelots au long cours n’aurait peut-être pas attiré des foules de téléspectateurs. On peut donc pardonner cette omission à Michael Hirst.
Le deuxième élément, négligé au début, se voit un peu plus mis en évidence dans cette troisième saison : la recherche de terres plus accueillantes que les rudes contrées nordiques. Si les plans sur le village de Kattegat ne le laisse pas deviner, les pays scandinaves souffraient en ce début du IXème siècle d’une surpopulation, conséquence de terres difficilement arables et d’une petite « ère glaciaire » qui rendait la vie très difficile. La conquête de nouveaux territoires était donc une question de survie. Aussi, quand Lagertha Lodbrok (femme-bouclier à la beauté qui renvoie à la valkyrie Brunehilde, interprétée par la séduisante et énergique Katheryn Winnick) accepte la proposition du roi Ecbert de Wessex (Linus Roache), le téléspectateur lambda pourrait n’y voir qu’un aveu de faiblesse (de recherche de paix, pulsion féminine d’essence purement chrétienne, donc paradoxale par rapport au personnage) mais c’est en réalité l’aboutissement d’une tache : celle d’assurer la pérennité de son peuple

Une satisfaction: le développement des personnages. Cette troisième saison présente en effet des protagonistes qui, par leurs actions, dévoilent des profils qui, question immoralité ou violence, n’ont rien à envier aux raiders vikings. Cela rétablit un équilibre dans l’esprit des téléspectateurs, pose l’intrigue dans un contexte de violence qui correspond plus à une époque qu’à une communauté en particulier. Une manœuvre habile qui élève le héros (Ragnar Lodbrok) dans notre estime. D’ailleurs, ce Ragnar Lodbrock, depuis ses premières aventures, a bien évolué. Beaucoup plus complexe, il incarne désormais la pierre d’angle entre deux courants de pensées, ce qui en fait un individu plongé dans le doute, tiraillé entre son éducation, son désir d’émancipation aux fragrances messianiques et son attirance (pleine d’ambigüité) envers Athelstan (George Blagden).

Mais Ragnar Lodbrok n’est pas le seul personnage digne d’intérêt. Si Lagertha Lodbrok continue d’incarner de belle manière l’intelligence politique (elle symbolise l’avenir du peuple viking et ses capacités d’intégration), on retient surtout la mise en avant de deux personnages jusqu’alors secondaires, le moine copiste Athelstan et le mystique armateur Floki (Gustaf Skargård). La manœuvre est assez basique, l’un incarne la nouvelle et l’autre l’ancienne religion (alors que Rollo, joué par Clive Standen) incarne les vieilles traditions), mais elle fonctionne plutôt bien, chaque personnage ayant été suffisamment étoffé durant les précédentes saisons. Le premier est sûr de lui, près au martyr, le second est apeuré, sur la défensive, effrayé par ce qu’il ne comprend pas. Le choc est violent. Dans le même temps, à Kattegat, la reine Âslaug (l’envoûtante Alyssa Sutherland) matérialise les derniers sursauts de la civilisation nordique. Enfin, Michael Hirst nous rappelle son gout pour les légendes arthuriennes avec le développement du personnage de Kwenthrith (Amy Bailey), la princesse de Mercie, qui évoque la fée Morgane, séductrice et ensorceleuse. A noter que le roi Aelle de Northumbrie, qui dans la Geste des Danois, est l’exécuteur de Ragnar, n’a encore ici qu’un rôle très secondaire.

Au final, si Vikings ne peut être appréhendé comme une série historique, elle est ce qui s’en rapproche le mieux si l’on s’intéresse à la civilisation nordique et à l’histoire des Ages Sombres. A côté de cela, c’est un excellent show, remarquable sous tous ses aspects techniques et artistiques, qui ne pèche que très rarement lorsqu’il subit les digressions fantastiques d’un scénariste autrement inspiré.
Ma côte : 4/5
Vikings (2013 – )
Une série créée par Michael Hirst
Un show History Channel USA / History Canada
Diffusé en France sur Canal + et W9
Avec: Travis Femmel (Ragnar Lodbork), Clive Standen (Rollo Lodbrok), Gustaf Skargård (Floki), Katheryn Winnick (Lagertha), George Blagden (Athelstan), Jessalyn Gilsig (Siggy Haraldson), Maude Hirst (Helga), Alyssa Sutherland (Âslaug), Jefferson Hall (Torstein), Alexander Ludwig (Bjorn Lodbrok), Linus Roache (roi Ecbert)…
Le magnifique thème de Vikings, composition du groupe Fever Ray