Après l’original L’espion de l’empereur (qui fait renaître avec habileté le célèbre Schulmeister), le scénariste Bruno Falba revient au sujet Napoléonien avec une œuvre ambitieuse : Waterloo. En cette année de bicentenaire de la bataille, le scénariste, qui nous a récemment offert un excellent volet de la série Opération Overlord (le tome 4, sur le commando Kieffer), se propose de nous faire redécouvrir l’une des plus célèbre bataille de l’Histoire. Pour ce faire, il prend comme matériaux les confidences de Dominique-Jean Larrey, responsable du service de santé de la Grande Armée, fidèle serviteur de l’empereur, tombé dans les mains des Prussiens et qui, au lendemain de la bataille, après avoir été sauvé de justesse du peloton d’exécution (véridique, il avait confondu avec Napoléon) se retrouve attablé avec Blücher, à qui il se confie.
En prenant comme narrateur l’un des principaux témoins de la bataille, reconnu par ses contemporains pour son intégrité, auteur de mémoires ayant grande valeur documentaire, Bruno Falba fait le bon choix. En l’opposant amicalement, assis à la même table que le plus acharné – mais éminemment respectable – adversaire du Petit Caporal, il plonge le lecteur dans une ambiance de véracité. Confortablement installé, ce dernier se retrouve dans les meilleures dispositions pour, et je pèse mes mots, découvrir l’un des meilleurs ouvrages de vulgarisation qu’il ait été construit sur le sujet.
Le scénario de Bruno Falba nous transporte dans les Cents Jours, au côté de l’Empereur. S’il passe rapidement sur le retour triomphal de l’Ogre (comme le surnomme ses ennemis), le récit ralentit aux abords de Ligny, histoire de nous faire découvrir à l’occasion de cette ultime victoire de l’Empire les signes annonciateurs d’une catastrophe ; la santé défaillante de Napoléon mais aussi un état-major défaillant, privé de ses meilleurs éléments (ah !!! Berthier, Berthier…) et miné par les hésitations de maréchaux ramollis par le luxe. Au fil des pages, s’appuyant sur un story-board extrêmement lisible de Christophe Regnault, la complexité de la situation lève son voile d’interrogations. Et si Ney en prend plein la poire, la gratuité n’est pas de mise…
Ligny et Quatre-Bras, les occasions ratées, mais aussi les stigmates d’une entité minée de l’intérieur, font place, le fameux 18 juin 1815, à la bataille de Waterloo qui aurait pu se nommer, comme le précise Jean Tullard, la bataille de Mont-St-Jean ou de La Belle-Alliance. Heure après heure, Bruno Falba, aidé par les dessins classiques, efficaces et souvent spectaculaires (cf. la charge des Scot Greys dans la double planche 66-67) de Maurizio Geminiani, dissèque sans compromission un affrontement qui, par la défaite le l’Empereur, peut apparaître comme une sorte de « reboot » historique puisque annihilant quasiment quinze années de conquête.
Waterloo ne se montre pas plus tendre envers Napoléon qu’envers son état-major. Si Bruno Falba accorde à l’empereur quelques circonstances atténuantes, il met bien en avant que c’est lui qui a nommé Soult à la tête de l’état-major, qui s’est privé de Davout et de Murat et qui a réhabilité Ney dans son commandement, malgré les avertissements de Ligny. Et, de plus, c’est encore lui qui a confié à Grouchy, un homme fidèle et appliqué, certes, mais timoré, un rôle trop grand pour lui. Bref, Bruno Falba se conforme aux idées du temps en remettant les choses à leur place. Napoléon a fait des erreurs.
Si Blücher dévoile son tempérament combatif et intègre, Wellington, dans Waterloo, reste l’énigme. Tout comme il était pour Napoléon, qui ne l’avait jamais rencontré avant cette date. Là encore, peut-être en le sous-estimant, mais du moins en étant trop sûr de sa supériorité tactique, l’Empereur a failli. En décidant de retarder l’attaque pour permettre au terrain détrempé de sécher un peu (un espoir vain), l’Empereur a commis une erreur inhabituelle qui, ajoutée aux errements des généraux, a conduit à la défaite. Au regard de la situation, est-ce que lancer l’attaque deux heures plus tôt aurait changé les choses ? Difficile à dire.
Si les 82 planches de Waterloo composent un pur régal de lecture pour l’amateur d’histoire militaire, elles ne sont pas les seuls éléments de ravissement. L’ouvrage se conclut en effet par un dossier d’une vingtaine de pages rédigé par l’un des plus grands (sinon LE plus grand) spécialiste dans le domaine : Jean Tulard. A travers ce dossier, Jean Tulard nous parle de l’avant-bataille, de la bataille, met quelques points sur les i (« Les Cent Jours ne sont pas ceux que Napoléon a passés au pouvoir en 1815 mais ceux où Louis XVIII a été absent de Paris ») mais il parle aussi de sa légende, à grand renfort de croquis, d’exemples, de discographies et de filmographies. Un discours argumenté, passionné (normal quand on connait l’homme), qui met en évidence que Waterloo est bien plus qu’un grand fait d’armes : Waterloo est l’un plus grand accomplissement romantique de l’histoire de l’humanité.
Ma côte : 5/5
Waterloo, le chant du départ
Scénario de Bruno Falba
Dessin de Maurizio Geminiani
Story Board de Christophe Regnault
Encrage de Christian Dalla Vecchia, Maurizio Géminiani
Couleurs de Luca Bancone, Mad5 Factory
96 pages
Paru aux éditions Glénat ( mai 2015)