De manière générale, je ne m’intéresse que rarement à la stratégie militaire opérationnelle, et encore moins aux conflits contemporains. Je ne possède donc que quelques vagues connaissances sur le sujet, principalement centrées autour des guerres d’Indochine et du Vietnam. Des conflits qui commencent à dater. En conséquence, je me considère comme assez candide dans le domaine. De l’opération Serval au Mali, qui s’est déroulée en 2013, je ne connaissais, avant la lecture de cet ouvrage, que ce m’avait appris mon quotidien habituel et les journaux télévisés de 20h00. C’est-à-dire pas grand-chose. Par ailleurs, j’avoue que cela ne m’empêchait pas de dormir. Certes, non. Comme le dit trivialement un dicton populaire ; la guerre au Mali, ça m’en touchait une sans faire bouger l’autre… Jusqu’à ce qu’une célèbre émission radiophonique me fasse découvrir le général Bernard Barrera.
Bernard Barrera, c’est l’officier supérieur responsable de l’opération Serval et également l’auteur de ce livre. En l’écoutant, j’ai découvert un homme charmant et modeste, riche d’une belle érudition, positif mais lucide quand il s’agit de traiter de la question militaire, à la sérénité charismatique, et doté d’un humour contrastant avec le sérieux de sa fonction. Le type bien. Genre colonel Trautman, sauf que lui, ce n’est pas du cinéma. Le style de bonhomme que tu pourrais suivre jusqu’au bout du monde. Vous me direz, cela tombe bien, il est général de l’armée de terre. Bref, durant les quelques minutes qu’ont duré cette interview, le général Barrera s’est penché, au moyen de mots simples, à expliquer aux animateurs et aux auditeurs les composantes de son métier, celui d’officier supérieur, chef d’opération sur le terrain, et la nature des engagements des troupes françaises au Mali. Il nous a aussi parlé de ses hommes. Avec une affection extrêmement touchante, et une voix teintée d’émotion retenue quand il en venait à parler du caporal Cedric Charenton ou du sergent-chef Harold Vormezeele, qui figurent parmi les soldats tombés pour la France. C’est surtout ce dernier aspect qui m’a conduit à la lecture d’Opération Serval, un ouvrage construit à partir de notes relevées par le général dans son petit calepin, au fil des jours, « assis sur une malle faisant office de siège ou sur un coin de table faite d’une planche et de tréteaux ».
Opération Serval est un passionnant récit de 420 pages dans lequel le général Barrera se livre à deux exercices littéraires simultanés : un rapport détaillé et explicite (avec l’appui de nombreuses cartes) des nombreuses opérations militaires livrées dans les régions de Tombouctou, Tessalit et Gao et un récit plus intimiste, qui nous fait vivre le quotidien de ces 5000 hommes envoyés par la France pour lutter contre la barbarie et l’intégrisme. A cette occasion, on découvre les difficultés rencontrés par les militaires sur le terrain (la chaleur épouvantable, les maladies infectieuses qui encombrent l’infirmerie, le manque d’eau potable) mais aussi les problèmes techniques et logistiques, principalement dus aux restrictions budgétaires. Au Mali, les soldats des différents GTIA (Groupement Tactique Inter-Arme) ont dû lutter contre les djihadistes mais aussi contre les défaillances logistiques dans le ravitaillement en pièces détachées (un problème qui fit qu’au bout de deux semaines la moitié du parc de VBCI, VBA et hélicoptères de combat était non opérationnel) ou en équipement (comme la rupture de stock de chaussures, incident qui peut paraître impossible au sein d’une armée occidentale du XXI° siècle). Des difficultés qui s’ajoutent aux rudes conditions climatiques et à l’inconfort des installations. Alors, l’opération Serval, c’est aussi un déballage de système D que même les colonels et les généraux doivent appliquer. On se douche avec un quart de bouteille d’eau, on lave son propre linge… quand c’est possible. C’est-à-dire pas souvent.
Durant les quatre semaines qu’a duré l’opération, la brigade Serval n’aura perdu « que » quatre hommes, contre des centaines pour les djihadistes. Le général Barrera nous explique, par les faits, sans esbroufe, les raisons de ce succès. Avec une grande fierté. Il attribue la pleine réussite de l’opération à la bonne formation de l’ensemble des hommes composant la brigade, du simple soldat à l’officier, qu’il soit légionnaire (le 2ème REP était présent), Marsouin du 21ème ou du 1er RIMa, Gaulois du 92ème RI, artilleurs du 11ème RAMa ou membres d’équipage du GAM (hélicoptère de combat). Pensant en militaire consciencieux, soucieux de la vie de ses hommes, pour lui, l’essentiel repose sur la préparation et la bonne utilisation des moyens inter-arme, qui ont été pleinement exploité au Mali. Mais aussi, dans des prises de responsabilité et une minutieuse étude du terrain d’opération (c’est incroyable le nombre de fois où ce général deux étoiles a quitté ses PC pour se rendre sur les différents fronts pour prendre connaissance de la situation mais aussi de l’état physique et moral de ses hommes).
En plus des rapports détaillés sur les différentes opérations menées dans les différents terrains maliens (le désert du sud saharien mais aussi des zones montagneuses arides difficile d’accès et propices aux embuscades), Opération Serval nous apprend, ou nous rappelle, qu’une grande amitié lie la France et le Mali, et que les troupes françaises y ont été accueilli comme des libérateurs. Des citoyens maliens qui ont d’ailleurs largement contribué au succès de l’opération en fournissant aux Français et leurs alliés Africains d’utiles renseignements sur les positions djihadistes. Des contacts amicaux, loin des ambiances hostiles rencontrées en Afghanistan, qui amènent au texte une chaleur bien plus agréable que les 45° dans lesquels furent plongés ces défenseurs de la liberté, si injustement mésestimés dans notre pays. On apprend aussi que cette même amitié lie les Français avec les troupes tchadiennes et maliennes qui ont participé, avec une belle efficacité, aux opérations organisées par les PC du général Barrera. Cette coopération n’a pas manqué, d’ailleurs, de poser quelques soucis au général, les troupes africaines manœuvrant différemment des Français et utilisant des équipements proches de ceux des terroristes (comme les pickup équipés de mitrailleuses lourdes), un aspect pouvant amener des confusions dramatiques.
Le récit du général Barrera est également riche en souvenirs, des événements de l’opération Serval réveillant en lui les souvenirs bien vivaces de la Guerre Froide ou du Kosovo, deux théâtres qu’il a vécus comme jeune officier puis colonel. Un aspect nostalgique qui peut apparaitre comme un excès de sentimentalisme patriotique un brin désuet, auquel on peut ajouter un paternalisme tout militaire, mais qui apparait vraiment comme sincère. Mais au-delà de cela, ces passages sont intéressants de part les conclusions qu’elles amènent : même si les technologies militaires ne cessent d’évoluer, la guerre reste une histoire fondamentalement humaine, qui suit toujours les mêmes codes, devenus aujourd’hui complètement obsolètes dans le monde civil.
Ma note : 4/5
Opération Serval – Notes de guerre – Mali 2013
Un livre du général Barrera
Editions du Seuil – mai 2015
420 pages