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guerre d'indochine Cadeau

Là, au hasard d’une rizière, au bord d’une route ou à l’extrémité d’un pont, on peut voir, inscrits dans le paysage vietnamien, les ouvrages bétonnés de ce qui fut la ligne de Lattre…

Pour les nouvelles générations, la guerre d’Indochine reste un mystère. Pour beaucoup de Français nés après-guerre, ce conflit apparaît comme un simple épisode de décolonisation, un préambule tourmenté à une future guerre du Vietnam popularisée, elle, par Hollywood et les analystes américains. La faute à cette France de la IVe république, voguant comme un bateau ivre au cœur d’une Europe en reconstruction, desservie par un équipage politique querelleur, désuni et en quête d’idéologie, et dont cette lointaine colonie matérialisait le plus périlleux des récifs. L’Indochine, pour la majorité des Français du début des années 50, c’était aussi un très lointain concept, qui était placé à l’opposé de leurs préoccupations quotidiennes, le souvenir d’un empire français folklorique, le reliquat encombrant d’un passé dont la légitimité était remise en cause par les mouvances humanistes… et les communistes. Les conséquences de ce mépris a demi-organisé sont dramatiques. Parlez aujourd’hui à un de nos concitoyens, de tout âge et catégorie sociale, de la guerre d’Indochine, la plupart baragouineront quelques mots en faisant référence à Diên Biên Phu, ou avoueront simplement leur ignorance. Incroyable quand l’on sait que ce conflit s’est déroulé il y a peine soixante ans et qui a fait des centaines de milliers de morts !

Avec La guerre d’Indochine, de l’Indochine française aux adieux à Saigon 1940-1956, l’historien Ivan Cadeau contribue modestement à rattraper cette injustice. Dans cette ouvrage de 620 pages qui se pose comme un récit détaillé (appuyé par des centaines de notes en fin de livre) des opérations militaires et des entreprises diplomatiques qui ont amené le départ des Français de l’Asie du Sud-Est , Ivan Cadeau, en grand spécialiste dans le domaine, n’hésite pas à glisser, au détour des pages, de sa plume agréable et fluide, les fruits de ses réflexions et de ses critiques. Il en ressort un ouvrage argumenté, captivant, très instructif, qui parvient de la plus belle des manières à nous éclairer sur les tenants et les aboutissants, mais aussi sur les particularismes intrinsèques qui font de la guerre d’Indochine un conflit « pas comme les autres ». Et si la poussée du communisme en Asie explique en partie la défaite des Français et la fin de la colonie, Ivan Cadeau va plus en profondeur et nous dévoile d’autres pistes.

Pour l’auteur, l’une des premières causes est la dégradation de l’image de la France suite à la défaite de 1940, un véritable choc psychologique pour les autochtones qui découvrent que leurs « maîtres » ne sont pas tout-puissants. S’en suit l’érosion d’une « suprématie raciale » qui va s’amplifier avec la collaboration forcée du gouvernement de Vichy avec les Japonais, dont la politique est bâtie en grand partie sur la destruction de l’autoritarisme occidentale en Asie. Ainsi, au sortir de la seconde guerre mondiale, même si ses troupes ont repris le contrôle du pays, non seulement la France est une nation affaiblie, économiquement et militairement, mais, plus grave, son prestige est réduit à néant. Une situation propice au développement des vœux d’émancipation pour quelques peuples colonisés (les thaïs restant majoritairement favorables à la France)… et déclencheur de la guerre d’Indochine.

Très précis dans le déroulement des opérations, le récit d’Ivan Cadeau détruit quelques idées reçues, rétablit quelques vérités et remet les choses en ordres. Non, les troupes franco-vietnamiennes n’étaient pas en inférieures en nombre aux troupes du Viêt-Minh, seulement en motivation ! L’image d’Epinal de marées humaines noyant sous le nombre une poignée de légionnaires en prend un coup. Non, la défaite de Diên Biên Phu n’a pas détruit le corps expéditionnaire, qui était encore présent en force dans le Delta et en Cochinchine ! Elle fut simplement un alibi pour un désengagement. Non, le Viêt-minh n’était pas le seul mouvement nationaliste ! Il est devenu prédominant grâce au soutien du bloc communiste. Ivan Cadeau met en évidence l’influence de la Chine sur le déroulement du conflit à partir de 1949, sur le double-jeu mené entre 1945 et 1956 par les Américains – des « amis » bien particuliers – et remet sur la table d’expertises les dossiers de compétences des états-majors de Navarre, Salan et les autres généraux ayant eu en charge le problème indochinois. Enfin, lors des récits sur les batailles de Dalat, de la RC5, de Dong Khé, de Na San ou de Diên Biên Phu, Ivan Cadeau dépasse le niveau opérationnel pour nous amener auprès de ces hommes du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient); métropolitains; nord-africains; africains; thaïs  et légionnaires, oubliés de la France, boudés par l’opinion publique (voir méprisés) dont la seule faute était d’être des professionnels au service d’un Etat incompétent. Des patriotes malchanceux.

Encore une très grande leçon d’histoire. Chez Tallendier, comme d’habitude.

Ma note : 5/5

La guerre d’Indochine – De l’Indochine française aux adieux à Saigon 1940-1956
Un livre d’Ivan Cadeau
Paru aux éditions Tallendier (avril 2015)
620 pages – 26,90€