Et si la France avait continué la guerre ? Cette question, nombre de théoriciens et d’historiens se la sont posée. Pour s’aider dans ce travail spéculatif, la plupart d’entre eux s’appuie sur un cas réel, celui de la guerre franco-prussienne de 1870. Pour construire la trame de leur bande dessinée, dont le tome 1, Le grand déménagement, vient de paraître aux éditions Soleil, les auteurs – le scénariste Jean-Pierre Pécau et le dessinateur Jovan Ukropina, récupérant l’essai-fiction de Jacques Sapir, Frank Stora et Loïc Mahé (1) – se sont en partie inspirés de ce fait historique… et ont pris l’option de chambouler un peu de déroulement des événements de juin 1940.
Si le scénario nous invite à suivre les aventures de trois jeunes gens plongés dans la tourmente de la débâcle française, ce premier volet est presque entièrement consacré à la lutte intestine entre les partisans de la paix et ceux de la guerre. Les premiers veulent signer un armistice pour, officiellement, éviter de voir la France saignée à blanc. En réalité, nombre d’entre eux sont des anglophobes convaincus et des germanophiles. Le deuxième refuse le déshonneur de la défaite, et sont les partisans d’une continuation de la guerre à partir de l’empire français. Historiquement, on le sait, Paul Reynaud, alors président du Conseil, a plié sous l’influence des premiers et… soit disant, sous celle de sa compagne, la comtesse Hélène de Portes.
Voulant éviter probablement d’entrer dans un débat délicat, qui depuis des années se fait en partie le reflet d’un ignoble sexisme, Jean-Pierre Pécau a décidé de faire d’Hélène de Portes la grande absente des négociations du 13 juin 1940. Dans Et si la France avait continué la guerre, Hélène de Portes, l’une des femmes les plus détestées de l’Histoire (2), meurt début juin dans un accident de voiture, place de l’Alma (3), avant que ne s’installent les négociations de Tours. Paul Reynaud se voit ainsi libéré de son influence et le scénariste d’éviter les délicates prises de position (même s’il met en évidence que la maîtresse du président du Conseil était favorable à la paix). A côté de cela, il attribue à Paul Reynaud une force de caractère plus marquée qu’en réalité. Du moins, si l’on se fie aux témoignages des hommes politiques présents lors des réunions.
Ce premier tome pose également un regard sur la situation générale de la France lors de ce mois de juin 1940. Un bordel que l’on pourrait presque qualifier de joyeux s’il n’était pas miné par les attaques aériennes allemandes, le manque de répondant des forces françaises, complètement désorganisées, et le désintérêt des civils. Un manque d’implication des citoyens qui est matérialisé ici par un pompiste désabusé et privé de tout élan patriotique et une population parisienne qui tente de vivre son quotidien comme s’il ne se passait rien – alors qu’au-dessus de leurs têtes leurs pilotes livrent un combat désespéré. Une prise de position qui n’engage que ses auteurs. En fait, ce tome pèche seulement par le manque d’intérêt que dégage l’histoire d’Yvon, Marianne et Jules, un trio assez banal, soudé par la passion de l’aviation. Mais, il s’agit d’un album d’introduction, attendons la suite pour juger.
Reste que le scénario est agréable à suivre, Jean-Pierre Pécau et Jovan Ukropina amenant suffisamment de rythme pour rendre digestes les joutes verbales délivrées dans les salles du château de Tours. Le dessinateur nous offre également le fruit d’un bon travail à l’occasion de quelques planches de combat aérien, l’ensemble dégageant une belle dynamique. A noter également l’emploi d’un trait précis et régulier, très utile dans les scènes où évoluent de nombreux personnages, le lecteur n’ayant aucun mal à identifier les différents intervenants.
(1) 1941-1942 – Et si la France avait continué la guerre…, de Jacques Sapir, Frank Stora et Loïc Mahé , aux éditions Tallendier (2010)
(2) « C’est une dinde, comme toutes les femmes qui font de la politique », déclarait à son sujet le général de Gaulle, mais d’autres « spécialistes » vont encore plus loin dans la muflerie,poussant jusqu’à l’ignominie, comme Hervé Bentégeat dans son brulot Et surtout, pas un mot à la maréchal (Albin Michel – 2014), qui traine dans la boue Pétain et son entourage.
(3) Victime d’un accident de voiture en compagnie de Paul Reynaud, la comtesse Hélène de Portes est décédée le 28 juin 1940. Alors que le couple se dirige vers le sud-est, leur véhicule quitte la route et percute un arbre. Agée de 38 ans, Hélène de Portes meurt sur le coup, décapitée. Paul Reynaud, légèrement blessé, est hospitalisé à Montpellier.
Ma note : 3/5
Et si la France avait continué la guerre – tome 1 – Le grand déménagement
Scénario : Jean-Pierre Pécau
Dessin : Jovan Ukropina
Couleurs : Tanja Cinna
Paru aux éditions Soleil (Septembre 1914)
55 pages