5 etoiles

les hommes d'hitler

Encore aujourd’hui, le personnage d’Hitler fascine autant qu’il terrifie. Il est même sacrément d’actualité. En cette période difficile où l’Europe est en proie à l’une de ses plus grandes crises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, son icone symbolise LA menace, à la manière d’une épée de Damoclès suspendue au-dessus des démocraties. Mais, pour les plus avisés, la mémoire du führer peut également faire office d’avertissement. Son souvenir nous rappeler que, même pour les peuples les plus « évolués », la Roche Tarpéienne de l’extrémisme ne se situe pas très loin du Capitole des libertés. Et que le peuple allemand de l’entre-deux guerres n’était pas plus malsain que les populations européennes de ce début du 21ème siècle. Il était juste en situation de désespoir. Tiens, comme certains ne mes compatriotes, aujourd’hui.

Avec ce livre, Les hommes d’Hitler, il n’est pas dans le but de Jean-Paul Bled, éminent spécialiste du nazisme, professeur émérite à l’université de Paris-IV-Sorbonne, d’analyser l’ascension du führer, ni de projeter son ombre brune dans le contexte actuel. Nombre de dossiers existent déjà, et la documentation est riche et abondante, pour celui qui chercherait à aller au-delà des clichés. Non, Jean-Paul Bled vise avec cet ouvrage à nous rappeler que celui que nombre d’Allemands ont considéré pendant vingt ans comme le sauveur de leur nation ne s’est pas construit tout seul. Qu’autour de lui gravitait un conglomérat bouillonnant de personnalités affichant des profils et des aspirations divers mais qui, tous, à un moment de leur vie, ont été les féaux serviles d’Hitler. Pour mettre en forme ce livre, l’auteur s’est appuyé sur les résultats des différentes recherches effectuées au cours de ces dernières années (vieux documents, lettres…). En conséquence, sans faux discours, il égratigne de nombreux mythes, rétablit quelques vérités, pour nous dresser le panorama effrayant d’une cour infernale où s’agitent le diable Hitler et ses serviteurs démoniaques.

Mais la foule de cette cour était nombreuse et fluctuante. Nous sommes Légion, comme disait l’autre. Jean-Paul Bled a donc dû alors faire des choix arbitraires. Cela n’a pas dû être facile. Il a au final sélectionné vingt-trois personnalités, auxquelles ils consacrent plusieurs dizaines de pages pour composer des portraits d’une précision admirable. Toutes ont fait partie, du moins pendant un moment, du proche entourage d’Hitler. Certaines sont restés fidèles jusqu’aux derniers instants du régime, d’autres ont trahi, enfin certaines, jugées inutiles ou dangereuses, ont été « effacées » par leur maître. Pour faciliter la lecture, l’auteur a regroupé ces grands noms du nazisme en six catégories, ou chapitres.

Le premier chapitre, intitulé Les idiots utiles, d’après un dénominatif péjoratif emprunté à Lénine, traite de Franz van Papen, Werner von Blomberg et Hjalmar Schacht. Trois personnalités politiques, extérieurs au NSDAP, qui, voulant se servir d’Hitler à leur profit, ont finalement « joué un rôle essentiel dans l’avènement d’Hitler », avant d’être mis sur la touche, pour finalement perdre tout crédit. Parmi ces personnalités, Franz van Papen reste le plus remarquable. Non pas par son importance, mais par sa faiblesse affichée, un manque d’orgueil qui l’amène dans une chute qui débute au poste de vice-chancelier pour s’achever dans une ambassade d’Ankara. Pathétique.

Le deuxième chapitre, baptisé Le premier cercle, regroupe les personnalités nazies les plus connues du grand public. Tous, sauf Hess, ont subi les peines les plus lourdes au procès de Nuremberg ou l’ont évité par le suicide. Hermann Göring, le mégalomane amateur d’art, Rudolf Hess, le traître honni, le leader du parti nazi qui croyait pouvoir négocier avec Londres, Joseph Goebbels, l’homme de la propagande, l’ambitieux dénué de tout scrupule qui a construit l’image du führer, Heinrich Himmler, le grand maître de la SS, organisateur de la Solution Finale, Martin Bormann, ombre et homme de confiance d’Hitler et enfin Albert Speer, surement le moins connu – peut-être parce qu’il fut écarté progressivement de ce cercle à partir de 1943 – mais qui, en responsable du Plan d’armement, joua un très grand rôle au sein du Reich. Tout en nous racontant les destinées de ces intimes du führer, Jean-Claude Bled nous dévoile que, loin d’être harmonieux, ce groupe d’hommes était laminé par les jalousies, les ambitions et de profondes inimitiés. Un véritable nid de vipères. Iznougoud, à côté de ces intrigants, fait figure d’amateur.

Les civils composent le troisième chapitre. On y trouve les grands « penseurs » du nazisme, les éminences grises de la folie xénophobe et antisémite. Ces grands dignitaires constituent, pour l’auteur, le « second cercle ». La plupart ont vu leurs ascensions bloquées par les membre du « premier cercle ». Certains, à trop vouloir de rapprocher de leur soleil, le führer, s’y sont brûlés les ailes. Comme Wilhem Frick, ministre de l’Intérieur en 1933, qui n’a pu résister aux machinations de Borman et d’Himmler, ou Hans Frank, pourtant nazi convaincu et admirateur d’Hitler, co-responsable de l’assassinat de 60 000 Polonais, qui se verra progressivement marginalisé dans les dernières heures de la guerre (ce qui ne l’a pas empêché d’être condamné à mort à Nuremberg). Le cas d’Alfred Rosenberg est un peu différent puisqu’en qualité de grand théoricien de l’idéologie nazie, inspirateur de l’Ordre Noir, il bénéficiera toujours une aura imposante, sans toutefois arrivé à s’imposer dans l’entourage d’Hitler. Autres nazis notables, Joachim von Ribbentrop et Baldur von Schirach sont décrits par Bled comme des hommes ambitieux mais peut-être pas suffisamment retords pour se faire une place de choix dans l’entourage du führer. Il n’empêche que les deux hommes ont joué un grand rôle dans la politique du Reich, le premier de par ses influences dans le milieu des ambassades, le second pour son zèle à servir l’idéologie prêchée par son maître, notamment à travers la création de la Hitlerjugend (Jeunesses Hitlériennes). Enfin, Bled nous parle du cas Reinhard Heydrich, l’âme damnée d’Himmler, créateur et animateur des commandos Einsatzgruppen, responsable de la « Shoah par balles » qui coûta la vie à 800 000 juifs, et inspirateur de la Solution Finale. On se demande encore aujourd’hui ce qu’il serrait devenu si, le 27 mai 1942, à Prague, la grenade de Jan Kubis, un résistant tchèque, n’avait pas mis un terme à sa monstrueuse carrière.

La quatrième partie est consacrée à trois militaires aux profils controversés. Aucun n’était des nazis convaincus, certains véhiculent même des images assez respectables. Pourtant, depuis les années 70 et les derniers travaux effectués, ces images se sont ternies. Tous, s’ils n’étaient pas des fanatiques accrocs à l’idéologie nazie ou des antisémites acharnés, ont cautionné, au moins par leur silence avoué, la politique du troisième Reich. Les seuls désaccords qu’ils osaient afficher devant Hitler touchaient les domaines militaires. Oui, s’appuyant sur une solide argumentation qui retrace la carrière de ces grands militaires, Jean-Paul Bled nous démontre que Heinz « le rapide » Guderian, Erwin Rommel « le renard du désert » et l’amiral Karl Dönitz n’étaient pas aussi innocents que leurs contemporains l’ont affirmé. Quand au quatrième larron, le général Wilhelm Keitel, il apparaît comme un cas particulier de par son engagement dans le parti nazi. Véritable larbin d’Hitler, il épousa totalement les méthodes du parti pour faire de la Wehrmacht un corps presque aussi peu respectable que la SS.

Dans le cinquième chapitre, celui des artistes, figure la seule femme présente dans ce livre. Il est vrai que dans ce régime extrêmement misogyne, les femmes n’accédaient guère à des places de pouvoir. Leni Riefenstahl est l’une des exceptions. L’auteur nous invite à suivre le parcours de cette femme belle et ambitieuse qui l’amènera dans l’entourage d’Hitler, pour devenir la cinéaste officielle du troisième Reich. Le talent, car elle en était bien dotée, au service du Mal. L’autre personnalité a également contribué à la postérité d’Hitler. Il s’agit d’Heinrich Hoffman, compagnon de la première heure et photographe personnel du führer. Un destin étonnant, qui eut un fort impact sur celui d’Hitler (c’est lui qui lui présenta Eva Braun). En permanence présent dans son intimité, y compris dans le bunker, Hoffman fut peut-être le plus proche confident d’Hitler.

Enfin, le sixième chapitre est consacré à deux personnalités importantes, qui ont joué un rôle essentiel dans la montée du NSDAP : Ernst Röhm et Gregor Strasser. Les deux furent les victimes de la Nuit des longs couteaux, série d’assassinats perpétrés entre le le 29 juin et le 2 juillet 1934. Ernst Röhm, proche ami d’Hitler, nazi de la première heure, est éliminé en sa qualité de chef de la SA, une milice brune devenue trop puissante et encombrante au gout du führer. Le second, bien que retiré de la politique, restait une importante figure du parti qui incarnait une ligne politique trop divergente de celle du führer. Au fil des pages, l’on découvre la triste destinée de ces hommes mais aussi le machiavélisme démoniaque d’Hitler, qui contribua à faire de lui le maître de l’Allemagne.

Un livre à lire absolument.

LES HOMMES D’HITLER
Un livre de Jean-Paul Bled
Paru aux éditions Perrin (aout 2015)
504 pages. 24,90€