spanish wars

Ce  modeste billet est le premier d’une série de petits articles consacrés à ce que les historiens ont baptisé Les Guerres des plaines : une succession de crises ouvertes et de campagnes militaires qui débuta dans l’ouest américain au début du 18ème siècle pour s’achever, officiellement, le 29 décembre 1890, avec le massacre de Wounded Knee. Popularisées par le western hollywoodien, les Guerres des plaines peuvent apparaître aux yeux du grand public comme une « petite guerre »  accompagnant la conquête des grandes plaines de l’Ouest par les colons américains. Une vision grossière et imparfaite qui néglige de prendre en considération l’immensité du territoire nord-américain, la multiplicité des populations autochtones et les différentes politiques coloniales menées en amont par les nations européennes.

En 1963, pour des raisons pratiques, dans son ouvrage traitant du conflit (The Military Conquest of the Southern Plains), William H. Leckie définit deux théâtres d’opération : les plaines du sud et les plaines du nord. Il s’appuie non seulement sur des données ethnographiques, culturelles et géographiques mais y ajoute aussi une variable : l’origine et la nature  des courants d’influence extérieurs (évangélisation, colonisation et campagnes militaires). Ce découpage, certes un peu arbitraire, a depuis été globalement adopté par tous les spécialistes qui se sont penchés sur le sujet. Aussi, du  nord au sud, les plaines du sud s’étendent de la rivière Platte jusqu’au Rio Grande et, de l’est à l’ouest, du 98ème méridien au Montagnes Rocheuses. Quant aux plaines du nord, elles couvrent les états actuels du Wyoming, du Nebraska, de l’Utah, du Montana et des Dakotas, jusqu’à la frontière canadienne.

Comme l’écrit Charles M. Robinson, ce choix permet de différencier nettement deux « fronts » bien séparés, « aussi éloignés l’un de l’autre que l’étaient les fronts européens et Pacifique durant la seconde guerre mondiale » (The Plains Wars 1757-1900, Charles M. Robinson III, Essential Histories 2003). Dans les Plaines du sud, le conflit atteint son point culminant durant la guerre de la rivière Rouge (1874-1875). Dans le nord, c’est à l’occasion de la grande guerre Sioux de 1876-1877. Ces deux luttes armées, très violentes, sont les conséquences d’une forte augmentation des efforts expansionnistes orchestrés par le gouvernement fédéral, au cœur de régions depuis longtemps sujettes à de nombreuses tensions. Des tensions qui n’ont pas débuté, comme on pourrait le croire, dans les grandes plaines du Wyoming, mais à la fin du XVIIe siècle dans des zones qui deviendront le Texas et le Nouveau-Mexique.

Les indiens de la nation Caddo, absorbée ou éliminée par les Comanches et les Apaches au cours du XVIIIIe siècle
Les indiens de la nation Caddo, absorbée ou éliminée par les Comanches et les Apaches au cours du XVIIIIe siècle.

LE NATIF

Avant d’aller plus avant, force est d’apporter quelques précisions sur le mode de vie des peuples d’Amérique du Nord. Qu’il soit des plaines ou des territoires de l’est, l’Amérindien n’a pas grand-chose à voir avec l’image poétique et paisible qui est actuellement transportée par les courants de pensée les plus naïfs. Dans l’esprit de certains rêveurs, c’est l’homme blanc qui a amené chez les Indiens la guerre et la violence. Hors, l’image d’Epinal du vieil indien plein de sagesse, assis au coin du feu,  délivrant ses belles pensées à ses pairs, relève bel et bien du mythe. La chasse et la guerre composent depuis toujours le quotidien du Sioux, du Comanche, de l’Arapaho ou du Kiowa. Dès le plus jeune âge, le jeune indien est éduqué pour devenir un guerrier et la mort violente, à la chasse ou face à un ennemi, est beaucoup plus honorable que de s’éteindre de vieillesse. D’une nécessité de survie au sein d’un environnement hostile est née une société guerrière et tribale extrêmement hiérarchisée et  hégémonique, les tribus les plus faibles vivant sous le joug des tribus les plus puissantes. Comme le signale avec pertinence Charles M. Robinson, cet état d’esprit a notamment posé de gros problème au gouvernement fédéral durant la seconde moitié du XIXe siècle, leurs tentatives de négociation  étant souvent interprétées par les chefs de tribu comme un aveu de faiblesse.

Cependant, aussi tumultueux qu’est le mode de vie des Amérindiens avant l’arrivée de l’homme blanc, il existe un certain équilibre. Chaque tribu étant séparée de sa voisine par des distances ne pouvant être parcourue aisément à pieds, les intrusions en territoire de chasse ennemi sont donc limitées, ce qui ne veut pas dire inexistantes (le guerrier indien étant en permanente quête de reconnaissance virile et de prises de guerre – principalement des femmes). Mais au début du XVIIIe siècle, un élément allait changer la donne. En effet, l’installation des premiers colons espagnols dans les Grandes Plaines est accompagné par l’apparition d’un moyen de locomotion jusque là inconnu des autochtones : le cheval.

CORONADO ET LES PREMIERES COLONISATIONS ESPAGNOLES

Les premiers blancs à explorer les grandes plaines du Sud sont les Espagnols. En 1540, le conquistador Francisco Vásquez de Coronado, parti du Mexique à la recherche de la cité mythique de Cibola (l’El Dorado du nord) pousse jusqu’au Kansas et explore les états actuels du Nouveau-Mexique, du Colorado (il découvre le Grand Canyon) et du Texas. Ses contacts avec les populations locales sont nombreuses et connaissent des destinées diverses. Parfois, on en vient aux armes.  Au final, le conquistador est déçu. Durant son exploration de la région, Coronado ne découvre rien qu’il ne juge digne d’intérêt. De son voyage, il ne rapportera qu’un récit citant des régions pauvres, où vivent des tribus misérables et sous développées. Quant à la cité de Cibola, il s’avère que ce n’est qu’un misérable village d’indiens Zani. Le conquistador est de retour au Mexique en 1542. Son rapport, décevant, enterre tout autre projet de colonisation. Si tant est qu’il y en eut un.

Pourtant, quelques cent ans plus tard, les Espagnols sont de retour, principalement dans la région qui est actuellement le comté de Sonora et sur les berges des grands cours d’eau (Colorado, Brazos, Pecos). La raison de ces implantations de missions et de presidio est purement stratégique. Leur objectif est de protéger les riches mines d’or du Mexique, dont les ressources composent une bonne partie du Trésor espagnol,  en dressant une barrière de populations « hispanisées » face à la menace des autres pays occidentaux, notamment les Français, qui, venus du Québec, progressent dans leur colonisation des rives du Mississipi. Et c’est dans cette farouche rivalité franco-espagnole, qui va se combiner avec celles opposant les différentes tribus indiennes, que les Guerres des Plaines trouvent leur véritable origine.

Les mouvements de peuples après l'introduction du cheval
Les mouvements de peuples après l’introduction du cheval

RIVALITES FRANCO-ESPAGNOLES ET INTRODUCTION DU CHEVAL

En 1684, le célèbre René Robert Cavelier de la Salle, connu pour ses expéditions en Nouvelle-France et sa découverte de la Louisiane, est mandaté par Louis XIV pour marquer la présence française sur les rives du golfe du Mexique. Suite à une erreur de navigation, l’explorateur pousse un peu trop à l’est et, en 1685, il débarque avec plus de 300 colons près du site actuel de Victoria, au Texas, où il construit une place-forte, le fort Saint Louis. Même si la tentative de colonisation française connaitra un destin tragique (l’explorateur y perdra la vie), la nouvelle d’une présence française si proche des frontières mexicaines sème la panique chez les Espagnols, qui décident d’augmenter leurs efforts dans les régions du Nouveau-Mexique–  colonisées depuis le début du 17ème siècle par les moines Franciscains – et du Texas. Dés 1720, une petite série de missions est fondée dans l’est, ainsi qu’un presidio et une petite colonie, San Antonio.

Ces multiples tentatives de colonisation introduisent les chevaux dans les grandes plaines du Texas, qui sont rapidement adoptés par les tribus. Le cheval révolutionne la vie des indiens des plaines. Il leur apporte la mobilité et un plus grand rayon d’action. Ils peuvent ainsi suivre plus facilement la migration des troupeaux de bisons, dont ils tirent la grande majorité de leurs moyens de subsistance (nourritures, vêtements…). Mais ce « progrès » entraîne l’augmentation de la fréquence et de la violence des guerres tribales, chaque groupe voulant défendre son espace vital et, si l’occasion s’en présente, l’agrandir. Contrairement au Nouveau-Mexique où les tribus indiennes, regroupées sous la confédération Pueblo, composent un bloc plus ou moins homogène et donc plus stable, au Texas, la multiplicité des nations déclenche des phénomènes d’exode, les nations les plus puissantes, les Comanches et les Wichita, repoussant les plus faibles vers le Sud, c’est à dire dans les zones de colonisation espagnoles. En 1724, après neuf jours de combat, les Comanches (approvisionné en armes via les comptoirs français établis au Kansas) exterminent le clan apache Jicarilla à la bataille d’El Gran Cerro de el Fierro, sur les rives de la rivière Wichita. Cette défaite marque définitivement le déclin de la nation apache, qui va devoir quitter sa terre d’origine. C’est durant cette période que se produisent les premiers raids apaches sur les missions espagnoles. Le but principal de ces raids n’est pas de chasser l’Espagnol du Texas mais de s’approprier par la force de quantité de chevaux, qui deviennent indispensables à leur survie.

LES ESPAGNOLS FACE A LA MIGRATION APACHE

Courant 1731, les raids de bandes d’Apaches fortes de « 50 à 80 individus » s’amplifient. Les missions de San Antonio de Valero et de San José sont sujettes à des attaques. Si le but de ces raids est toujours le vol de chevaux, une femme est tuée et un enfant est kidnappé. De nombreux soldats sont blessés en défendant les troupeaux. Le 18 septembre 1731, un important raid frappe le corral du presidio de San Antonio, volant 60 chevaux. En réaction, un contingent de 25 soldats espagnols est envoyé à leur poursuite… pour se retrouver face à 500 Apaches, certains étant équipés d’armes à feu! Une bataille s’engage. Les soldats sont menacés d’extermination quand, sans raison apparente, les Apaches décrochent. La petite troupe de soldats rentre au presidio, avec un bilan de deux morts et treize blessés graves. Au presidio, l’inquiétude cède la place à la peur quand le commandant de la place, le capitaine Juan Antonio Perez, identifie les agresseurs (par les empennages de leurs flèches) comme étant un regroupement de Lipan, de Pelone et de Jumano. Une alliance inattendue, ces trois nations étant connues pour leurs querelles.

Les autorités espagnoles décident alors d’organiser une expédition pour calmer les ardeurs des Apaches et de leurs alliés. En octobre 1732, une armée menée par Juan Antonio de Bustillo y Zevallos, gouverneur de Coahuila, dont la juridiction s’étend aux missions du Texas, quitte San Antonio pour nettoyer le Texas et le Nouveau-Mexique des bandits apaches (dans une région qui sera baptisée au XIXe siècle la Comancheria). La troupe atteint un campement indien, tue plus 200 guerriers, capture une trentaine de femmes et d’enfants, et récupère 700 chevaux. Mais cela ne ralentit pas la fréquence des raids. Au contraire, chassés par les Espagnols, refoulés des zones de chasse par les Comanches, les Ute, les Wichita et les Pawnee, les Apaches luttent avec la fureur du désespoir et amplifient leur désédentarisation. Leur objectif est toujours de s’emparer de chevaux mais aussi de mousquets. Progressivement, les expéditions de vols de chevaux se transforment en raids meurtriers. Et plus les Apaches sont repoussés vers le Sud, plus ils se regroupent.

Guerriers Comanches au XVIIIIe siècle
Guerriers Comanches au XVIIIIe siècle

GUERRE ET COLLABORATION

Sous la pression des responsables des missions, qui craignent un soulèvement général semblable à celui des indiens Puebo du Nouveau-Mexique en 1680 (qui causa la mort de près de 1000 colons espagnols et l’évacuation de Santa Fé), les Espagnols tentent la voie de la négociation. Mais, malgré les efforts de Juan Antonio Perez de Almazon, et le président de la mission de San Antonio, frère Gabriel de Vergara, ces tentatives de pacification ne fonctionnent guère. Seules les tribus minoritaires, menacées d’extinction par leurs rivales, se placent sous la protection des Espagnols. Les Apaches demeurent imprévisibles… et dangereux. Ainsi, dans la région de Sonora, durant les années 1730, Espagnols et Apaches luttent pour le contrôle des troupeaux de chevaux. Les prospecteurs espagnols sont harcelés et rançonnés, les fermes sont pillées. Ne pouvant plus assurer la sécurité de ses ressortissants, les Espagnols doivent se résoudre à abandonner une à une les mines et les missions les plus isolées.

Le rythme de conversion des apaches reste d’autre part très faible. Comme le précise Elizabeth Ann Harper (Storms Brewed in Other Men’s Worlds, Oklahoma University, 1975/1996), les Apaches qui se regroupent autour des missions recherchent plus la protection des soldats espagnols contre les attaques de Comanches qu’ils n’épousent la foi chrétienne. Très souvent, leur sincérité est feinte, ainsi que leur fidélité envers les missionnaires franciscains. Dans une région secouée par les conflits inter-tribaux, la période allant de 1732 à 1748 correspond à une alternance de périodes d’accalmie et de raids sur les enclos des colons, ces derniers étant souvent suivis par des expéditions punitives espagnoles. Dans le même temps, le gouvernement de Nouvelle-Espagne renforce la protection des missions et la surveillance des tribus de la région en dressant de nouveaux presidio, comme San Pedro de la Conquista  et San Bernardo Gracia Real au début des années 1740. En 1749, une entente entre Espagnols et Apaches est enfin atteinte, avec l’attribution d’un territoire réservé aux tribus signataires (la majorité des Lipan). Cette entente perdurera jusqu’au départ des Espagnols, avec l’indépendance du Texas.

LES COMANCHES ET LA MISSION DE SANTA CRUZ

En 1757, la mission établie près de la ville actuelle de San Marcos (sur les berges de la rivière du même nom) compte une petite centaine de convertis. Les missionnaires demandent à leur hiérarchie l’autorisation de déplacer la mission et le presidio assurant sa protection en un endroit plus spacieux et hospitalier (près du site actuel de Menard, au Texas), sur les berges de la rivière San Saba, un affluent du Colorado, environ deux cents kilomètres plus au nord. Cette demande correspond à la première étape d’un grand projet qui est de fonder une série de missions qui relierait San Antonio à Santa Fé, au Nouveau-Mexique. Bien que souhaité par la majorité des moines, l’organisation de ce « déménagement » soulève de nombreux problèmes, principalement dus à l’implication du colonel Diego Ortiz Parilla, commandant du presidio, qui, dans un premier temps, ne s’entend guère avec le président de la mission, le frère Alonso Giraldo de Terreros, et qui, surtout, ne bénéficie pas de la confiance des Lipan, une nation apache occupant les terres où est situé le futur emplacement de la mission – une méfiance normale, et réciproque, quand l’on sait que Parilla était, dans les années 30, un des officiers chargés des expéditions contre les Apaches.

Le 15 avril 1757, la petite expédition espagnole arrive sur le lieu d’implantation. Contrairement aux promesses données, il n’y a aucun indien pour les accueillir. Devant cette situation suspecte, le colonel Parilla conseille aux missionnaires d’abandonner le projet, mais ces derniers refusent et entament la fondation de la mission, qu’ils baptisent Santa Cruz de San Saba, à bonne distance du presidio San Luis de las Amarillas (en l’honneur de l’actuel vice-roi de Nouvelle-Espagne, le marquis de Las Amarillas), qui est construit cinq kilomètres plus en amont, sur l’autre rive. Les prêtres se méfient en effet encore plus des militaires que des Apaches et ils les accusent d’avoir fait échoué, il y a quelques années, une mission sur la rivière San Xavier de par leur comportement indigne envers les femmes et les filles des indiens convertis. Un choix réfléchi mais dangereux. En cas d’attaque apache, les soldats seront-ils capables d’arriver sur les lieux, à temps pour sauver les missionnaires ?

PREMIERS CONTACTS AVEC LES APACHES

A la mi-juin de l’année 1757, une force de plusieurs centaines de Lipan approche la mission. Ils déclarent aux franciscains qu’ils ne viennent pas dans le coin pour se convertir mais pour chasser le bison. Alors en guerre contre les Comanches et les Hasinai (dans son ouvrage The San Sabà Massacre : Spanish Pivot in Texas, Robert Weddell cite la tribu Tejas, origine du mot Texas, mais Charles M. Robinson III, dans The Plains Wars 1757-1900, précise que le lieu de résidence de cette tribu est trop éloigné du site de San Saba pour que cela soit crédible), les Apaches se montrent très nerveux. Ils assurent cependant aux missionnaires qu’une fois la chasse effectuée et leur vengeance envers les Comanches et les Hasinai assouvie, ils reviendront leur rendre visite.  Nul ne sait ce qu’il se passa durant l’absence des Apaches mais de nombreux auteurs avancent la thèse que les Lipan ont bénéficié d’un soutien matériel des Espagnols pour leurs opérations contre leurs ennemis (en échange d’une promesse de conversion ?) et qu’ils ont laissé derrière eux les preuves de l’ingérence espagnole. Ce qui sera lourd de conséquences.

A la mission, le faible nombre de convertis mine l’ambiance. De nombreux prêtres, en désaccord avec de Terreros, quittent la mission pour retourner au Mexique. Durant l’automne, des bandes d’Apaches passent de courts séjours à la mission, profitant de l’hospitalité des prêtres, avant de repartir en direction du sud. Dans le même temps, d’inquiétantes rumeurs arrivèrent aux oreilles de de Terreros et de Parilla, qui avec le temps, ont appris à se respecter : les tribus du nord se seraient alliées pour éliminer définitivement les Apaches ! En fait, les Apaches de passage à la mission ne seraient que des individus fuyant la menace. Un échange épistolaire entre Terreros et le ministère du vice-roi nous apprend que bien que la mission peine à remplir son but, que les Indiens sont peu à se convertir et qu’un grand nombre profite de la générosité des franciscains, une entente s’établit entre les militaires du presidio et les religieux, chacun ayant compris la nécessité de collaborer.

Les ruines du presidio San Luis de la Amarillas
Les ruines du presidio San Luis de las Amarillas

LE MASSACRE DE SANTA CRUZ DE SAN SABA

Le 25 février 1758, des Indiens volent des chevaux dans un pâturage proche du presidio San Luis de las Amarillas. Lancé à leur poursuite, le sergent Francisco Yruegas, accompagné de 14 soldats, ne parvint à récupérer qu’un cheval mais découvre non loin une grande concentration d’indiens en arme. Peu de temps après, un convoi de ravitaillement venu de San Antonio est attaqué. Il n’est sauvé que par l’intervention des soldats de Parilla, mais quatre hommes sont tués. Début mars, des signaux de fumée sont détectés à l’est et au nord. La 15 mars, Parilla se rend à la mission. Il prie Terreros d’ordonner l’évacuation des lieux et l’invite à s’abriter dans le presidio. Mais Terreros, convaincu que ces agissements ne sont que des actes isolés, refuse l’offre. Parilla retourne alors au presidio, non sans avoir laissé sur place huit de ses soldats, deux canons légers, des mousquets et un grand nombre de munitions.

Le 16 mars, à l’aube, une petite armée de deux milles indiens (Comanches, Hasinai, Bidai et Tonkawa) attaquent la mission. Ils sont équipés de lances, de sabres mais aussi de mousquets. Et certains portent même des uniformes français ! Terreros, un autre missionnaire (frère José de Santiesteban), un soldat et deux civils sont tués quand un groupe de 300 indiens arrive à pénétrer dans les jardins. Alors que les autres occupants se barricadent dans des pièces de la mission, les Indiens pillent les lieux avant de les incendier. Une colonne de secours, envoyée par Parilla quand il a vu au loin la fumée de l’incendie, tombe sur des Indiens fortement armés au moment où elle s’approche de la mission. Dès la première salve de mousqueterie, trois soldats sont tués et la petite troupe doit se replier vers le presidio. Durant leur retraite, ils rencontrent quelques indiens convertis  qui ont réussi à fuir la mission en flammes. Ils leur annoncent qu’il y a eu un massacre à la mission. Avisé, Parilla abandonne l’idée de secourir la mission et ordonne de renforcer les défenses du presidio. Profitant de la nuit, les survivants barricadés dans la mission parviennent à trouver une échappatoire pour trouver refuge auprès d’une petite troupe de soldats venue pour observer les agissements des Indiens.

Trois jours plus tard, les Indiens regagnaient leurs territoires.

Au final, le raid sur la mission de San Sabà ne compte qu’une dizaine de victimes. C’est peu, certes, mais la destruction de Santa Cruz est un événement fort en symboles. Une fois connu à Mexico et à Madrid, ce « massacre » aura un impact très fort sur la politique coloniale espagnole. Il dévoile un cruel manque de moyens des colons espagnols établis au Texas, surtout que les indiens sont aidés les Français, ces rivaux qui ont des vues sur la rive droite du Mississipi. Cet événement marque aussi le véritable début des guerres des plaines du sud qui, pendant 120 ans, opposera les nations des plaines et l’envahisseur blanc.


LES COMANCHES, LES MAÎTRES DES GRANDES PLAINES DU SUD

La nation Comanche est un peuple de souche Uto-Azteque, que l’on pense originaire d’Amérique Centrale. Leur premier contact avec des Européens se produit au cours du XVIe siècle, avec l’expédition du conquistador Coronado. A cette époque, les Comanches résident dans une zone assez vaste qui couvre une partie des Montagnes Rocheuses et des Black Hills, à l’ouest de l’emplacement actuel de l’état du Kansas. Ils sont pour voisins les Shoshones, avec lesquels ils partagent une même langue. Au cours du XVIe siècle, les Comanches commencent à migrer vers le sud, à la recherche de terres plus accueillantes. Bon commerçants, ils établissent des contacts avec les indiens Pueblo, les Espagnols et les Français qui, durant le courant du XVIIe siècle, explorent les régions à l’ouest du Mississipi.

En 1680, le soulèvement des indiens Pueblo du Nouveau-Mexique entraine le départ (temporaire) des colons Espagnols. Les Espagnols évacuent Santa Fé et laissent derrière eux de nombreux chevaux. De leurs contacts avec la fédération Pueblo, les Comanches acquièrent quelques montures et, en un temps très bref, deviennent des excellents cavaliers (il sera dit qu’aucun autre peuple, hormis les Cheyennes, ne peut rivaliser avec les Comanches dans ce domaine). C’est à partir de cette date qu’ils se séparent des Shoshones, pour continuer leur route vers le Sud, afin de suivre la migration des troupeaux de bisons. En 1700, ils trouvent un précieux allié dans la nation Ute.

En 1716, les Espagnols, profitant de l’explosion de la fédération Pueblo, reprennent le contrôle du Nouveau-Mexique. Au nord de Santa Fé, ils détruisent un campement Comanche, faisant de nombreux prisonniers, qui sont envoyés au Mexique comme esclaves. On peut penser que de ce drame naquit la haine farouche du Comanche envers l’Espagnol.

Vers 1740, les Comanches franchissent l’Arkansas et pénètrent dans les plaines du sud. Leur mouvement entrainent le déclenchement une série de crises épisodiques et de conflits, livrés avec les nombreuses nations occupant la région. Excellents guerriers, les Comanches s’imposent progressivement. Les tribus rivales sont détruites, dispersées ou absorbées. Comme les autres peuples indiens, les Comanches ne font pas de prisonniers masculins mais épargnent les femmes et les enfants pour les fondre progressivement dans leur population, aussi la population de la nation Comanche passe de 10,000 âmes au début du XVIIIe siècle à 20,000 individus en 1790 (… avant d’être décimée par des épidémies de variole). Leurs troupeaux de chevaux deviennent les plus importants des plaines du Sud. Crow, Jumano, Caddo, Pueblo, Lakota, Kansa, Pawnee, Navaho, Apache, Ute, Wichita, Waco, Creek, Cherokee, tous doivent se plier à l’autorité des Comanches ou se résoudre à l’exode. Seuls les nations les plus puissantes, comme les Cheyennes et les Arapaho, parviennent à calmer les ardeurs hégémoniques des Comanches.

Durant tout le XVIIIe siècle, les Comanches seront les plus redoutables adversaires des Espagnols et des apaches Lipan. Fin commerçants et diplomates, de mœurs raffinées, ils étaient appréciés des Français qui les approvisionnaient en armes à feu et en textiles (les Comanches appréciaient la mode européenne). Contrairement aux autres nations indiennes, les Comanches n’étaient pas organisées en tribus mais en une vingtaine de bandes nomades très mobiles pouvant parcourir plusieurs centaines de milles par an. La plus connue de ces bandes est celle des Penateka, probablement parce que c’est celle qui, la première, a franchi la rivière Arkansas pour entrer dans les Grandes Plaines du Sud. Très indépendantes, ces bandes étaient toutefois capables de se regrouper pour lutter contre un ennemi commun ou lancer un grand raid. Dans ces occasions, un « grand chef » était élu, pour perdre immédiatement ce statut une fois l’opération terminée.