D’Artagnan et ses amis mousquetaires sont les illustres personnages animant l’un des plus célèbres triptyques de la littérature française. On oublie cependant trop souvent qu’Alexandre Dumas, pour mettre en forme sa fiction, a pioché dans la véritable Histoire de France et que la grande majorité des protagonistes de ses récits ont réellement existé… sans toutefois avoir coexisté. Oui, car Alexandre Dumas a usé, à cette occasion, de ce privilège d’auteur qui est la liberté créatrice de l’écrivain. Ainsi, si l’existence de Charles de Batz de Castelmore, dit d’Artagnan, ne peut être remise en cause, sa carrière appartient moins à l’époque de Louis XIII qu’à celle de son fils. En fait, le fougueux gascon était au service du jeune Louis XIV, le Roi Soleil. Et il s’y est fait brillamment remarqué, avant de tomber en 1673, les armes à la main, sous les murs de Maastricht. Quand aux mousquetaires dont il avait la charge, force est d’admettre que la vision romanesque présentée par le romancier est assez loin de la réalité.
Mousquetaires, bande dessinée de Duval et Calvez, éditée par Delcourt, se démarque de la vision de Dumas pour composer une œuvre à la fois plus véridique et plus sombre, à travers une intrigue qui puise dans les couloirs tortueux de l’Histoire. Dans ce récit écrit par Fred Duval, fi de ces duels épéistes énergiques au cours desquelles s’affrontent gentilshommes mousquetaires et vils gardes du cardinal. Le scénariste nous offre, bien au contraire, un aperçu de la vie politique du Grand Siècle, avec ses intrigues, ses complots, ses exécutions arbitraires et ses assassinats. Autant d’actions condamnables dont d’Artagnan ne se fait pas seulement témoin mais aussi acteur !
Ce premier tome suit particulièrement l’évolution de deux personnages – que l’on devine destinés à faire plus que simplement se croiser. Alexandre de Bastan est un jeune mousquetaire gascon fraîchement débarqué à Paris (il évoque d’ailleurs le d’Artagnan de Dumas) et Eloïse de Grainville est une demoiselle de compagnie au service de madame de Locuste, femme mystérieuse experte dans la science des poisons (une Milady version dark, en quelque sorte). Le lecteur, accompagnant ces deux jeunes gens dans leurs chemins initiatiques respectifs, découvre en même temps qu’eux les aspects sombres de cette cour du Roi Soleil où le célèbre mousquetaire se fait parfois vulgaire exécuteur. Un scénario aussi dense que surprenant, ne négligeant pas l’aspect historique.
Le coup de crayon de Florent Calvez, précis et réaliste, nous replonge de belle manière dans la France du XVIIe siècle. On peut particulièrement apprécier son talent à reconstituer les paysages et les cités de l’époque. Dans ce registre, rien à redire, c’est superbe. Il est également très habile dans la mise en scène des combats, où brettes et rapières cèdent souvent la place à la violence fulgurante et peu noble du pistolet et du mousquet, et qui brillent par leur dynamisme. Par contre, j’ai parfois été gêné par un manque de rigueur dans l’illustration des personnages. Des morphologies disgracieuses et irrégulières (voire disproportionnés) mais surtout, un manque de personnalité dans les traits qui perturbe l’identification et ralentit la lecture. Bref, je ne suis pas trop amateur de ce style un peu « déstructuré ».
J’attends cependant avec impatience la sortie du tome 2.
Mousquetaire, tome 1 : Alexandre de Bastan
Scénario : Fred Duval
Dessin : Florent Calvez
Couleur : Delf
Illustration de couverture : Ugo Pinson
Paru aux éditions Delcourt (janvier 2016)
48 pages