Une amusante coïncidence. Alors que le magazine Guerres & Histoire consacrait le dossier central de son numéro de février à Charlemagne, la chaîne Arte rediffusait un docu-fiction en trois parties produit en 2013 et ayant pour thème le règne de l’empereur carolingien. Evidemment, je n’ai pas manqué cette occasion pour tenter de faire un comparatif entre les deux médias. En fait, plus que concurrentiels, les deux supports se trouvent ici être complémentaires, le documentaire s’éloignant de plus en plus du condensé d’analyses pour se rapprocher du cinéma de fiction.
Pour donner une cohérence à son œuvre, la réalisatrice Gabriele Wengler (Marco Polo – Explorateur ou imposteur ?) a pris l’option de redonner vie à Eginhard, auteur de la Vita Caroli Magni, qui compose la principale source d’information sur la vie de Charlemagne. Désormais au service de Louis II le Pieux, confortablement installé dans son abbaye de Seligenstadt, l’ecclésiastique dicte ses mémoires à Johannes, son jeune apprenti, entraînant ainsi une série de flash-back à la mise en scène très soignée et à la réalisation toute cinématographique. Gabriele Wengler ne cache donc pas – elle le fait même dire par la bouche même de l’auteur et les commentaires – de la nature subjective de cette biographie, le but d’Eghinard étant principalement de mettre en forme un panégyrique de l’empereur, en puisant son inspiration du côté de Suétone (La vie des douze Césars).
Les amateurs se souviennent surement de la mini-série Charlemagne, le prince à cheval (1993) sur laquelle ils plaçaient beaucoup d’espoir. Hors, si le spectacle était au rendez-vous, l’œuvre comportait encore beaucoup trop d’éléments issus de la légende pour satisfaire l’initié en quête de vérité. Avec ce film, si la réalisatrice de Charlemagne n’évite pas le mythe, elle se penche aussi à mettre en lumière la véritable histoire de l’illustre Pippinide, en exploitant les dernières découvertes manuscrites et archéologiques, et en invitant quelques spécialistes à intervenir à travers des parenthèses qui font également office de poses dans le fil du récit. Le portrait de l’homme, du roi et de l’empereur – et de son environnement – est donc nettement moins flatteur que dans la Vita Caroli Magni, tout comme ceux de ses contemporains (Pépin le Bref, son père, Hildegarde, sa première épouse, Carloman, son frère détesté, la reine Bertrade, influente mère, Widukind, son brave ennemi saxon, etc.). On y voit le roi mener sa cruelle « croisade » contre les Saxons, faire une erreur en Espagne, accumuler les infidélités, céder à la colère et, parfois, user de tromperie. Au final, ce long documentaire de près de trois heures, qui nous offre un beau panorama de l’univers carolingien (avec un petit exposé sur la supériorité de l’armée carolingienne sur ses adversaires), se pose comme un parfait représentant de la tendance actuelle dans le domaine, en mêlant d’excellentes reconstitutions exploitant les dernières innovations dans le domaine de l’image numérique et un casting professionnel, avec des régulières interventions d’historiens, qui replacent habilement les événements dans le cadre et le contexte.
A voir.
Ma note : 4/5
CHARLEMAGNE (Allemagne – 2013)
Titre original : Karl der Grosse
Réalisation : Gabriele Wengler
Scénario : Robert Krause et Gabrielle Wengler
Avec : Alexander Wüst (Charlemagne), Peter Matic (Eginhard), Regina Fritsch (Bertrade), Alma Hasun (Hildegarde), Thomas Morris (Gerald), Martin Bermoser (Carloman).
Musique: Matthias Jahner et Andreas Schäfer
Une production Taglicht Media (Allemagne)
Durée : 3 x 50mn
Charlemagne sur youtube (la définition est assez pourrie, hélas)