A Thèbes, en l’an 1336 avant J.C., le pharaon Akhenaton meurt empoisonné. Son fils, Toutankhamon, qui n’est alors âgé que de huit ans, monte sur le trône d’Egypte. L’enfant-roi, marié à sa sœur Ânkhesenâmon, règne sous l’influence de son vizir, l’influent Aÿ, de son chef des armées, le général Horemheb, et du prêtre d’Amon-Re. Mais, petit à petit, le jeune pharaon va s’émanciper, prendre des décisions contraires aux intérêts de ses tuteurs…
Commençons par citer une évidence (du moins, pour toute personne s’intéressant de près à l’histoire de l’Egypte antique), la réalisation d’une œuvre télévisuelle de plus de quatre heures (réduite à 2 épisodes de 90 minutes lors de sa diffusion sur la chaine D8) ayant pour sujet l’histoire d’un pharaon « mineur » de la XVIIIe dynastie au règne très court, sur lequel on ne sait pas grand-chose, ne pouvait qu’obliger la production et le réalisateur à combler les vides en versant dans la pure fiction. En abordant le visionnage de cette mini-série, je ne m’attendais donc pas à découvrir un film à la qualité documentaire irréprochable. Certes non. Mais je ne pensais pas non plus admirer les exploits d’un bondissant Prince of Persia à la sauce prébiblique, à travers un récit faisant fi du peu de connaissances que l’on a de ce pharaon au règne éclair.
La mini-série débute par la mort d’Akhenaton, attribuée ici à un assassinat par empoisonnement (pure spéculation). Aucun indice n’est fourni concernant les motivations qui ont poussé les mains des meurtriers. L’accusé refuse en effet de se confesser, même quand sa famille est massacrée devant ses yeux. Un artifice scénaristique bien pratique, n’est-ce pas ? Hop, débarrassé d’Akhenaton, on passe à autre chose !.. En fait, j’ai d’abord pensé que ces assassins étaient des opposants au culte d’Aton mais la suite du récit va infirmer cette réflexion, étant donné qu’il n’est nullement fait mention de ce culte imposé par Akhenaton. Autre bizarrerie qui annihile totalement mon interprétation ; l’on sait que Toutankhamon, rapidement, va proscrire le culte d’Aton pour rétablir celui d’Amon-Re. Hors, ici, dans ce scénario de Peter Paige, Michael Vickerman et Brad Bredeweg, le jeune pharaon se dresse contre l’influence excessive qu’exerce le Grand Prêtre d’Amon-Re sur le peuple. En gros, Pharaon entreprend de « dédogmatiser » un empire bâti sur le dogme… et sur le culte de sa personne. Mmouais. Comme le disait avec à propos Goscinny « c’est dur à admettre, maître »…
Vient le traitement du personnage central. Il a été prouvé que Toutankhamon était handicapé et ne pouvait se déplacer sans l’aide d’une canne. Ce particularisme aurait pu être un début de piste pour la construction d’un personnage original, donc intéressant. Malheureusement, la mini-série verse dans la facilité et nous offre un héros lambda, frôlant le profil « héroic fantasy ». Séduisant et énergique, il n’hésite pas à se rendre en ville incognito pour se mêler à son peuple, à faire le coup de main dans les camps ennemis, et à combattre, tel Ramsès II à Kadesh, au-devant de ses troupes face aux barbares Mitanni (un mélange d’aborigène australien et de guerrier klingon). Maître dans l’art de l’infiltration, il parvient à pénétrer, en compagnie d’une poignée de fidèles soldats, dans la forteresse Mitanni pour assassiner son roi. Doté d’un caractère bien trempé, il impose à la cour de Thèbes Suhab, la femme qui a soigné ses blessures, alors qu’il avait été abandonné par ses proches, gravement blessé, sur le champ de bataille. Il est bon de noter que David von Ancken, le réalisateur, se souvient parfois de l’infirmité du pharaon, alors l’acteur, soudainement, se met à boiter… avant de remarcher normalement dans le plan suivant.
Toutankhamon, le pharaon maudit se positionne comme un drame shakespearien (Pharaon tue son meilleur ami, amant de sa femme, condamne à mort sa sœur-épouse infidèle, perd son véritable amour, etc.) et use sans aucune finesse de toutes les ficelles du genre. En plus de cette grossière dramaturgie, cette histoire bourrée de clichés voit sa crédibilité minée par un casting complètement farfelu, quasiment surréaliste – style hollywoodien vintage. Logique, donc, de trouver parmi cette brochette d’acteurs décalés Ben Kingsley, adepte des rôles de fourbes et du sur-jeu, qui joue ici le vizir Aÿ, qui, comme son nom le laisse penser, n’est pas vraiment un être à aimer (mais il n’est pas paresseux). Étrange, aussi, le choix d’Iddo Goldberg, à la morphologie fortement occidentale, pour interpréter un fidèle lieutenant du pharaon. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un mercenaire grec. Mais, apparemment, non (ou alors, cette information a été coupée lors du montage D8 – il est vrai que l’œuvre a été tronquée de plus d’une heure). Même constat pour Ka, le frère de lait (et l’amant de son épouse) d’Akhenaton, qui évoque plus un noble romain qu’un dirigeant égyptien. Par contre, pas grand-chose à reprocher à Avan Jogia (la série Twisted) qui incarne le jeune pharaon, ou à l’imposant Nonzo Anonzie (les séries Zoo et Dracula, Xaro Daxos dans Game of Thrones…), crédible dans le rôle du général Horemheb.
Heureusement, tout n’est pas à jeter dans cette mini-série. Un bel effort a en effet été fait dans la reconstitution des décors et des costumes. Même si les « erreurs » ne sont pas toutes évitées (ainsi, on aperçoit quelques discrètes paires de bottes bien uchroniques), le résultat à l’écran est très convaincant et agréable à l’œil, nettement plus que pour le ridicule blockbuster de Ridley Scott (Exodus : Gods and Kings), avec des panoramas en images numériques plutôt réussis et des séquences de bataille en accord avec les tactiques de la période. J’ai particulièrement apprécié le souci du détail documentaire dans les équipements militaires. Les chars légers égyptiens sont conformes à la réalité historique, les cavaliers montent sans selle (ni étrier, heureusement), les soldats égyptiens sont équipés de casse-têtes, les armures sont rudimentaires, les insignes font office de drapeaux… Bref, s’il y a vraiment une chose réussie dans Toutankhamon, le pharaon maudit, c’est ce respect de l’Histoire dans son rendu visuel. Est-ce que cela suffit à nous faire apprécier la médiocrité de son scénario ? Personnellement, je ne le pense pas.
Toutankhamon, le pharaon maudit (Canada – 2015)
Titre original : Tut
Mini-série de trois épisodes de 90’ (réduit à deux épisodes pour la version diffusée sur D8)
Réalisation : David von Ancken
Scénario : Brad Bredeweg, Peter Paige, Michael Vickerman
Avec: Ben Kingsley (Aÿ); Avan Jogia (Toutankhamon), Sibylla Deen (Ankhe), Alexander Siddig (Amon), Kylie Bunbury (Suhad), Petr Gadiot (Ka), Iddo Goldberg (Lagus), Nonzo Anozie (general Horemheb), Steve Toussaint (roi Tushratta)
Disponible en DVD-Blu Ray version intégrale chez Universal (4 avril 2016)
En effet, le « rendu visuel » pour les scènes de bataille est excellent>. Les très fictifs Mittoniens sont des Libyens, ancêtres de nos Berbères actuels, alors ça « colle », vu que le film a été tourné autour d’Ourzazat dans le sud marocain.
Michael Peyron [Visiting Professor, Amazigh Studies]