Diffusé hier soir sur France 2, Après Hitler est un documentaire de deux fois quarante-cinq minutes qui a pour thème l’histoire de l’Europe durant les cinq années qui ont suivi la chute du troisième Reich. Épousant les principes de La Guerre en Couleur et de la série Apocalypse, ce film d’Olivier Wievorka et David Korn-Brzoza s’emploie à nous retracer les événements qui se sont déroulés entre les années 1945 et 1950 au moyen d’images d’archives colorisées (et souvent sonorisées), appuyée par une voix off, Vincent Lindon reprenant la solennité de ton de Mathieu Kassovitz.
Allant encore plus loin que les Apocalypse, déjà bien éprouvants, Après Hitler nous plonge dans l’horreur de l’après-guerre, lorsque sonne l’heure de la vengeance et des règlements de compte. Le contenu de ce documentaire est très dur, à la limite de l’insoutenable… et parfois extrêmement émouvant. C’est évidemment volontaire et son principal objectif inavoué, je pense, est atteint. En nous rappelant que les Nazis n’ont pas eu l’exclusivité de la sauvagerie et de la barbarie, les auteurs visent à nous faire prendre conscience que la nature humaine n’est pas que bienveillance et amour de son prochain, comme nous serions tentés de le croire aujourd’hui, vivant dans un monde bercé par les chimères du confort et les idéologies « bisounours » en tout genre. Un véritable témoignage de l’Histoire pour nous rappeler que sous le papier peint de la civilisation s’étend un mur de bestialité.
Après Hitler n’épargne rien, ni personne (un peu les Ricains, quand même…). Images à l’appui, le documentaire se fait le témoin d’actes ignobles, comme les massacres de minorités ethniques, les expulsions arbitraires de populations germanophones, les pogroms de Pologne et d’Ukraine. Le documentaire s’attarde aussi sur ce que les autorités de l’époque considéraient comme des actes de justice mais qui n’étaient en fait que des lynchages destinés à satisfaire la haine de populations humiliées et frustrées. On y voit l’expansion de l’ogre soviétique, les peuples slaves passant de Charybde à Scylla après la fin de l’occupation nazie, et le début de la rivalité entre « monde libre » et « fléau communiste », qui va alimenter la guerre froide. Non, le malheur ne s’est pas arrêté avec la capitulation de l’Allemagne, comme certaines images de liesse, empruntées aux actualités de l’époque, nous le laissent croire. Non, pour de nombreux Européens, Juifs, prisonniers de guerre, citoyens de villes ravagées par les bombes, les épreuves sont loin d’être terminées. Souvent, pour eux, le quotidien est exode, faim, prostitution… Les images montrant ces enfants orphelins errant dans les ruines sont terribles.
C’est efficace. Dérangeant. On peut se demander d’ailleurs si la réalisation ne va pas trop loin dans la « surdramatisation ». Ce qui avait été reproché à Apocalypse : Stalline et Apocalypse : Verdun est encore plus ressenti ici. Le film d’un homme dénudé, lynché, suspendu par les pieds puis jeté au sol comme un sac poubelle n’était-il pas assez fort qu’il a fallu rajouter le son (exagéré) de son crane heurtant la pierre ? Tout comme le fracas des bastonnades sur le dos des gardiens de Buchenwald et le bruit de camions écrasant le corps d’allemands sommairement exécutés en Tchécoslovaquie. Cette recherche un peu jusqu’au-boutiste de l’image choc, aux moyens d’artifices un peu grossiers, est amplifiée par les commentaires affichant une élégance sombre proche du gothisme de Vincent Lindon, et une bande musicale sombrant dans le pathos. Bref, j’ai eu parfois la sensation que les réalisateurs jouaient avec l’Histoire pour donner une dimension plus cauchemardesque à des images qui se satisfaisaient à elles-mêmes. D’ailleurs, l’un des passages les plus effroyables d’Après Hitler n’est pas le plus « trafiqué ». C’est cet extrait du tribunal de Nuremberg où l’accusation confronte Ilse Koch, qui affiche un calme troublant, à une tête réduite d’officier russe, l’une de ses pièces de collection. Tout comme est saisissante la sérénité des dignitaires nazis siégeant sur le banc des accusés.
Mais Après Hitler montre aussi de belles choses. La joie des retrouvailles, avec le retour des prisonniers des stalags et des camps d’extermination, mais aussi des démonstrations de solidarité, d’effort commun pour entamer un nouveau départ. Dans ce domaine, force est d’admettre que les réalisateurs ont un regard affectueux envers l’action américaine mais ces passages sont autant de bols d’air dans une œuvre anxiogène.
En conclusion, je dirais que les réalisateurs ont parfois péché avec une dramatisation excessive et ont à l’occasion, malheureusement, donné matière à leur sensibilité, mais cela n’enlève rien à la richesse de ce documentaire. Après Hitler est une œuvre dérangeante, certes, mais précieuse, car en ces jours de crise économique et politique, où la haine et l’intolérance recommencent à prendre le dessus sur la raison, il est bon de rappeler aux nouvelles générations que tout doit être fait pour éviter de renouveler les erreurs du passé.
Ma note : 3.5/5
Après Hitler (France -2016)
Un documentaire de 2×45 mn
Scénario d’Olivier Wieworka et David Korn-Brzoza
Réalisation de David Korn-Brzoza
Commentaire de Vincent Lindon.
Une production Arte/ ZED