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Figures marquantes de la première moitié du dix-neuvième siècle, tous deux habiles observateurs de leur temps, les comtes Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont ont tous deux laissé en héritages des témoignages remarquables de par leur pertinence et leur justesse d’analyse. Parmi tous ces essais et romans, De la démocratie en Amérique, où Tocqueville se penche sur les principes de la démocratie représentative, avec une analyse dans concession sur les forces et les possibilités de dérive du système, est celui qui m’a le plus marqué. Ma passion pour l’Amérique du 18ème siècle, je la dois d’ailleurs en grande partie à Alexis de Tocqueville, avec ce regard que porte le jeune comte (à l’époque de son voyage, il n’est âgé que de 25 ans) sur l’Amérique. Il est, avec le marquis de La Fayette, celui qui m’a donné envie d’aller plus avant dans l’exploration (essentiellement livresque, bien entendu) du Nouveau Monde, et plus particulièrement de la Nouvelle-France.

Personnalités admirables, Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont ont passé plusieurs mois aux Amériques. Le but de leur voyage avait principalement pour sujet de dresser un tableau aussi objectif que précis sur les spécificités politiques, sociologiques et économiques des jeunes Etats-Unis d’Amérique. Cependant, vers la fin de leur séjour, les deux hommes ressentirent le besoin d’aller plus avant dans leurs explorations. Ils désirèrent alors de s’aventurer au-delà des terres civilisées, rêvant d’un voyage romanesque sur les traces de Rousseau qui les mettraient en contact avec les fameux « indiens ». De ce voyage reste un témoignage, intitulé Quinze jours dans le désert, recueil épistolaire d’Alexis de Tocqueville battant en brèche le mythe du bon sauvage. C’est cette œuvre qui a servi de base de travail à Kévin Bazot, pour la réalisation de cette bande dessinée 98 pages : Tocqueville vers un nouveau monde.

Pour mettre en forme son œuvre, Kévin Bazot, s’est inspiré librement des écrits de Tocqueville, tout en respectant totalement l’esprit. Dans cette bande dessinée, fi de combats frénétiques contre les indiens, fi de péripéties mouvementées. Non, Tocqueville vers un nouveau monde est le récit d’un voyage au cours duquel des rêveurs courent après la vision d’un monde vierge et dénué de vice. C’est également une œuvre positive car, au final, matérialisé par un superbe plan large sur la région de la rivière Saginaw, les deux jeunes français entrent enfin en contact avec des créatures non encore perverties par la civilisation occidentale et son mercantilisme.

Avec sa plume évoquant la bande dessinée jeunesse, Kévin Bazot nous offre une histoire aussi accrocheuse, par ses aspects crédibles et son univers palpable (saloperies de moustiques !), que touchante. On s’attache rapidement aux deux personnages, jeunes gens idéalistes et sensibles en quête d’un monde en voie d’extinction. Tout commence par la désillusion. Les premiers contacts des deux « aventuriers » avec les indiens « civilisés » se posent comme de tristes témoignages sur la mort lente d’un peuple. De plus, si l’auteur se contente d’effleurer le sujet, il ne manque pas de dresser un portrait rapide, mais explicite, sur le comportement des colons et la difficulté d’intégration des métis.

Puis vient le désert. Tocqueville et Beaumont atteignent leur but. Non sans mal. Saginow n’est pas un Eldorado, c’est le lieu où deux mondes coexistent, une frontière qui recule sans cesse sous les coups de hache et les charrues des colons. Un univers encore vierge magnifié par des superbes dessins (avec une colorisation de qualité) qui reconstituent de très belle manière les magnifiques paysages de la région des Grands Lacs.  Pour ce qui est des aspects négatifs, on peut juste regretter une absence totale d’introduction des personnages qui peut éventuellement égarer (ou éloigner) les lecteurs n’ayant aucune connaissance biographique des personnages centraux.

Une chouette BD.

Ma note : 4/5

Tocqueville vers un nouveau monde

Scénario, dessin et couleur de Kévin Bazot

106 pages (avec un carnet de croquis en fin d’ouvrage)

Paru aux éditions Casterman (mai 2016)

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