Au XVI° siècle, l’Espagne (ou plutôt la Castille) règne presque en maîtresse sur le continent européen et brille de la gloire et des richesses apportés par les conquêtes du Mexique et du Pérou. Pourtant, les tentatives de colonisations qui se sont déroulées en Amérique du Nord – dans « les » Florides et ce que les conquistadores nommèrent la Tierra Nueva (grosso modo, le Nouveau-Mexique, le Nevada et le Colorado) – malgré des moyens équivalents, se sont toutes soldées par des fiascos. Tant et si bien, qu’aujourd’hui, quand on parle de la conquête de l’Amérique du Nord, on en vient systématiquement à penser aux Français et aux Britanniques. Quelles sont les raisons d’un tel échec ? Comment une nation aussi puissante, après avoir conquis les brillantes civilisations de Tenochtitlán et du Cuzco, a pu se perdre dans cette vaine recherche d’un nouvel Eldorado ? Tout simplement parce que le théâtre d’opération était complètement différent. C’est ce que nous explique brillamment Jean-Michel Sallman dans son ouvrage, Indiens et Conquistadores en Amérique du Nord, qui, par sa conception, peut être divisé en deux sections égales en pagination et en intérêt.
La première partie est un incroyable livre d’aventures vécues. Avec une belle précision, l’auteur nous conte les extraordinaires missions d’exploration de Pánfilo de Narváez, d’Hernando de Soto, de fray Marco de Niza, de Vasquez de Coronado et de Fernando de Alarcón, toutes réalisées entre 1530 et 1570. De véritables épopées dignes d’une ode d’Homère, opérées en pays inhospitalier, sans véritable objectif autre que celui de trouver gloire et fortune, qui entraîna ces hommes à parcourir à pieds des milliers de kilomètres, comme l’expédition de Soto. En 1539, près de la ville actuelle de Tampa, en Floride, l’expédition d’Hernando de Soto, forte de près de 600 hommes et plus de 200 chevaux s’enfoncait dans le continent américain. Pour un voyage de plus de trois ans, au parfum de désastre, à travers la Floride, les Carolines, l’Alabama, le Mississipi, l’Arkansas et le Texas, duquel n’en revint épuisée qu’une poignée de survivants en haillons. De Soto, lui, ne revit jamais l’Espagne, décédé de maladie en 1542 dans l’actuel Arkansas. Et que dire de l’expédition de Coronado ? Une entreprise en pays pueblo totalement inutile, mais épique, durant laquelle, pour la première fois, bien avant les Anglais et les Français, un occidental découvrait avec émerveillement et crainte le paysage du Grand Canyon. Ah, tiens, d’ailleurs, puisqu’on en vient aux Français, Jean-Michel Sallman nous parle aussi du seul « succès » des Espagnols : la destruction des colonies de Jean Ribault et Laudonnière, qui mit un terme aux tentatives d’installation française en Floride.
La deuxième partie est un passionnant essai, à la fois historique, ethnologique et anthropologique, qui nous invite à réfléchir sur les raisons de ces échecs répétés. Problèmes de logistique et d’approvisionnement liés à la nature du terrain, très différent – car plus sauvage et plus vaste – des théâtres d’opérations mésoaméricains et péruviens ; méconnaissance totale des us et coutumes des indigènes peuplant les régions explorées; absence totale de gouvernement centralisé (donc de centre névralgique à frapper) pour cette civilisation paléolithique divisée en farouches chefferies se faisant éternellement la guerre ; mais aussi un manque de préparation, frôlant la négligence. Sûr de la justesse de son entreprise, l’Espagnol pécha aussi par suffisance et cruauté, sous-estimant ce peuple rusé, habitué au conflit, pratiquant l’esclavage et parfois l’anthropophagie (bien que les historiens ne s’accordent pas tous sur ce dernier point), adepte des tactiques de harcèlement et de terre brûlée, et qui compris très vite comment mettre en échec les colonnes espagnoles et leurs cavaliers, redoutables en bataille rangée mais si fragile en terrain difficile. Errant dans un pays pauvre et hostile, tentant de vivre sur ce terrain inhospitalier – donc souffrant souvent de la famine et des maladies -, portant des kilos de matériel sur des distances incroyables (n’oublions pas, qu’à l’époque, une arquebuse pesait plus de 25 kilos), les armées des conquistadores se sont épuisées dans leurs errances. Souffrances et déception entraînant disputes et insubordinations, voire révoltes et assassinats.
Jean-Michel Sallman conclut son ouvrage par un rapport de Pedro de Castañeda, chroniqueur de l’expédition de Coronado : « Rien n’est plus étonnant, en effet, que la différence qu’il y eut entre les renseignements que l’on s’était procurés et ce qui existait réellement. Où l’on nous avait promis de nombreux trésors, nous n’en trouvâmes pas la moindre trace ; au lieu de pays habités, des déserts ; des villages de deux cents âmes, au lieu de grandes villes, et tout au plus huit cents ou mille habitants dans les plus grands villages. » Un commentaire qui illustre toute la déception des conquistadores. A la recherche d’un nouvel Eldorado et des Sept Cités d’or, ils ne trouvèrent que misère, maladie et mort.
Fin 1560, l’Espagne cessait définitivement ces tentatives d’exploration, aussi inutiles que coûteuses.
Ma note : 5/5
Indiens et Conquistadores en Amérique du Nord
Un livre de Jean-Michel Sallman
Paru aux éditions Bibliothèque Historique Payot (avril 2016)
345 pages – 24€