Il y a plusieurs mois, quand est sorti dans les salles The Revenant, je me suis dit: « des frontiersmen, des indiens, une histoire de vengeance? Chouette, je ne vais pas rater ça! » Mais, bon, fainéant comme je suis, je n’ai pas fait l’effort d’aller au cinéma (en même temps, si vous connaissiez le niveau de luxe des cinémas bastiais, vous comprendriez que je préfère le confort de mon canapé). Du coup, c’est avec un sacré retard, avec la sortie du BluRay, que j’ai découvert le récit de l’histoire de Hugh Glass, un film d’aventure pour lequel Leonardo DiCaprio a mis de côté son costard de séducteur et son élégance naturelle pour endosser un costume de trappeur crasseux et adopter un look « goutte au nez » et « bave d’escargot ». Remarquez, cela lui a rapporté un Oscar. Comme quoi…
The Revenant, c’est du viscéral, servi dans un écrin serti de brillants artistiques trompeurs. Le réalisateur, Alejandro G. Inãrritu, tombe le masque dés l’entame du film. La sauvagerie nous saute à la gorge dés les premiers plans, quand le groupe de trappeurs dont Hugh Glass, le héros, est le guide, est attaqué par des indiens qui en veulent à leurs peaux (de castors) et à leurs scalps. Rapidement, l’affrontement tourne au bain de sang ; indiens et trappeurs, après avoir échangés quelques flèches et quelques balles de mousquet, s’étripent joyeusement à l’occasion d’un corps-à-corps qui finit par tourner à l’avantage des assaillants. Heureusement pour la suite du récit, le trappeur et son fils métis font partie de la poignée de survivants qui parvient à s’enfuir par la rivière.
Pour l’intégrité physique de Hugh, les choses se gâtent vraiment quand, alors qu’il s’est momentanément écarté de la troupe, il est attaqué par une maman grizzli qui voit d’un sale œil cet humain hirsute et puant approcher ses rejetons. Hugh tente bien de résister à l’assaut du plantigrade. En vain, battu comme plâtre, écorché vif, égorgé, le regard vide et la langue pendante, Hugh semble bel et bien hors de combat. Du coup, maman-ours, après avoir été vérifié l’intégrité de sa progéniture, revient vers le corps, histoire de remplir son garde-manger. L’énorme animal, victime de coups de poignard rageurs, sera le premier à faire les frais de la capacité de régénération du trappeur. Car Hugh n’est pas mort.
Hugh ne veut pas crever. Ou plutôt : Hugh crève souvent, redevient fœtus puis renaît. Toujours. Dans la terre, dans une tente, dans une grotte, et même dans un cheval. Plein de fois. L’environnement lui sert de matrice craspec. Hugh, en gros, c’est le Vil Coyote du cartoon, celui qui tombe du haut des falaises, qui explose sur des caisses de dynamites, qui est écrasé par un train sorti de nulle part et qui, le plan suivant, est de retour pour faire chier Bip-Bip. A la différence prêt que le film d’Iñarritu, ce n’est pas un stupide dessin animé pour gosses. Hou là là! Pas du tout, malheureux! C’est un film intelligent, riche en symboles. Pour s’en apercevoir, il faut toutefois faire l’effort d’écoper les litres de sang et de miasmes qui composent un rideau masquant les messages. Chez Inãrritu, le second niveau de lecture, ça se mérite.
En fait, The Revenant parle de renaissance et de rédemption. Animé par le souvenir de sa femme pawnee (comme l’escalope), puis de son fils, tous deux assassinés, Hugh, à la fois spectre et zombie putréfié, se relève après chaque chute et, tel une âme égarée, traverse les paysages enneigés de la Frontière américaine à poil, à pied, à la nage ou à cheval, pour retrouver Fitzgerald, le salaud de service, seul medium qui pourra le purger de son sentiment de culpabilité. Ensuite, Hugh pourra trouver enfin le repos et pourrir en paix.
Film hybride, The Revenant est un anti-western mêlant le survival gore et le « contemplationnisme » à la Terence Malick (la photo, magnifique, force est de le dire, est d’ailleurs signée d’Emmanuel Lubezki, qui avait travaillé sur Le nouveau Monde). Mais quand le réalisateur du Nouveau Monde ou de la Ligne Rouge parvient à trouver un équilibre entre les genres, pour créer de superbes et douloureux (quoique parfois indigestes) poèmes visuels, Alejandro Gonzalez Iñarritu fait dans la baudruche grand-guignolesque de luxe qui finit par tourner en une sorte de relecture gore du TV show de Man vs Wild.
Dans The Revenant, Iñarritu fait fi de la mesure et il use et abuse du bon vieil impact que génère sur l’audience le spectacle du sang sur la neige. Le sang, nous dit-il aussi, c’est la mort, mais c’est aussi la vie, dans sa forme la plus primale. Pas con le mec. Du coup, Leonardo DiCaprio, cantonné ici dans le rôle de la marionnette muette et déglinguée (il a quand même dû sacrément en chier durant le tournage), se doit de pisser le sang mais aussi de se nourrir de sang en dévorant crus oiseau, poisson et bison… de la manière la plus dégueulasse possible bien sûr. A noter que, à coté de cela, entre deux gamelles monumentales, Leonardo a toutefois la bonne idée de libérer une captive indienne, esclave sexuelle des Canadiens et projection de l’épouse qu’il n’a pu sauver. Les indiens étant des gens très physionomistes, cela lui sera bénéfique à l’occasion d’un final paroxysmique.
Pour nous, amateurs d’histoire militaire, The Revenant peut être appréhendé comme un portrait, peu objectif mais non dénué d’intérêt, sur une proto-Amérique colonisatrice. Nous sommes en 1820, période charnière de la construction américaine, alors que les jeunes Etats-Unis d’Amérique ont vaincu la résistance de la Confédération Indienne dans les territoires du Nord-Ouest (Tecumseh a été vaincu et tué sur la rivière Thames en 1813, ce qui mit un terme à l’alliance des tribus du Nord-Ouest avec les Britanniques). Comme il n’était nullement dans l’intention du cinéaste de nous offrir un cours d’histoire, le contexte s’efface derrière le thème de la « vengeance, un point c’est tout », qui aurait pu être exploité tout aussi bien dans un autre environnement. Dommage. Reste un film tout à fait agréable à visionner mais vraiment très surestimé, dont l’aspect graphique, qui évoque les survival gore de série B, est apte à satisfaire les amateurs de cinéma musclé.
Bon, allez, je l’avoue; j’ai beaucoup ri lors du visionnage du bluray de The Revenant. Comparé au calvaire que vit Hugh Glass, les déboires de John McClane et Martin Riggs pourraient passer pour les aventures de Babar au manège. C’est si excessif que cela en devient drôle. En fait, The Revenant, c’est un bon gros film de série B qui tache, réalisé par un mec à l’ego surdimensionné, à grands coups de millions de dollars.
Ma note: 3/5
Revenant (USA – 2016)
Titre original : The Revenant
Réalisation : Alejandro G. Inãrritu
Scénario : Alejandro G. Inãrritu, Mark L. Smith, d’après un roman de Michael Punke
Musique : Alva Noto, Ryuichi Sakamoto
Avec : Leonardo DiCaprio (Hugh Glass), Tom Hardy (John Fitzgerald), Domhnall Gleeson (Capitaine Henry), Will Poulter (Bridger), Forrest Goodluck (Hawk), Paul Anderson (Anderson), Lukas Haas (Jones).
156 minutes