— qui mettent à mal quelques idées reçues.
Au regard de la longue durée de l’empire Achéménide, d’environ -550 av. JC (la montée sur le trône de Cyrus II) à -330 av JC (la conquête d’Alexandre le Grand), il est évident que les structures, les équipements et les doctrines militaires décrites dans ce billet ne doivent pas être appréhendées comme des sources invariables mais le reflet ‘’général’’ d’une armée qui n’a pas manqué, comme toutes les autres, d’évoluer au fil des ans. Les descriptions qui suivent sont les fruits d’un travail de recherches et de synthèse effectué pour satisfaire l’un de mes hobbies, le jeu d’histoire à figurines. Il s’appuie principalement sur les textes anciens, ceux d’Hérodote, de Strabon et, bien entendu, de Xénophon. A cela s’ajoute quelques sources puisées dans les ouvrages d’archéologie spécialisés, comme les thèses de Stefan Bittner et de Berthold Laufer, et les ouvrages uniformologiques.
Si la composition de l’armée achéménide a évolué au gré des conquêtes, avec l’apport d’unités de mercenaires et de troupes ‘’provinciales’’, l’existence de ce que l’on pourrait qualifier d’armée nationale, composée en grande majorité de sujets perses, semble avérée. Cette force perse, dite achéménide, très précisément administrée – comme nous allons le voir – composait à la fois l’ossature et la faction dure de l’armée, la mieux équipée, la plus motivée, et probablement la plus fidèle. Autour de celle-ci, se greffaient d’autres corps dont la nature variait en fonction du théâtre d’opération, et de son tuteur (que cela soit un satrape ou le Grand Roi en personne).
LE SOLDAT ACHEMENIDE N’ETAIT PAS UN AMATEUR
La société perse étant de nature féodale, la noblesse perse (azata) et les citoyens (bandaka) devaient obéir à des obligations militaires. La classe servile (mariaka) ne semble avoir été sollicitée qu’en de très rares occasions. Il faut dire que le perse de bonne naissance était élevé pour servir son seigneur ou le Grand Roi, les armes à la main. Après avoir vécu jusqu’à l’âge de cinq ans au milieu des femmes, l’enfant perse était confié à un tuteur qui éduquait son corps et son esprit jusqu’à l’âge de 20 ans – ou 24, suivant les sources. Durant cette période, on lui enseignait la philosophie, le tir à l’arc, l’art de la lutte, et l’équitation. Le service militaire proprement dit débutait à 17 ans, et durait jusqu’à sa vingt-cinquième année. A cette date, il était démobilisé mais pas encore dégagé de ses obligations en cas de guerre – en d’autres termes, il était placé en réserve. Des obligations qui s’achevaient quand il entrait dans le cercle des Anciens, à l’âge de 50 ans. Contrairement, donc, aux idées reçues, le soldat perse était un combattant aussi redoutable que discipliné.
LE DEFILE DU CONTINGENT PERSE N’EVOQUAIT PAS L’IMAGERIE D’UN PROTO-CARNAVAL
Si l’on en croit Xénophon, cette armée ‘’nationale’’ d’environ 120,000 hommes épousait la mode mède (manteau, tunique, pantalon et chaussures en cuir souple) plus pratique à porter en campagne que la robe achéménide ou élamite, ces dernières (qui figurent sur nombre de gravures retrouvées sur les tablettes et les gravures murales de Suse ou de Persépolis), étant probablement réservée aux cérémonies. Il a existé, au moins durant la période tardive, un principe de livrée royale. Cyrus, par exemple, distribuait des manteaux à ses officiers, en suivant un code de couleur qui définissait leurs fonctions au cœur de l’armée. A côté de cela, il semblerait que ces attributions se limitaient aux vêtements, les hommes devant s’équiper personnellement en armes et en protection. Il est également supposé que les officiers aient pu équiper, au moins en partie, leurs soldats. Les cavaliers, eux, devaient posséder leurs propres montures, mais, en temps de guerre, il arrivait qu’ils soient pourvus en chevaux grâce aux prises de guerre. Le noble, quand à lui, se devait de se déplacer et combattre à cheval (ou en char). Se déplacer à pied était un déshonneur.
Comme cité plus haut, le soldat perse était vêtu à la mode mède. Il portait un manteau à manches longues (le kantus), une tunique et un pantalon – le anaxyridas -, tous en toiles épaisses (au début, il semble que les pantalons étaient en cuir, comme le cite Hérodote) et joyeusement décorés. Porteurs de lance et archers ne portaient pas de casque, mais des turbans de feutre colorés (jaunes pour les Immortels). Leur seule protection était donc le grand bouclier carré en osier et la longueur de la lance (environ 2 mètres), efficace contre les charges de cavalerie. Les archers étaient équipés d’excellents arcs scythes (l’akinata). Lanciers et fantassins étaient également équipés avec une arme secondaire, la sagaris, qui est une petite hache aisée à utiliser dans la confusion des mêlées. Enfin, en fonction de leurs origines sociales, les soldats perses pouvaient porter des bijoux (torques, bracelets…)
L’ARMEE ACHEMENIDE N’ETAIT PAS UN JOYEUX BORDEL
L’unité standard de l’armée achéménide est le régiment, ou hazarabam, dont l’effectif étant d’environ 1000 hommes, pour l’infanterie comme pour la cavalerie. Chaque hazarabam était commandé par un officier supérieur, l’hazarapatis. Cette unité régimentaire était divisée en dix groupes de cent hommes, les satabam (commandés par des satapatis), eux-mêmes divisés en sections de dix hommes, les dathabam (commandés par des dathapatis). Certaines sources laissent supposer que les dathabam étaient également structurés en deux rangs (avant et arrière), le dathapatis bénéficiant alors d’un subordonné, le pasçasatapatis.
Administrativement – probablement moins sur le champ de bataille -, dix régiments étaient regroupés pour former une division de 10,000 hommes, le baivarabam. Chaque division étant sous le commandement d’un baivarapatis. Même si cette organisation pouvait varier en fonction de l’origine du contingent, les textes anciens nous laissent penser qu’elle restait respectée, du moins dans ses grandes lignes. Seuls les effectifs de chaque formation pouvaient varier en fonction des circonstances.
Les hazarabam se distinguaient entre eux par la couleur des motifs présents sur les tuniques des soldats et des officiers, motifs que l’on retrouvait sur les plaques décorées qui servaient d’enseignes régimentaires, comme c’était l’usage à l’époque. Ces enseignes portaient généralement des symboles ayant une signification religieuse – ainsi sur une des frises du palais de Suse figure un régiment doté d’une enseigne dont le symbole, un disque solaire à huit rayons, évoque Ahuramazda, dieu suprême des Assyriens et des Perses. Là encore, on se rend compte que, question organisation tactique, la Perse ne devait rien à ses contemporains grecs ou égyptiens.
IMMORTELS ? PAS TANT QUE CA.
Hérodote nous rapporte une vision assez précise d’un baivarabam achéménide. Il nous parle d’ailleurs du plus célèbre des baivarabam, celui des Immortels, cette unité attachée à la personne du Grand Roi. Ce baivarabam, dont le véritable nom semble être Amrtaka, était surnommé ainsi car l’on veillait toujours à compenser les pertes pour maintenir son effectif à 10,000 hommes – on peut en déduire donc que ce n’était pas nécessairement le cas pour les autres divisions. L’auteur grec nous dit que chaque hazarabam d’Immortels était composé de 100 archers – les thanvabara – protégés par 900 sparabara, ou porteurs de lance (équipés de boucliers). Un hazabaram se distinguait des autres par le pommeau de leurs lances ; ils étaient décorés avec des grenades dorées, alors que les autres portaient de grenades argentées. L’élite parmi l’élite, donc.
QUAND LES PERSES EPOUSENT LA MODE GRECQUE
Les Perses se sont rapidement rendu compte que leur infanterie traditionnelle était trop fragile pour affronter efficacement les lourdes phalanges grecques et macédoniennes. Aussi, en plus de lever des unités d’hoplites dans les cités ioniennes alliées ou soumises, ou de recruter des mercenaires (comme les fameux 10,000 de l’Anabase), l’armée achéménide, durant la période tardive (le règne de Darius III), leva ses propres régiments d’infanterie lourde : les Cardaces (ou Kardakes). On en sait très peu sur ses unités mais les spécialistes pensent qu’ils devaient manœuvrer comme les hoplites, en formation très compacte, et utiliser le même type d’équipement. Certains auteurs classiques, comme Strabon, qualifient les Cardaces de peltastes, mais, à l’époque, on désignait souvent les mercenaires grecs sous le terme peltastes, quel que soit leur équipement.
Voilà, je continue mes recherches sur les armées perses. Je ne manquerais pas de vous faire part de mes découvertes.