Depuis ses récentes récupérations et instrumentalisations par quelques courants politiques et idéologiques, la bataille de Bouvines s’est taillée une place de choix dans l’imaginaire collectif français. La drapant des mêmes idéaux que les exploits de Jeanne d’Arc ou la victoire de Charles Martel à Poitiers, beaucoup voient en cette victoire de Philippe Auguste la consécration d’une soi-disant identité nationale, voire une sorte de jugement divin accordant à la France une immuable légitimité fruit d’un héritage impérial (le qualificatif d »Auguste » n’est pas anodin). Il convient d’appréhender ces positionnements « cocardiers » avec la plus grande des précautions mais doit-on, par pure esprit d’opposition, avancer que ce récent succès populaire n’est pas mérité ? Certainement pas et l’on ne peut que se réjouir de la reconnaissance par le grand public de l’un des plus grands faits d’armes de la chevalerie « française ». Le 27 juillet 1412, en détruisant sur les bords d’une petite rivière située entre Flandres et Artois une coalition mettant en péril un encore très fragile royaume de France, Philippe Auguste affirmait à la fois la légitimité de la dynastie capétienne et une forme d’autorité « proto-autocratique ». Cependant, fort est de repositionner l’évènement dans son contexte, pour en tirer les enseignements nécessaires à sa compréhension, et en comprendre les enjeux et les conséquences, dont l’une des plus remarquables se trouve dans l’évolution de la relation franco-anglaise. Une étude que nous propose Guerres & Histoire, avec la parution de son numéro 35, où figure un dossier central consacré à l’étude de la bataille.
En fait, dans ce dossier de vingt pages, seules quatre sont consacrées à la bataille proprement dite. Elles sont le fruit du travail de Frédéric Bey, que les lecteurs du magazine Vae Victis connaissent bien. Fidèle à son habitude, Frédéric Bey nous propose là un « rapport de bataille » bien détaillé et très instructif au regard de la faible quantité de sources disponibles. La compréhension du sujet est bien aidée par une illustration en pleine page détaillant le déploiement des deux armées adverses et leurs manœuvres sur le champ de bataille. Au-delà de cet article de nature purement tactique, le reste du dossier se consacre à nous dessiner un portrait de la France féodale du XIIIème siècle, véritable écheveau politique aux imbrications complexes, mais où deux familles dynastiques se taillent la part du lion, à savoir les Plantagenêts et les Capétiens. Deux familles qui se vouent une animosité réciproque mais qui sont intimement réunies par les liens du sang (Aliénor d’Aquitaine, reine de France puis d’Angleterre symbolise le tumulte secouant ces deux branches dynastiques), ce qui complique encore plus les choses, chaque parti avançant son bon droit pour acquérir des fiefs au dépend de l’autre.
Aussi spectaculaire fut-elle, la bataille de Bouvines ne doit pas figurer dans l’Histoire comme un acte unique. La rencontre, certes importante par la hauteur de ses effectifs (énormes pour l’époque) et par ses conséquences (comme la chute de l’empereur Otton IV), figure parmi de nombreux autres événements ayant secoué ce remuant XIIIème siècle, comme l’échec de Jean-sans-Terre devant La-Roche-aux-Moines, qui fait écho à la victoire de Philippe à Bouvines. L’on a même tendance à oublier qu’en 1215 les troupes française du prince Louis de France entrait dans Londres après un débarquement réussi sur les côtes du Kent. Enfin, si Martin Aurell et Pierre Grumberg se penchent à décortiquer pour nous ce véritable imbroglio politique, Xavier Hélary complète le dossier avec un très intéressant état des lieux de la chevalerie française du XIIIème (doctrine, équipement, fonctionnement, etc), que le public a tendance parfois à confondre avec celui, plus tardif, qui se distinguera (et souffrira !) un siècle plus tard, à l’occasion de la guerre de cent ans (1337-1453).
A côté de cela, Guerres & Histoire, c’est 98 pages, et non pas 20 ! Et une nouvelle fois, la rédaction a fait un bel effort pour nous « offrir » un numéro au sommaire varié, apte à satisfaire tous les goûts. Eric Tréguier nous invite à revisiter l’antiquité avec les efforts « pharaoniques » de Ramsès II visant à repousser les peuples de la mer, ces envahisseurs sortis d’on ne sait trop d’où bien décidés à s’emparer des richesses du Nil. Plus généraliste, Philippe Bonduran nous convie à un tour d’horizon sur l’utilisation des éléphants de guerre à travers les siècles, et tire quelques conclusions concernant leur véritable efficacité. C’est Antoine Reverchon qui s’attaque à la période napoléonienne avec un portrait sans concession de Murat alors que Hugues Wenkin, nous emmenant en mai 1940, démystifie l’exploit des parachutistes allemands qui s’emparèrent de la forteresse d’Eben-Emael en faisant l’étalage de toute l’incompétence de l’état-major belge. Quand à Vincent Bernard, il fait dans l’exotisme puisqu’il nous entraîne aux Amériques, à l’époque de la conquête de l’Ouest, avec un très instructif article consacré à la nation Apache et à leur combat désespéré mené contre la colonisation.
A noter que la rubrique Caméra au Poing (reportage photo commenté) est consacré à la guerre civile grecque qui, entre 1943 et 1949 a fait plus de 150,000 morts. Les photos sont saisissantes. Quant à l’interview exclusive, il s’agit de la deuxième partie de l’interview de Yon Deguen par Yacha MacLasha, officier tankiste de l’armée rouge à l’extraordinaire parcours.
Ma note : 4/5
Guerres & Histoires n°35
Bimestriel Février-Mars 2017
98 pages – 5,95€