A Noël, le prince-pape emmena deux cents des membres de la Joyeuse Compagnie de Pierre sur des traîneaux à travers les rues de Moscou pour entonner des chants devant certaines des demeures les plus majestueuses ; avant le carême, Zotov prenait la tête d’un cortège tracté par des chèvres, des cochons et des ours, tandis que ses cardinaux chevauchaient des ânes et des bœufs. Pierre se délectait toujours des renversements d’identité. Mais malheur à quiconque pensaient que ces plaisirs étaient facultatifs. « Toutes les coupes devaient être vidées promptement, avait-il décidé dans les règles de son club, et ses membres devaient s’enivrer quotidiennement et ne jamais allers sobre au lit. » Celui qui enfreignait les règles ou ne levait pas son verre devait avaler en matière de punition le vaste contenu de la redoutée coupe du Grand Aigle qui débordait d’eau-de-vie.
(Extrait Le Synode pochard, scène 4)
Attention chef d’œuvre !
Les Romanov, c’est un ouvrage monumental de 850 pages écrit par l’un des plus grands – et des plus agréables à lire – spécialistes de l’histoire de la Russie : Simon Sebag Montefiore. Dans ce livre, l’historien britannique, toujours avec cet inégalable style romanesque qui constitue sa griffe, couvre plus de trois siècles d’histoire et nous invite à quelques indiscrétions dans l’intimité de la plus incroyables des dynasties européennes qui s’établit au début du XVIIème siècle sur les ruines de la Russie riourikide, au sortir du rocambolesque épisode des faux Dimitri. Les Romanov, c’est une lignée de vingt-et-un tsars, tsarines, empereurs et impératrices, qui, caprice du destin, débuta par un Michel (Michel 1er en 1613) pour s’achever sur un autre (Michel II en 1917). Certains d’entre eux, comme Pierre 1er , Elisabeth, Nicolas II ou Catherine II, ont marqué de manière indélébile les mémoires, d’autres, moins remarquables ou plus éphémères, ont sombré dans l’oubli. Les premiers présentent aujourd’hui une image quelque peu déformée par la légende (et la propagande communiste) qui se devait être rectifiée, les seconds méritaient de connaitre une nouvelle naissance via la plume de l’historien, le tout formant un texte homogène ne négligeant aucun d’entre eux.
Avec ce livre dont la réalisation demanda un énorme travail de recherches, et qui exploite des documents d’archive qui n’avaient pas encore été dépouillés et étudiés, Simon Sebag Montefiore va bien au-delà des clichés. Le chercheur est passé derrière le papier peint verni du personnage public pour pénétrer dans le domaine du privé à travers l’étude de correspondances et de journaux intimes. Au final, il nous dresse les portraits d’autocrates qui, bien se revendiquant d’essence quasi divine, laissent transparaître de nombreuses failles et parfois même une touchante fragilité. Les Romanov, c’est un ouvrage réunissant une impressionnante et extravagante foule composée de dirigeants et de courtisans aux personnalités complexes.
L’histoire des Romanov est marquée par la folie, l’obsession sexuelle et l’alcoolisme. Tous revendiquaient l’un de ces « honteuses » caractéristiques. Certains, comme Pierre III, Alexandre II ou Paul 1er en avouaient plusieurs. Mais cela ne les empêcha pas de réaliser de grandes entreprises, comme Pierre 1er le Grand, un véritable ivrogne, ce qui ne l’empêcha d’être un grand organisateur et de devenir le premier empereur de Russie, Catherine II la Grande, qui réussit à composer avec sa forte addiction au sexe (on peut parler dans son cas de nymphomanie) pour faire de la Russie autocratique une nation influente au niveau européen, ou Nicolas 1er, qui malgré un antisémitisme exacerbé et un tempérament réactionnaire (comme la plupart des Romanov, très attachés à l’autocratie), qui étonna le monde en entamant une réforme du servage (timide, mais ce fut un premier pas déclencheur de changement).
L’histoire des Romanov, c’est aussi celle de tous ces courtisans qui ont influé sur les décisions impériales et, par là-même, sur l’histoire de la Russie. Tout le monde connait l’histoire de Raspoutine, qui exerça un véritable contrôle sur l’impératrice Alexandra, épouse de Nicolas II, une femme faible et hystérique, mais il ne fut pas le seul. Alexandra Dolgorouka, dit « La Tigresse », Catherine Bagration, dit « Katia, la chatte blanche », Ekaterina Nelidova, dit « petit monstre », Elisabeth Vorontsova dite « La Vénus russe » ou Ivan Chouvalov « le cosaque », eurent un effet sur l’humeur de leurs amants et amantes respectifs – Alexandre II, Alexandre 1er, Paul, Pierre III et Elisabeth – et donc sur les politiques menées, et certains obtinrent même des postes d’importance. Car même si la Russie des Romanov est une autocratie, on ne peut négliger l’influence opérée par un entourage parfois néfaste car composé de vils courtisans souvent bien plus doués pour la flatterie et l’intrigue que pour administrer un ministère ou une fonction d’importance. A la lecture de ce livre, l’on se rend d’ailleurs compte que quand le pays était bien mené, il ne le devait qu’à la droiture et la seule volonté de son monarque, détaché de toute opinion parasite. Telle est le régime de l’autocratie.
A la fois véritable regard porté sur les particularismes du régime autocratique et récit historique mettant en scène des personnalités extraordinaires, Les Romanov est un véritable régal pour tout amateur d’histoire.
Ma note : 5/5
LES ROMANOV 1631-1918
Titre original : The Romanovs
Un livre de Simon Sebag Montefiore
Paru aux éditions Calmann-Levy (octobre 2016)
856 pages – 27,90€