La  fascination qu’éprouve Mel Gibson pour l’imagerie christique est aujourd’hui un fait reconnu. Je n’ai donc pas été surpris de retrouver dans Tu ne tueras point toute la symbolique biblique chère au réalisateur australien. Il est vrai que le sujet – l’histoire (véridique) d’un objecteur de conscience qui se retrouve face la barbarie – s’y prête particulièrement. On peut cependant penser que, à travers ce dernier film, Mel Gibson a poussé encore plus loin le bouchon en faisant de son personnage principal, Desmond Doss (le lunaire Andrew Garfield), l’élément central de ce qui peut apparaître comme une véritable relecture de l’histoire de Jésus-Christ.

Le récit peut grossièrement être divisé en deux parties. Il obéit en cela au code des films de guerre imposés depuis Stanley Kubrick et son Full Metal Jacket. La première (après une brève introduction où l’on nous explique les circonstances qui ont transformé un adolescent violent en un adventiste du septième jour extrêmement bigot), se déroule dans le camp d’entrainement. On se retrouve une nouvelle fois les mêmes clichés, avec son lot de brimades et d’humiliations… à la différence prêt que Desmond Doss endosse ici la panoplie du martyr volontaire. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! », cette phrase, le héros, qui se voit rejeté et maltraité comme un paria par une communauté (l’univers militaire) qui ne le comprend pas, aurait pu la prononcer. Cependant, sacrifié sur la croix de l’exigence du devoir de tuer, Desmond Doss va ressusciter, aidé en-cela par son Père (qui est aux cieux du Bourbon virginien) et sa Marie-Madeleine, une jeune infirmière tombé sous le charme de cet homme « pas comme les autres. »

Sa résurrection lui attribue un brassard d’infirmier et l’envoie sur le front Pacifique, sur l’île d’Okinawa. Là, au milieu des explosions, des chairs déchiquetées, des os broyés et des viscères répandus au sol tels des nids de serpents en putréfaction, Desmond Doss va jouer le rôle du Sauveur de cette caste militaire qui l’a rejeté et se révéler devant eux, à travers une imagerie messianique revue et corrigée par une équipe de garçons-bouchers. Le plan final, où Desmond Doss, blessé à la cuisse, est ramené au bas de la falaise via une tyrolienne, en adoptant un vertigineux mouvement de caméra, apparaît comme l’ascension finale d’un martyr ayant achevée sa mission terrestre. Pour moi, ce fut le plan de trop, générateur d’un fou rire longtemps contenu.

Mel Gibson a le sens de l’image. C’est certain. Il a également un goût prononcé pour magnifier la violence et le sang, stigmates sacrificiels qui sont autant de symboles flattant son attachement à la religion chrétienne. Aucun mal à cela, c’est son positionnement, et il assume. Le problème, c’est que, souvent, ses films ne sont que des prétextes à un prêche mal dissimulé derrière une cosmétique spectaculaire et assourdissante. En fait, si l’on reste en surface, Tu ne tueras point est un film de guerre extrêmement efficace dans le rendu visuel de ses séquences d’action. Des scènes si violentes et si réalistes qu’elles relèguent Il faut sauver le soldat Ryan à un spectacle de Bisounours. Mais cela reste du grand-guignol gratuit, un épisode absolument pas replacé dans son contexte historique, ce qui retire à l’œuvre tout aspect pédagogique. A ce moment, le film de guerre se fait simplement film d’horreur de série B, voire Z.

L’aspect intéressant, c’est que Tu ne tueras point pose (involontairement ?) la question de la frontière entre courage et fanatisme. En ces temps difficiles où des individus, portés par la parole divine (c’est du moins ce qu’ils prétendent) n’hésitent pas à se jeter dans la foule en brandissant une bombe, il peut être intéressant de leur comparer l’attitude de Desmond Doss, un homme qui se voit ensuite médaillé pour son courage mais qui, en fait, obéissait aveuglément à un message divin. C’est finalement le seul intérêt (autre que son visuel) que j’ai pu trouver à ce film. Vous me direz, c’est toujours mieux que rien.