Je vais débuter ce petit billet sur ce grand et bel ouvrage par un extrait la conclusion de sa huitième partie : « Les auteurs actuels, dans leur grande majorité, refusent d’appliquer au IVe siècle la notion de décadence, parce qu’elle serait fondée sur des critères moraux et philosophiques ; quelques-uns toutefois pensent qu’on ne peut pas la nier. Nombre d’entre eux n’acceptent même pas l’idée de déclin appliquée à cette période ; et nous affirmons clairement qu’ils ont tort. Quand une armée conquiert d’immenses territoires, comme ce fut le cas entre 338 avant J.-C. et 199 après J.-C., elle donne la preuve qu’elle est bonne ; quand elle n’est plus capable de défendre sa frontière (406 après J.-C.), ni de protéger sa capitale (410 après J.-C.), elle montre qu’elle est mauvaise. »

Cette réflexion, revendiquée par Yann Le Bohec, professeur émérite à l’université Paris IV-Sorbonne, spécialiste de l’Histoire romaine, illustre de belle manière le processus de réflexion qui a mené à la réalisation de cet ouvrage qui, de par son importance, et malgré l’érudition dans le domaine de son auteur, n’a pas dû être une chose simple.  L’extrait si dessus nous laisse à penser que si déclin il y eut, c’est qu’à un moment, ou à un autre, Rome a atteint une apogée, elle-même fruit d’une ascension. Et ce parcours n’a pu se faire qu’avec l’aide de l’instrument militaire. Cela tombe bien, c’est le sujet central de ce livre intitulé justement Histoire des guerres romaines.

En quelques 600 pages, Yann Le Bohec retrace un millénaire d’histoire guerrière. Et force est de dire qu’entre la naissance de Rome, qui mêle mythe et histoire et la chute de Romulus Augustule, il s’en est passé, des choses. En conséquence, au regard de la masse d’information à brasser et à analyser, ici, pas de place pour la prose. L’exposé est synthétique, factuel, précis, avec quantité de noms, de citations latines et de dates. Un vrai et beau travail de documentaliste et d’analyste – ce qui n’empêche pas l’auteur de placer quelques phrases bien tournées, voire un peu d’humour. Le déroulé historique qui nous est proposé, dans le registre militaire, est remarquable. Le fruit d’une belle gymnastique intellectuelle. Ayant bien fait la différence entre l’utile et le superflu, l’historien va à l’essentiel sans nous faire perdre de vue le contexte. Il en résulte un très riche, mais non rébarbatif, exposé sur les différents conflits livrés par Rome au fil des siècles et sur les évolutions dans le domaine militaire (stratégie, matériel, tactiques…). Je regrette juste que l’ensemble ne soit pas appuyé par une série de cartes illustrant les campagnes militaires. Cela aurait été la cerise sur le gâteau du maniaque que je suis.

L’ouvrage, cependant, va au-delà des rapports de batailles, des diagrammes tactiques et des tableaux d’effectifs. En effet, aux yeux de Yann Le Bohec, le travail n’aurait pas été complet sans y introduire les éléments politique, économique et social. Il nous fait comprendre que, pour bien appréhender le destin de la République puis de l’Empire romain, les trois sont indissociables de l’élément militaire. Comme le dit l’auteur, si Rome a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation dans le domaine martial, elle est restée très conservatrice dans tous les autres domaines (voire archaïque, comme dans le domaine de la politique commerciale). Un positionnement et une vision à court terme qui ont généré quelques complications dans le traitement de certains sujets délicats – comme celui de la solde des soldats (toujours plus élevée) – qui ont fini par se muter en de véritables problèmes, pour parfois mettre en péril l’équilibre de l’ensemble. L’analyse de ces facteurs amène des conclusions parfois étonnantes, génère des questionnements qui ébranlent l’édifice de pensée dressé par les historiens modernes.

Après La guerre romaine, déjà parue chez Tallendier (2012), Yann Le Bohec nous offre avec Histoire des guerres romaines un nouvel incontournable pour les amateurs d’histoire militaire. Faisant fi de la mode actuelle qui vise la vulgarisation par l’usage de la prose (rien de mal à cela), l’historien cherche l’efficacité avant tout avec cet ouvrage au style universitaire qui atteint aisément son objectif, celui de composer un outil pédagogique avancé prenant en compte toutes les dernières études et découvertes dans les domaines archéologiques et documentaires. Un regard rafraîchissant sur l’histoire militaire de Rome.

 

Histoire des guerres romaines

Un livre de Yann Le Bohec

Paru aux éditions Tallendier (mars 2017)

Collection L’art de la guerre

606 pages – 25,90€