La garde prétorienne… Un nom qui évoque auprès du grand public une image légendaire, sorte de projection latine des Spartiates de Léonidas ou des  myrmidons d’Achille. Pour nombre de non-initiés, les prétoriens incarnaient le nec plus ultra des légions romaines, une caste guerrière composée de combattants hors du commun. Mais qu’en est-il vraiment de ce que le cinéma et la littérature moderne a également représenté comme un corps d’élite exécuteur des basses œuvres d’empereurs fous ? Qui étaient ces soldats autorisés à côtoyer la plus haute noblesse romaine ? Et qu’avaient-ils accompli de si magistral pour être honorés de telle manière ? En fait, si la vérité est beaucoup plus complexe que le regard que l’on porte généralement sur elle, force est d’admettre que la garde prétorienne (ainsi que les personnalités chargés de leur bon fonctionnement, à savoir les préfets du Prétoire) a eu sur la destinée de l’empire romain une influence non négligeable, notamment de par sa présence dans les rues de la cité – une situation qui était interdite aux légions – et une proximité, voire intimité, avec les classes dirigeantes.

Ce long billet, scindé en deux parties (celle-ci est consacrée à l’historique, la deuxième à l’organisation et à l’équipement) se veut être un modeste processus de démystification. Il est basé sur mes lectures, à savoir les dernières parutions spécialisées qui prennent en compte les ultimes découvertes dans le domaine archéologiques et documentaires, mais également les travaux d’auteurs spécialisés dans le domaine militaire et les œuvres d’auteurs anciens (Suétone, Dion Cassius, Tacite). En fin de seconde partie seront présentés quelques « concurrents » des Prétoriens : à savoir les Gardes Germains et les equites singulares augusti.

L’HISTOIRE DE LA GARDE PRÉTORIENNE

LES PRÉTORIENS ; UNE EVOLUTION ET NON PAS UNE RÉVOLUTION

L’arrivée sur le devant de la scène des cohortes prétoriennes (un intitulé plus pertinent que le mot « garde ») est généralement liée à l’accession au pouvoir de l’empereur Auguste (en 27 av. J.-C.). Ce raisonnement n’est pas faux quand on prend en considération la garde sous son aspect définitif, celui d’une unité spécifique, indépendante, attachée plus à servir l’empereur que Rome ou le Sénat. Cependant, les cohortes prétoriennes ne sont pas une création ex nihilo. On trouve trace de ces unités bien avant l’avènement du Principat. A l’origine, il s’agissait d’un petit groupe (cohors) de soldats d’élite chargés d’assurer la sécurité du praetor (consul ou tribun) en charge de l’armée. Durant les dernières années de la République, ces cohortes de gardes du corps étaient composés d’hommes de confiance, probablement des vétérans, qui, en campagne, bivouaquaient à proximité du quartier-général, qui porte le nom de prétoire (praetorium).

Actium

Cette organisation évolua au cours du premier siècle avant notre ère, pour adopter le principe des cohortes, propre aux légions. Les effectifs précis nous sont inconnus, mais il est sûr qu’ils devinrent très importants lors des guerres civiles. On sait ainsi que, pendant la seconde guerre civile, Octave (le futur empereur Auguste) et Antoine comptaient dans leurs troupes des cohortes prétoriennes de plusieurs milliers d’hommes. Il n’est donc pas illogique de penser qu’à l’époque, la composition de ces unités était toujours plus proche du concept de « vieille garde » ou de « troupe d’élite » que de celui adopté plus tard. La chute d’Antoine (et de Cléopâtre) après la défaite d’Actium marqua la fin des guerres civiles mais aussi la chute de la république aristocratique et le début du Principat. Il est alors dit que, pour rendre hommage à César, Auguste réunit tous les prétoriens pour former une sorte de garde permanente. Cette décision nous invite à penser que les prétoriens étaient des vétérans des légions de Jules César. Du moins une grande partie.

Mais, comme nous le décrit l’historien Suétone dans son œuvre la Vie des 12 Césars (écrit entre 119 et 122), le jeune empereur ne fut pas totalement grisé par son ascension! Il s’attacha à ne pas effrayer le peuple (et le Sénat !) en respectant la tradition qui interdisait la mise en garnison de légionnaires armés en ville, ainsi que leur présence en armure dans les rues. Car Auguste connaissait l’histoire de sa cité. La dramatique guerre entre Marius et Sylla n’était pas si loin (89 av. J.-C.) et il savait que la présence d’une force armée trop proche des lieux de pouvoir n’est jamais une bonne chose. Un coup d’état est si vite arrivé ! Auguste dispersa donc les neuf cohortes prétoriennes (chacune forte d’environ 500 hommes, suivant le modèle des légions). Six furent cantonnées dans différentes cités d’Italie et trois installées à Rome, non pas dans un campement ou une caserne, mais répartis en petits groupes. A Rome, leur mission était de garder la résidence de l’empereur, sur le Palatin, et de l’escorter dans ses déplacements.

Grâce à Suétone, on connait quelques détails concernant les cohortes prétoriennes sous Auguste. Quelques inscriptions étudiées par les archéologues font le reste. Ainsi, historiens et chercheurs nous apprennent que, sous le long règne d’Auguste (27 av. J.-C. à 14 apr. J.-C.), les prétoriens adoptèrent deux organisations. Jusqu’à la fin du 1er siècle av. J.-C., chaque cohorte prétorienne était une unité indépendante, avec un commandement confié à un tribun de rang équestre – un chevalier -, qui prenait ses ordres directement de l’empereur. Un changement se produisit vers l’an 2, avec la création d’un rang administratif prestigieux : préfet du Prétoire. On assistait donc à une centralisation du commandement, avec un ou deux préfets du Prétoire à la tête de l’ensemble des cohortes, les consignes étant relayés à la troupe par les tribuns. Nous verrons qu’au fil du temps, la fonction de préfet du Prétoire prit de plus en plus d’importance, jusqu’à parfois rivaliser en prestige (et en influence) avec celle de l’empereur. Pour ce qui étaient des fonctions des cohortes opérant à Rome, elles restaient les mêmes (à cette époque, les trois cohortes Urbaines et les prétoriens assuraient conjointement la sécurité, jouant parfois le rôle de brigades anti-émeutes) et les soldats continuèrent de patrouiller sans armure. Ils adoptèrent alors un signe distinctif : une cape rouge, qui permettait de les remarquer dans la foule.

LES PRÉTORIENS EN CAMPAGNE

Il n’y a pas de trace concernant une éventuelle participation des prétoriens dans les campagnes militaires d’Auguste. Cependant, à sa mort, en 14, les choses évoluèrent. En effet, l’accession de Claudius Tiberius Nero (Tibère), son fils adoptif, ne se fit pas dans la sérénité (Une agitation, hélas, qui eut tendance à se répéter jusqu’à la fin de l’empire). Et les prétoriens étaient indirectement responsables de la situation ! En effet, les légions établies sur le Rhin et en Pannonie profitèrent de la mort d’Auguste pour crier leur colère face à ce qu’ils considéraient comme une injustice : la différence de traitement entre eux et les Prétoriens. Il est vrai qu’un prétorien, qui était confortablement installé à Rome, sans y subir l’inconfort d’un campement militaire, touchaient en 14 une solde plus de trois fois supérieure à celle d’un légionnaire (720 deniers au lieu de 225). De plus, le service était moins long : 25 ans pour le légionnaire, 16 ans pour le prétorien. Enfin, les prétoriens se voyaient souvent gratifiés de généreuses primes, le donativum, car, à Rome comme ailleurs, la fidélité pouvait (et parfois, devait) se monnayer. De cette pratique, les empereurs en usèrent et abusèrent. Ad nauseum.

Tibère connaissait bien les légionnaires pour les avoir dirigés dans des campagnes en Germanie et en Illyrie. Il prit le problème à bras le corps. Sur le Rhin, il confia le commandement des légions à Germanicus, son gendre, aimé de la plèbe et des soldats. Ce grand général les entraîna alors dans une longue campagne de deux ans, dans les plaines et les forêts de Germanie. Les légionnaires purent y soulager leur frustration et venger l’humiliation de Teutobourg (cinq années plus tôt, tombant dans un piège tendu par le chef chérusque Arminius, trois légions furent détruites sur le site de Teutobourg) dans le viol et le pillage. En Pannonie, il employa une méthode plus directe. Il y envoya son fils Drusus II à la tête de deux cohortes de prétoriens, la cavalerie prétorienne et les Gardes Germains. La mutinerie fut rapidement matée sans que l’on ne connaisse les moyens employés. Une chose est sûre, c’est que la première force à laquelle se frotta la garde prétorienne était une armée… romaine. Un signe du destin.

SEJAN ET L’ASCENSION DU PRÉTOIRE

Séjan

C’est durant le règne de Tibère que les cohortes prétoriennes s’imposèrent définitivement comme un élément très influent de la politique romaine. Cette ascension accompagnait celle de Séjan, préfet du Prétoire. Homme ambitieux et manipulateur, il s’imposa progressivement comme le principal conseiller de Tibère. Le portrait de Séjan dressé par les historiens classique n’est guère flatteur et l’on se doit d’appréhender les commentaires de Suétone, Tacite et Dion Cassius avec un certain recul (d’autant plus qu’ils n’étaient pas des contemporains) mais il est indéniable que le préfet du Prétoire usa de son influence pour éloigner Tibère de ses proches, notamment de son fils Drusus II. Quand Germanicus, héritier du trône, décéda en 19 à Antioche dans des circonstances troubles, Séjan y vit une opportunité à saisir : celle de la succession de Tibère. Cerise sur le gâteau, Drusus II mourrait empoisonné en 23 (par Livilla, épouse de Drusus et maîtresse de Séjan, une sacrée coïncidence, me direz-vous?). Ayant désormais les pleins pouvoirs à Rome – Tibère s’était éloigné pour s’installer dans sa villa de Capri -, Séjan rompit avec la tradition. Probablement pour affirmer son autorité, il regroupa les prétoriens dans la caserne de la Garde Prétorienne, récemment construite sur le Viminal (cette importante bâtisse, encore visible aujourd’hui, s’étend sur plus de 17 hectares, avec une capacité de 12,000 hommes !). On pouvait désormais vraiment parler de « garde » prétorienne. Une garde qui adopta comme symbole le scorpion, qui était le signe astrologique de Tibère (les légions avaient pour habitude de prendre comme symbole le signe astrologique de leur créateur).

Quand on lui rapporta les circonstances de la mort de son fils, et les ambitions démesurées de Séjan, Tibère sortit de réserve. Il devait reprendre les affaires en main, quitter sa retraite dorée. Mais comment se débarrasser d’un homme qu’il avait lui-même contribué à rendre si puissant ? Il usa d’un stratagème. Sous le prétexte d’une promesse de « promotion », il retira à Séjan sa fonction de préfet du Prétoire et nomma à sa place une personne de confiance, Macron, jusque-là préfet de la Ville. En offrant à chaque prétorien un donativum de 1000 deniers (puisé dans le trésor de Tibère, bien entendu), Macron s’assura alors, sinon l’appui, du moins la neutralité de la garde. En 31, Séjan, se voyant déjà désigné comme successeur de Tibère, répondit à sa convocation au Sénat. Il ignorait que ce rendez-vous était un piège tendu par Macron et Lacon, le préfet des Vigiles (les cohortes de Vigiles étaient responsables de la sécurité de la ville, et faisaient office de pompiers). Le Sénat assista impuissant (et quelque peu complice) à l’arrestation, au jugement et à l’exécution de Séjan. Obéissant à une vieille tradition, son corps fut jeté dans le Tibre. Par contre, pour ce qui était des prétoriens, Tibère ne revint pas sur les dispositions de Séjan. La garde prétorienne restait installée dans Rome, et elle le resta jusqu’à sa disparition sous Constantin.

SCÈNES DE GUERRE AU PALATIN

Les prétoriens découvrent Claude

En 37, Tibère, loin des préoccupations du peuple, mourut détesté. Lui succéda le célèbre Caius Caligula (37-41). Le nouvel empereur, neveu de Tibère, devait son accession au zèle de Macron, le préfet du Prétoire, qui effectua une grande opération de nettoyage autour de lui. Tacite, dans ses Annales, laisse même entendre que Macron aurait aidé Tibère à quitter ce monde. Toutefois, Caius Caligula, ce jeune empereur entré dans la légende pour sa cruauté et ses excentricités, ne se montra pas très reconnaissant envers son bienfaiteur. Quelques mois après son accession, trouvant Macron un brin trop encombrant, il le poussait au suicide. Imprévisible, si cruel qu’en 37 il fit même exécuter son fils adoptif Gemellus, le princeps fut rapidement détesté par sa famille, les membres du Sénat mais, plus dangereux encore, par des prétoriens qu’il prenait plaisir à humilier. Une attitude qui ne pouvait rester sans conséquence. En 41, Caius Caligula fut victime d’une conjuration orchestrée par les deux tribuns du Prétoire, Cassius Chaerea et Cornelius Sabinus, avec la complicité de plusieurs sénateurs.

Caligula assassiné, les Gardes Germains fouillèrent les lieux, à la recherche des assassins. Ils se heurtèrent aux prétoriens, tout occupés à se livrer à un pillage en règle. Le palais se transforma en un champ de bataille. Lors de leur fouille, des prétoriens découvrirent, caché derrière une tenture, Tiberius Claudius Drusus, l’oncle de Caligula (l’un des rares à avoir réchappé à la purge menée par l’empereur). Comprenant qu’il leurs fallait désormais renouveler leur légitimité, ils amenèrent Claude à la caserne de la Garde Prétorienne pour y proclamer son accession. Ce geste forçait la main du Sénat, qui n’eut d’autre choix que d’acquiescer. Un refus aurait pu entraîner une guerre civile. Le 24 janvier 41, Claude, un peu contre son gré, devint le nouvel empereur de Rome. En guise de remerciement,, Claude offrit à chaque prétorien un donativum équivalent à cinq années de solde mais il condamna Cassius Chaerea à mort pour régicide (Sabinus se suicida peu après).

LES PRÉTORIENS EN BRETAGNE

Avec toutes ces agitations de palais, on avait un peu oublié un détail. Certes, le rôle des prétoriens était d’assurer la « sécurité » du princeps à Rome mais également de l’accompagner en campagne. Sous Claude, les cohortes durent donc s’éloigner des intrigues politiques pour goûter une nouvelle fois (elles y avaient fait un court séjour sous Caligula) aux charmes champêtres de la Bretagne (comprenez l’actuelle Grande-Bretagne). En 43, l’empereur Claude traversait la Manche. Avec l’aide des cohortes prétoriennes (plus quatre légions, la IIe Auguste, la IXe Hispana, la XIVe Gemina et la XXe Valeria) et des généraux Sentius Saturninus et Aulus Plautius, il fit de la Bretagne une nouvelle province romaine. Il est intéressant de remarquer que, durant son règne, Claude renforça la garde prétorienne. Ainsi, le nombre de cohortes passa de 9 à 12. Mais cet empereur âgé (il avait 51 ans lors de son accession) et bègue, s’il ne manquait pas de talent dans le domaine administratif et qu’il faisait preuve d’une très grande érudition, était également un homme au caractère trop bonhomme (pour l’époque !), soumis aux intrigues et témoin impuissant des excès de ses deux dernières épouses, Messaline et Agrippine la Jeune. Sa mort, en 54 – la possible conséquence d’un empoisonnement -, amena au Principat le jeune Néron (17 ans), fils d’Agrippine la Jeune, adopté par Claude quelques jours avant sa mort (au dépend de Britannicus, fils légitime de Claude).

NÉRON ET LE PRETOIRE

Grâce aux bons conseils de Sextus Afranius Burrus, préfet du prétoire (nommé sous Claude), et du stoïcien Sénèque, le règne de Néron débuta plutôt bien. Très généreux envers la noblesse et les prétoriens, l’empereur fit oublier pendant quelques temps les années difficiles, même si, souvent, il pouvait inquiéter par ses accès de paranoïa. Ses largesses et le soutien de Burrus lui permirent de faire accepter des actions fortement condamnables comme lorsque, en plein banquet, il assassina Britannicus, son jeune frère adoptif de 14 ans (55 ap. J.-C.) ou quand il supervisa l’exécution de sa mère (59 ap. J.-C.). Tout changea avec la mort de l’influent Burrus en 62 et la retraite de Sénèque. Néron formait désormais un trio diabolique avec Poppée, sa seconde épouse, et Tigellinus, le nouveau préfet du Prétoire. Une fracture se produisit alors au sein de la garde, des sénateurs, des chevaliers et de la plèbe.

En 62, ce fut la conjuration pisonienne. Orchestrée par un sénateur très populaire, elle impliquait Faenius Rufus, le deuxième préfet du Prétoire. Si la conspiration, qui visait l’assassinat de Néron lors d’une représentation au cirque Maximus, fut éventée et neutralisée (Pison et Sénèque furent condamnés à s’ouvrir les veines, Rufus fut décapité), elle démontrait qu’au sein de la garde prétorienne, la division régnait. Usant de la bonne vieille méthode, Tigellinus et Nymphidius Sabinus, remplaçant de Rufus, cherchèrent à racheter la fidélité de leurs hommes via un donativum de 500 deniers. Mais Néron restait l’homme le plus détesté de l’Empire. Son départ pour la Grèce (dont il était un « fan » absolu) en 66 initia sa chute. Il était accompagné de Tigellinus. Un mauvais choix car ce dernier laissait le champ libre à Sabinus, qui commença à intriguer avec d’autres sénateurs et chevaliers, tout en ralliant les prétoriens à sa cause.

En 68, quand Néron rentra à Rome, ce fut pour découvrir qu’il était la cible d’un véritable processus de coup d’état ! Nymphidius Sabinus, après avoir promis un donativum de 7500 deniers pour chaque prétorien, annonça  que la garde abandonnait Néron pour déclarer son attachement à Servius Sulpicius Galba, gouverneur d’Hispanie. Élevé au statut de César, Galba marcha sur Rome. Le 9 juin 68, se voyant condamné et ayant peur d’être supplicié, Néron se suicidait. Sabinus ne fut pas récompensé de sa traîtrise car il le suivit rapidement dans la tombe, tué par ses prétoriens.

LA GUERRE CIVILE

L’an 69 est une période de guerre civile désignée par les historiens comme « l’année des quatre empereurs ». Une nouvelle fois, la garde prétorienne joua un grand rôle dans ce conflit engageant un quatuor de rivaux, qui s’acheva par la naissance d’une nouvelle dynastie, les Flaviens.

En octobre, Galba, le nouvel empereur, entra dans Rome ; on imagine en grande pompe. Ce vieil homme de 70 ans, que les historiens classiques décrivent comme pingre et aigri (et mal conseillé), se mit instantanément les prétoriens à dos. En effet, peu de temps après son arrivée, alors qu’une délégation de la garde le visitait pour réclamer le donativum promis (les fameux 7500 deniers), Galba les rabroua sèchement en déclarant « qu’il avait pour habitude de recruter des soldats, pas de les acheter ». A sa décharge, les caisses de l’état étaient vides, mises à sac par les frasques de Néron. Pour bien appuyer son autorité, il ordonna l’exécution d’un grand nombre de prétoriens, jugés coupables d’outrecuidance. Pour débuter un règne de la meilleure des façons, ce n’était peut-être pas la bonne méthode. Rapidement, le mécontentement s’amplifia. Le choix d’un successeur en la personne de Licinianus, petit-fils de Pison, au lieu de calmer le peuple, scandalisa l’opinion.

Début 69, les légions de Germanie se soulevèrent et choisirent comme empereur leur chef, Aurelius Vitellius. A Rome, c’est Othon, « l’homme de confiance » de Galba qui parvint à convaincre les prétoriens (contre une belle somme, bien entendu) de le nommer empereur. Abandonné par tous, payant de sa vie sa pingrerie, Galba finit son existence lynché par les prétoriens, alors qu’il tentait de les ramener à sa cause.

Galba éliminé, restaient en course Vitellius et Othon, ce dernier ayant les faveurs du Sénat et des prétoriens. Dans le même temps, en Orient, un troisième larron, Titus Flavius Vespasianus (Vespasien), commençait à s’agiter. Le 14 avril 69 eut lieu la première bataille de Crémone (également nommée bataille de Bédriac). Elle opposa l’armée du Rhin de Vitellius, composée des durs à cuire de la XXe Rapax et de rudes guerriers bataves, à l’armée romaine d’Othon, dans laquelle figuraient les cohortes prétoriennes, accompagnées de légionnaires peu expérimentés et de gladiateurs. Malgré un début de bataille prometteur, le centre de l’armée d’Othon fut enfoncé, entraînant une déroute. Othon, réfugié dans son camp, se suicida. Comme on peut le constater, les prétoriens ne valaient pas, déployés en ordre de bataille, les légions romaines des frontières, plus expérimentées.

Arrivé à Rome, Vitellius se fit désigner empereur par le Sénat. Il effectua une « épuration » au sein des cohortes prétoriennes en exécutant tous les centurions et en licenciant tous les légionnaires, pour les remplacer par ses propres soldats et auxiliaires. La nouvelle garde prétorienne se composait alors de 16 cohortes fortes de 1000 hommes. Quand à Vespasien, il se fit une joie d’accueillir dans son armée d’Orient une masse de désœuvrés : les anciens prétoriens de Galba ! A la fin de l’été, l’armée de Vespasien entrait en Italie. Celui qui était encore un usurpateur rencontra à Crémone l’armée d’Othon où, par deux fois (les 24 et 31 octobre), les flaviens sortirent vainqueurs. Les prétoriens, eux, ne participèrent qu’à la seconde bataille. Battus, ils replièrent avec Vitellius pour se réfugier dans leur caserne, pendant que les flaviens pillaient Crémone en se laissant aller, d’après Tacite, aux pires exactions.

A Rome, Sabinus, frère de Vespasien et préfet de la Ville, tenta de négocier avec Vitellius. En vain. Une guerre de rue s’engagea alors entre partisans des deux prétendants. Et quand Vespasien arriva à Rome, il trouva la cité à feu et à sang. Son frère, Sabinus, était mort. Il avait péri dans l’incendie du Capitole. La prise de la ville par les flaviens fut difficile, rue après rue, car une partie de la population se montra très hostile, et l’assaut de la caserne de la Garde prétorienne fut coûteuse en hommes. Finalement, la caserne fut prise. Vitellius fut capturé, puis exécuté sauvagement. Le Sénat n’eut alors plus d’autre choix que de nommer princeps Vespasien.

LA GARDE PRÉTORIENNE ET LES FLAVIENS

Arrivé au pouvoir, Vespasien fit réparer la caserne, qui avait été très endommagée lors de l’assaut. Le nombre de cohortes prétorienne repassa à 9, avec un effectif composé principalement d’anciens légionnaires de son armée (et des anciens prétoriens d’Othon). La fonction de préfet du prétoire fut confiée à Titus, le fils de Vespasien, ce qui rendit ce poste encore plus prestigieux. Durant son règne, Vespasien fit un travail remarquable. Il réorganisa l’Empire, notamment en optimisant l’impôt, il réforma l’ordre équestre, qu’il rendit plus digne, et il diminua l’influence du Sénat en donnant la priorité à l’armée pour l’élection du princeps. Il fit preuve d’un grand sens politique et réussit à attacher durablement la fidélité des prétoriens à la dynastie flavienne. Il s’éteignit de mort naturelle le 23 juin 79, après dix ans de règne.

Ce fut son fils, Titus, qui lui succéda. Victime d’une fièvre, son règne fut bref (79-81) mais c’est sous sa tutelle que la Garde prétorienne participa à une campagne en Germanie. Une campagne qui perdura durant le règne de son frère Domitien (81-96) qui fit passer le nombre de cohortes de 9 à 10. Sous Domitien, la garde combattit en Germanie, mais aussi sur le Danube, contre les Sarmates, les Chattes et les Daces. En réalité, cela fut plus de difficiles guerres défensives (en 87, Cornelius Fuscus, préfet du Prétoire est tué dans un combat contre les Daces) que de véritables campagnes. Domitien résolut momentanément le problème en achetant la paix. Entre les prétoriens et les Flaviens, c’était toujours le grand amour.

LES CAMPAGNES DE DACIE ET D’IRAN

Mais Domitien ne faisait pas l’unanimité, notamment du côté des sénateurs, qui qualifiait son régime de despotique. Cela se mit donc à comploter et, le 18 septembre 96, Domitien mourrait assassiné à l’âge de 45 ans. Le même jour, Marcus Cocceius Nerva était désigné empereur par le Sénat. Comme l’on pouvait s’en douter, le meurtre de Domitien mit les prétoriens dans une rage folle, surtout que l’un de leurs préfets, Petronius Secundus, était fortement soupçonné d’avoir participé au complot. Leur colère ne fit que grandir quand ils constatèrent que Nerva ne leur délivrait pas l’habituel donativum. Afin de calmer les prétoriens, Nerva accepta de leur livrer Secundus (il fut emprisonné puis exécuté suite à un ordre du préfet du Prétoire Casperius Aelianus) mais la situation restait tendue. Il trouva une solution en désignant en 97 Marcus Ulpius Traianus, gouverneur de Germanie, comme son successeur. Un acte qui lui amenait le soutien de huit légions, et pas les moins aguerries. De quoi calmer les prétoriens ? On ne le saura jamais car Nerva mourut en 98 de cause naturelle.

C’est sous le long règne de Trajan (98-117), empereur-soldat, que les prétoriens accomplirent leurs plus grands exploits. Du moins si l’on en croit les nombreuses inscriptions figurant sur la colonne de Trajan et sur la grande frise de Trajan qui décore le forum. Mais Trajan était peut-être un expert en communication. Les spécialistes débattent toujours sur le sujet. Quoiqu’il en soit, la garde combattit au côté des légions sur le Danube contre les Daces (neuf cohortes participèrent aux campagnes de 101-102 et 105-106) et en Orient, contre les Parthes (la campagne infructueuse de 113-117). Cependant, la place de privilégié des speculatores prétoriens auprès du princeps s’effaça, au profit d’une garde à cheval (les equites singulares augusti, voir plus loin). Au final, Trajan rapporta de sa campagne contre Décébale, le roi des Daces, un immense butin (165 tonnes d’or, 331 tonnes d’argent et 50 000 esclaves !) mais le séjour en Iran lui coûta la vie. Tombé malade en 117, il mourut sur le chemin du retour.

LES PRÉTORIENS EN PREMIÈRE LIGNE

Sous Domitien et Trajan, les prétoriens, sollicités dans les campagnes, échangèrent leur rang de garde de palais contre celle d’une unité d’élite, présente en première ligne. Elles gardèrent ce statut durant tout le deuxième siècle même si les successeurs de Trajan, Hadrien (117-138) et Antonin le Pieux (138-161) adoptèrent une politique nettement moins belliqueuse et expansionniste. Marc Aurèle (161-180) voulut adopter, selon ses dires, la même attitude, mais la situation n’était plus la même sur les frontières de l’Empire. La garde prétorienne participa aux opérations en Iran (162-166) ; une campagne militaire, dirigée par le coempereur Lucius Verus qui s’acheva par la prise de Ctésiphon, capitale du royaume Parthe. Elle fut également des combats contre les Sarmates (169-175) et les Marcomans (178-180). Lucius Verus mort en 169, l’armée était dirigée par Marc Aurèle en personne, conseillé, entre autres, par Pertinax, futur empereur. C’est contre les Marcomans que tomba au combat Macrinius Vindex, préfet du Prétoire (172).

Quand Marc Aurèle mourut en 180 sur la frontière de Germanie, son fils, Commode, ramena la garde à Rome. Moins attiré par la guerre que son père, il eut la chance que la situation se soit un peu calmée. Cependant, le retour d’une paix relative sur les frontières de l’empire ralluma le feu des intrigues de palais. Et les prétoriens ne manquèrent pas de l’entretenir et de l’attiser. Commode, empereur faible, débuta son règne sous l’influence de Tigidius Perennis, le préfet du Prétoire. De 182 à 185, cet ancien intime de Marc Aurèle abusa sa position privilégiée pour accumuler un énorme trésor et intervenir dans la politique de l’empire. Cependant, en 185, les intrigues d’un autre favori, l’affranchi Cléandre, et l’arrivée de Bretagne d’une forte délégation (1500 hommes !) de plaignants, entraîna sa disgrâce. Contraint de fuir, Perennis fut retrouvé et exécuté.

Sans rival, Cléandre prit les rênes du pouvoir. Il parvint tout d’abord à imposer son choix pour la désignation du nouveau préfet avant de prendre lui-même en 188 le commandement de la garde, plaçant des favoris aux postes clés. A la tête de l’état et de l’armée, il prit des décisions très impopulaires, comme lorsqu’il ordonna aux equites singulares augusti de charger une foule de contestataires, qui était aux prises avec les cohortes urbaines. Lassé, le peuple finit par exiger la tête de Cléandre, une requête que Commode ne put refuser. Avec Pertinax, préfet de la Ville, et Laetus, préfet du Prétoire, Commode se lança à partir de cette date dans une politique de purge peu efficace puisqu’en 192, il est assassiné dans son bain par l’esclave Narcisse.

Le 1er janvier 193, acclamé par les prétoriens (qui se virent gratifiés d’un donativum de 3000 deniers !) et approuvé par le Sénat, Publius Helvius Pertinax était nommé empereur de Rome. Son règne fut bref, quelques mois plus tard, Pertinax, jugé trop chiche envers ses bienfaiteurs, était massacré par la garde prétorienne. Le Sénat poussait alors sur le trône le sénateur Didius Julianus… et déclenchait une nouvelle guerre civile.

UNE NOUVELLE GARDE

Car, pour beaucoup, Didius Julianus n’était pas légitime. En fait, l’ancien sénateur n’était qu’un homme de paille. Le véritable pouvoir était dans les mains des prétoriens. Ils prirent eux-mêmes le contrôle des caisses de l’état, pour engager de nombreux ouvrages, comme une modification de leur caserne, après s’être versé un donativum royal de 6250 deniers. Tout cela ne fut pas pour plaire à tout le monde, notamment dans les rangs de l’armée. En Pannonie, les légions acclamèrent leur général, Septime Sévère. En Bretagne, ce fut Clodius Albinus. En Orient, Pescennius Niger. A Rome, les prétoriens prirent peur et des gardes assassinèrent un Didius Julianus laché par le Sénat. Quand Septime Sévère entra dans Rome en juin 193, il convia les prétoriens à une rencontre amicale. Ceux-ci vinrent lui rendre hommage avec la tête de Julianus mais ils tombèrent dans un traquenard. Cernée par les légionnaires, la garde fut désarmée et dissoute, et les assassins de Pertinax exécutés. Septime Sévère puisa alors dans son armée pour remonter une nouvelle garde, le commandant étant confié à Plautanius, un homme de confiance.

Puis Septime Sévère, premier empereur d’origine africaine, partit en campagne contre les « usurpateurs ». Sa garde prétorienne fut de tous les combats. Elle se distingua contre Niger dans les batailles victorieuses de Cyzique (193), Nicée (194) et, enfin, Issos (194). Leur implication lors de la bataille de Lyon (197) contre les légions bretonnes de Clodius Albinus fut encore plus importante puisque, sous les ordres directs de Septime Sévère, ce fut la garde qui bouscula les rangs ennemis avant que le préfet Laetus, à la tête de la cavalerie acheva de les mettre en déroute. En 208, la garde prétorienne accompagna son empereur en Bretagne (ainsi que ses deux fils, Caracalla et Géta) pour une campagne de pacification contre les Calédoniens et des pillards germains.

LES PRÉTORIENS ET HEL-GABAL

Caracalla, qui succéda à son père (décédé à York en 211), débuta son règne de façon mémorable puisqu’il commença par… tuer son frère. Pour calmer l’armée et les prétoriens, il leur versa des sommes astronomiques. Cela eut pour effet de vider les caisses. Le nouvel empereur continua l’entreprise de Septime Sévère en menant plusieurs campagnes en Germanie, en Pannonie, et en Orient. Il ne réussit cependant pas à se faire aimer de la troupe. Trop excentrique avec un gout prononcé pour la civilisation grecque, peu doué dans le domaine militaire, trop attaché à sa mère, Julia Domna (qui le suivait même en campagne), il était méprisé par une partie de son entourage. Parmi toutes ses opérations militaires, on ne connait à son sujet qu’une victoire, contre les Arabes en 214. Le 8 avril 217, il était assassiné par des prétoriens, mandatés par le préfet du Prétoire Macrin, qui en profite pour monter sur le trône. Comme Septime Sévère, Macrin était d’origine africaine.

Avec Macrin, le pouvoir revenait aux mains des prétoriens. Mais une défaite du nouvel empereur contre les Parthes brouilla les cartes. Obligé de verser au vainqueur un tribut de 50 millions de deniers, il ne put verser le donativum promis aux prétoriens. Et l’on a bien compris combien il était déconseillé de ne pas acheter la fidélité des gardes. De plus, les Sévères ne comptaient pas en rester là. Julia Moesa, la tante de Caracalla, parvint, contre monnaie sonnante et trébuchante, à faire acclamer empereur son petit-fils, Elagabal, et à le faire reconnaître par le Sénat. Macrin, poursuivi et capturé alors qu’il se cachait en Cappadoce, fut décapité le 8 juin 218.

Quand le clan Sévère débarqua à Rome et que le peuple découvrit leur empereur, ce fut un choc. Car Elagabal , adolescent d’une quinzaine d’année, n’avait rien de romain. On lui reprochait de vénérer un dieu étranger (Hel-Gabal), de vouloir imposer à Rome ses coutumes orientales. Au palais, la garde regardait avec effarement ce jeune homme pacifique dominé par sa mère et sa tante (Soemias et Mamaea), qu’ils appelaient les sœurs syriennes. Aussi, en 222, quand Elagabal, obéissant aux vœux de sa mère, demanda aux prétoriens d’éliminer Mamaea et son fils (Sévère Alexandre), c’en fut trop pour eux. Au lieu d’exécuter les ordres de leur chef, les prétoriens tuèrent le préfet du Prétoire, le préfet de la Ville, Soemias et Elagabal.

L’arrivée au pouvoir de Sévère Alexandre bouscula les choses. Car le jeune empereur était apprécié du Sénat et du peuple – c’est peut-être ce sentiment qui a amené les prétoriens à désobéir à l’ordre de leur préfet. Sous son règne, les prétoriens appuyèrent leur autorité, car Sévère Alexandre était un intellectuel plus intéressé par l’histoire et la philosophie que par la politique. Cela ne l’empêcha pas de veiller au bien-être de ses soldats, qui toutefois ne lui portèrent guère plus de respect. Ils le trouvaient trop faible. Bref, grâce aux bonnes grâces de Sévère Alexandre, les prétoriens purent mener tranquillement leur politique et entourer l’empereur des personnes de leur choix – comme lorsqu’ils tuèrent devant lui leur préfet Ulpien ou quand ils obtinrent l’exil de l’historien Don Cassius.

LES PRETORIENS NOYES DANS L’ANARCHIE MILITAIRE

En 231, Sévère Alexandre dut quand même mener une guerre en Syrie, puis, en 234, il installait son quartier-général à Mayence. Les Alamans, en effet, menaçaient les Champs Décumates. Loin de Rome, Sévère Alexandre vit son maigre pouvoir s’étioler. Le 18 mars 235, sous l’instigation de Maximin le Thrace, un général de bonne réputation, des soldats assassinèrent Sévère Alexandre et sa mère. L’armée du Rhin acclama Maximin le Thrace sous le nom de Maximin 1er. Le Sénat, du bout des dents, approuva l’élection. Mais, en 238, le fragile équilibre se rompit. A Rome, des émeutiers dirigés par une faction de sénateurs prirent d’assaut la caserne de la Garde Prétorienne. En sous-nombre (la plupart des cohortes étaient sur le Rhin, avec l’empereur), les gardes furent débordés et le préfet du Prétoire, Sabinus, massacré. Dans le même temps, dans la riche colonie africaine de Carthage, un nouvel empereur était acclamé : Gordien. Une nouvelle guerre civile s’amorçait.

Durant l’année 238, alors qu’ils étaient sur le chemin de Rome, Maximin et son fils étaient assassinés par des prétoriens mécontents . En Afrique, à la bataille de Carthage, Gordien II, le fils de Gordien, à la tête d’une armée de vigiles et de gladiateurs était battu et tué par les légions d’un légat fidèle à Maximin (Gordien se suicidait peu après). Maximin et Gordien disparus, Rome se retrouvait sans empereur. Pour résoudre le problème, le 22 avril, le Sénat ne désignait pas un nouvel empereur, mais deux : Maxime Pupien et Balbin ! Cette décision ne fut pas du gout des prétoriens qui, une fois arrivés dans Rome, assiégèrent le Sénat et massacrèrent ces deux pauvres hommes qui n’avaient rien demandés. Enfin, poussé par les prétoriens et par l’influent préfet du Prétoire, son futur beau-père Timésithée, le jeune Gordien III (13 ans), petit-fils de Gordien, montait sur le trône le 29 juillet 238.

Le règne de Gordien III dura six ans. Six années durant lesquelles les préfets du Prétoire Timésithée, puis Philippe l’Arabe (après la mort de Timésithée en 243), furent les véritables maîtres de l’empire. La garde prétorienne accompagna Gordien III dans une campagne en Mésopotamie, contre l’empire Sassanide. Après une belle victoire qui se matérialisa par la prise de Ctésiphon, les Romains furent battus à Mésiché. Gordien III, peut-être blessé durant la bataille, mourut peu après dans des circonstances qui restent floues, cédant la place à Marcus Julius Philippus, dit Philippe l’Arabe.

LES TRENTE TYRANS

Sous Philippe l’Arabe, Rome tenta d’acheter la paix, plus ou moins avec succès. Accompagné des prétoriens, il dut faire campagne en Germanie et sur le Danube. A l’intérieur, l’ancien préfet du Prétoire dut également se battre pour conserver son trône. La concurrence était telle qu’il proposa son abdication au Sénat, qui lui refusa. Dans chaque région de l’Empire se levait un concurrent. Mais; comme souvent, le plus grand danger vint de son propre entourage. En 249, sur le site de Vérone, Philippe l’Arabe affronta l’armée de son ancien aide-de-camp, Dèce, qui était deux fois plus nombreuse. Battu, l’empereur déchu tenta de fuir avant d’être rattrapé et tué avec son fils par les prétoriens.

Trajan Dèce, malgré ses efforts, ne parvint pas à mettre un terme à l’anarchie militaire. Nombre d’usurpateurs se levèrent durant son règne. Il dut également faire face aux incursions barbares – Carpes et Goths. Dépassé par la taille de l’enjeu, il désigna son fils Herennius coempereur. C’était la première fois qu’un empereur romain partageait officiellement le trône avec un alter-ego. Il subsiste peu de textes datant de cette période traitant des gardes prétoriens, mais il est probable qu’ils étaient présents sur le Danube lors de la défaite d’Abrittus (juin 251), contre les Goths du roi Cniva) où père et fils perdirent la vie.

Si les morts au combat de Trajan Dèce et de son fils furent bien plus héroïques que celles de leurs prédécesseurs, elles témoignaient de l’affaiblissement de l’Empire face aux incursions barbares. La situation était d’autant plus difficile que leur successeur était Trébonien Galle. Cet empereur qui n’est pas resté dans les mémoires accéda au trône de la plus méprisable des façons. Responsable de l’armée de soutien sur le Danube, il refusa de porter secours aux empereurs lors de la bataille d’Abrittus, les abandonnant à leur triste sort. Est-il donc utile de préciser qu’il fut contesté ? Tout d’abord, en 252, par l’usurpateur Uranius, qui prit la Syrie à son compte, puis, en 253, par Emilien (vainqueur des Goths en Mésie), Volusien et Valérien. Les deux derniers étaient des lieutenants de Trébonien acclamés par leurs troupes. Trébonien et Volusien furent tués à la bataille d’Interamma, Emilien mourut de la peste peu après. Ne restait que Valérien. On ne sait pas grand-chose sur l’implication de la garde prétorienne dans ces affrontements, ce qui nous laisse à penser qu’elle aussi était dépassée par les événements.

LES PRÉTORIENS DANS L’OMBRE DES ILLYRIENS

Bien que reconnu empereur légitime en 253 par le Sénat, Valérien (253-260) ne parvint pas à rendre à l’empire sa stabilité. La peste et les incursions barbares (Marcomans, Goths et Francs) faisaient des ravages, les tentatives de coups d’état, les usurpateurs se multipliaient. Une longue période d’agitation, qui perdura jusqu’à la chute d’Aurélien, qui est désignée par les historiens sous le nom de période des « trente tyrans » (d’après l’œuvre anonyme L’histoire d’Auguste »). Pour l’aider dans sa tâche, Valérien désigna Gallien, son fils, comme coempereur, et, prenant en charge l’Orient, il lui confia la gestion de l’Occident. En 260, en Syrie, Valérien, qui ambitionnait de mettre à raison les Sassanides, rassembla une immense armée qui comptait dans ses rangs les prétoriens. Le corps expéditionnaire fut écrasée dans le courant de l’année par Sapor 1er  (ou Shapur 1er), empereur Sassanide, et Valérien fut capturé (un bas-relief, à Naqsh-i-Rustam, en Iran, montre l’empereur Sapor 1er et Valérien, son prisonnier). Le reste de l’armée impériale, abandonnant Valérien à son triste sort, se replia vers Emèse, en Syrie.

Gallien (260-268), désormais seul sur le trône, tenta pendant ses huit années de règne de contenir les incursions goths. Ses efforts se portaient aussi sur la lutte contre les tentatives de coup d’état. En occident, le gaulois Postumus tua le fils de Gallien puis se déclara empereur des Gaules. Il frappa même monnaie. Il n’était qu’un usurpateur parmi tant d’autres. C’est d’ailleurs lors du siège de Milan, cité tenue par l’usurpateur Auréolus, que Gallien fut assassiné, cédant cette place inconfortable à Claude II (qui était, si l’on est croit certains historiens, peut-être lié à cette assassinat). L’on en sait peu sur les actions des prétoriens durant cette période très agitée et peu riche en sources. Il est fortement probable qu’ils furent de la bataille où l’empereur acquit son titre de Claude II le Gothique. C’était en 269, à Naïssus, en Serbie. Les Romains, après une rude bataille, repoussaient une invasion majeure. En 270, les Goths étaient rejetés sur l’autre rive du Danube. Cependant, Claude II, une fois de retour à Rome, ne profita pas longtemps de cette gloire. En août 270, il décédait de la peste.

LES PRETORIENS DANS LA « RECONQUISTA »

Faisant fi de la décision du Sénat, qui avait désigné comme successeur de Claude II son frère Quintillius, l’armée du Danube acclama son général d’origine illyrienne, Aurélien, empereur (270-275). Débuta alors une période de reconquête durant laquelle la garde prétorienne retrouva un peu de son prestige, avec des opérations contre les incursions barbares (Alamans, Vandales, Goths) mais surtout les campagnes de « reconquista » de Gaule et de Palmyre (leur présence est attestée). Par contre, Aurélien ne parvint pas à rétablir complètement l’ordre au sein de l’empire. En 275, en Thrace, alors qu’il préparait une nouvelle campagne contre les Sassanides, il était assassiné lors d’un complot de palais. Le Sénat nomma alors Tacite, son président, empereur. Ce dernier, bien que très âgé, était soucieux de sa santé. Il offrit donc un donativum énorme à ses prétoriens, nomma son frère Florien préfet du Prétoire et le populaire général Probus chef de l’armée d’Orient. Son règne ne dura qu’un an. Alors qu’il accompagnait l’armée en Orient, il mourrait dans des circonstances inconnues en juin 276.

Florien, le préfet du Prétoire, revendiqua alors le trône alors qu’en Orient Probus était acclamé par ses hommes. La rencontre était alors inévitable. Elle eut lieu à Tarse, en Silicie, à l’automne 276. Mais de bataille il n’y en eut point. Peut-être séduit par un donativum conséquent, ou impressionnés par la puissante armée du Danube, les prétoriens assassinèrent Florien, avant de prêter allégeance à Probus, un militaire pannonien chevronné, ancien général d’Aurélien et de Claude II. Le nouvel empereur continua l’entreprise d’Aurélien, avec une certaine réussite (ainsi, les Champs Décumates, perdus sous Gallien, retournaient dans l’Empire) et l’aide de Carus, le préfet du Prétoire. En 281, à Rome, on lui célébra même un spectaculaire triomphe. Mais il était aussi très exigeant avec l’armée. Si dur qu’en 282, à Sirmium (Serbie), il est brûlé vif par un parterre de soldats mécontents. Rome perdait misérablement un très grand empereur.

A Rome, le Sénat, qui croyait avoir trouvé en Probus une stabilité, ce fut le choc. Durant son court règne (282-285), Carus, son successeur, associé à ses deux fils (Numérien et Carin) entreprirent alors de remettre de l’ordre et de la discipline au sein de l’armée. Bon généraux, ils réussirent à repousser les diverses agressions barbares et reconquirent même quelques régions perdues au cours des années précédentes. Quand Carus décéda en 283, ses deux fils, assassinés, le rejoignirent rapidement dans la tombe. En 285, Dioclétien, vainqueur de Carin à la bataille du Margus, était proclamé empereur.

LA FIN DES PRETORIENS

Dioclétien associa à sa fonction d’auguste Maximien Hercule. Il nomma également deux césars ; Galère et Constance Chlore. L’Empire fut alors divisé en quatre zones administratives et militaires. Ce partage des pouvoirs permit à Dioclétien de mettre en place de nombreuses réformes et de réorganiser l’Empire en le décentralisant. A Rome, il diminua le nombre de cohortes prétoriennes (sans que l’on en sache le nombre), ce qui démontrait une baisse de leur influence. Il mit en place la dernière grande persécution des chrétiens (303-311). Puis, en 305, après vingt années de règne, malade et lassé des querelles intestines, il abdiqua pour se retirer en Dalmatie (sur le site de Split). Avec le départ de Dioclétien, le bel équilibre se rompit. Maximien Hercule le suivit de peu, hissant les deux césars, Galère et Constance Chlore, au rangs d’augustes. Sur l’avis de Dioclétien, ils furent remplacés au rangs de césars par Maximin Daïa et Sévère, deux officiers proches de Galère, ce qui ne fut pas du gout de Maxence et Constantin, les fils de Maximien Hercule et Constance Chlore.

La situation devint explosive quand, le 25 juillet 306, Constance Chlore mourrait à York, après avoir livré une campagne contre les Pictes. L’armée de Bretagne acclama alors son fils, Constantin, provoquant une réaction en chaîne. A Rome, Maxence fut proclamé empereur par la garde prétorienne. Peu de temps après, Sévère était abandonné par son armée, qui lui préféra Maxence. Réfugié à Ravenne, Sévère n’eut d’autre choix que le suicide. Dans le même temps, en orient, Maximin Daïa avait fort à faire avec Licinius, un autre usurpateur. En 308, en Afrique, Domitius Alexander, légat de Carthage, était proclamé empereur par ses légions. Maxence réagit rapidement en envoyant son préfet du Prétoire, Rufius Volusianus, et les Prétoriens en Afrique. Capturé fin 309, l’usurpateur Domitius Alexander mourrait étranglé.

En 312, à la tête de 40,000 hommes, Constantin entrait en Italie. De son côté, Maxence disposait de plus de 100,000 hommes (Prétoriens, légions d’Italie, cohortes Urbaines, légions d’Afrique) mais son armée était nettement moins aguerrie que les vétérans de Bretagne menés par le fils de Constance Chlore. Devant Turin,  Constantin battit l’armée qui avait été envoyée contre lui, commandée par le préfet du Prétoire Pompeianus. La route de Rome lui était alors ouverte. Maxence l’y attendit. La bataille décisive eut lieu à Saxa Rubra, le 28 octobre 312. La bataille du pont Milvius opposa les légions de Constantin à celles de Maxence, où figuraient les prétoriens. Ayant adopté le symbole chi-ro, suite à une vision de leur chef, les cohortes de Constantin enfoncèrent les lignes de Maxence, les forçant à retraiter vers un ponton qui enjambait le Tibre, non loin du pont Milvius. Sous le poids de la masse des prétoriens en repli, le ponton s’écroula. Nombre de prétoriens se noyèrent. Parmi eux figurait leur chef, Maxence.

Un an plus tard, après avoir éliminé Licinius, son ultime adversaire, Constantin, sous le titre de Constantin 1er devenait pour longtemps le seul maître de l’empire romain. N’ayant pas pardonné aux prétoriens leur soutien à Maxence, il dissout les cohortes prétorienne, ainsi que le corps d’equites singulares augusti, qui avait également pris parti pour son adversaire. Moins sévère avec les cohortes Urbaines, il les relégua toutefois à des tâches administratives. Il remplaça ces unités dissoutes par ses propres gardes du corps, cinq « scholes palatines » de cavaliers germains. Après plus de trois siècles d’existence, les prétoriens disparaissaient du paysage politique et militaire romain.

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