L’un des principaux codes de conduite de l’historien est de faire preuve d’objectivité, de se concentrer sur les faits, rien que les faits, et surtout d’éviter de se laisser guider par son affect. Malheureusement, il suffit de concentrer son attention sur un personnage particulier pour constater que, souvent, le biographe se laisse influencer par sa sensibilité. C’est d’autant plus vrai quand la personnalité était déjà, de son vivant, sujet à controverse. Comme c’est le cas pour La Fayette, personnalité marquante des Lumières et de la Révolution, l’homme qui a fait deux Révolutions et installé la maison d’Orléans sur le trône de France. Adulé par les uns, détesté par les autres, La Fayette affichait un idéalisme non en accord avec son temps. Partisan du compromis, de l’équilibre entre les différents courants idéologiques qui secouèrent la fin du XVIII° siècle (fervent partisan du bicamérisme), il apparaissait comme un véritable anachronisme au sein d’une époque submergée par les émotions révolutionnaires et réactionnaires.

Il suffit de lire les deux derniers ouvrages qui lui sont consacrés pour s’en convaincre. En effet, même si les deux historiens, Gonzague Saint-Bris et Jean-Pierre Bois sont d’accord dans le fait que Gilbert du Motier de La Fayette marqua son siècle, à la fois par ses idées humanistes et républicaines, leurs analyses divergent grandement quand il s’agit d’analyser sa personnalité. Le regretté Gonzague Saint-Bris, décédé dernièrement lors d’un accident de la route, nous dresse le portrait d’un homme généreux, altruiste, une sorte d’avatar moderne de Cincinnatus, alors que Jean-Pierre Bois, via un regard plus distant, traduit son désintéressement par un manque de courage politique. Comme pour les manifs, il convient de faire la moyenne entre les chiffres de la police et des syndicats.

la fayette saint-bris

Héros des deux mondes pour les uns, « général Morphée » pour les autres, une chose est sure, La Fayette n’a pas laissé ses contemporains indifférent. Les deux auteurs s’accordent en effet pour faire de celui qui fut peut-être le premier « centriste » de l’Histoire un homme vertueux, fidèle en amitié, abolitionniste convaincu (et activiste) et un homme courageux dans l’action. Plus intéressé par la gloire que par le pouvoir, La Fayette était en quelque sorte un idéaliste marginal, et c’est cette marginalité, incomprise à la fois par les partis Royalistes et Jacobins, qui firent de lui un indésirable, voire un homme à abattre. Il est d’ailleurs amusant que c’est la prison qui le sauva de la guillotine. Même s’il en est sorti très affaibli et que son épouse y laissa sa santé.

La vie de La Fayette, que nous content Saint-Bris et Bois, est une véritable épopée, pleine de rebondissement, une extraordinaire histoire, faite de gloire et de peine, qui pourrait combler plusieurs existences. La mort de La Fayette en 1834, à l’âge de 74 ans, fut traitée aux Etats-Unis par un deuil national. En France, les réactions furent diverses. Certains, en effet, comme Louis-Philippe (qui lui devait pourtant son trône) purent se satisfaire d’être enfin débarrassé de quelqu’un qu’ils considéraient comme un empêcheur de tourner en rond de par son attitude politique, qui adoptait celle d’un lanceur d’alerte. Non, Robespierre, Mirabeau et Napoléon ne le haïssaient pas. Ils étaient agacés par l’obstination de ce républicain libéral, qui détestait par dessus tout l’injustice. Sur ce point, les deux historiens sont sur la même longueur d’onde.

LA FAYETTE 

Un livre de Gonzague Saint-Bris

Paru au éditions Gallimard (octobre 2007)

544 pages

LA FAYETTE

Un livre de Jean-Pierre Bois

paru aux éditions Perrin (aout 2015)

488 pages