« Un  jour descendent d’un convoi un père bossu et son fils boiteux, deux juifs du ghetto de Lòdź. Quand il les aperçoit sur la rampe, Mengele les fait immédiatement sortir du rang et les envoie au crématorium numéro un se faire examiner par Nyisli … « Ces corps ne doivent pas être incinérés (…), quel système connaissez-vous pour le nettoyage parfais des squelettes ? » Nyisli propose de plonger les cadavres dans du chlorure de chaux qui consomme les parties molles des corps au bout de deux semaines ou de les cuire dans de l’eau bouillante, jusqu’à ce que la chair puisse être séparée des os. (…) Mengele lui ordonne d’utiliser la méthode la plus rapide, la cuisson. On prépare les foyers… »

S’il y a un film qui a marqué mon imaginaire adolescent, c’est bien Ces garçons qui venaient du Brésil. Sortie sur les écrans en 1978, cette œuvre de Franklin J. Schaffner, qui avait pour vedettes Gregory Peck, Laurence Olivier et James Mason, mettait en scène un docteur Mengele qui, réfugié en Amérique du Sud, continuait d’œuvrer pour la gloire du troisième Reich. Œuvre de fiction, qui montrait un docteur fou mettre au point une armée d’enfant clones à partir de cellules d’Hitler, ce film illustre de belle manière la fascination du public contemporain pour ce membre, finalement secondaire, de l’ordre noir. Durant les années 60, Josef Mengele fut hissé, en partie grâce aux actions très médiatisés de chasseurs de nazis comme Simon Wiesenthal, au statut d’incarnation du Mal absolu. Un personnage légendaire. L’identification définitive de son corps grâce à l’analyse d’ADN, en 1992, mis un terme à la traque, mais aujourd’hui encore, le mythe du docteur nazi reste bien vivace. Il suffit de faire un inventaire des récits (films, bds, romans) d’horreur qui mettent en scène un médecin SS se livrant à des expériences impies pour s’en convaincre. La disparition de Josef Mengele, roman d’Olivier Guez, qui vient d’être honoré par l’attribution du prix Renaudot 2017, est une nouvelle preuve que le fantôme du docteur Mengele est toujours parmi nous, bien que l’angle d’attaque diffère de la norme.

disparition josef mengele

En effet, si La disparition de Josef Mengele entre bien dans la catégorie du roman, il évolue tout autant dans le domaine du livre historique. Comme il le cite, Olivier Guez a usé de la forme romanesque pour « combler les vides », inévitables conséquences d’une existence clandestine. La nature de l’œuvre, le cœur du récit, repose principalement sur la recherche documentaire. Etude d’archives, de témoignages, de journaux intimes, l’ensemble étant enrichi par des déplacements sur les lieux visités au fil des pages.  L’auteur, avec une grande précision, nous conte les années de cavale du docteur Mengele à travers un récit divisé en deux parties intitulées Le pacha et Le rat, qui distinguent deux périodes ; de son arrivée en Argentine en 1949 jusqu’en 1960, et de cette date à sa mort en 1979. Le regard porté génère une atmosphère de thriller horrifique, il suscite chez le lecteur une fascination mêlée de dégoût. Sans concession, Olivier Guez nous dessine une Amérique du Sud frayant sans vergogne avec le vil clientélisme et un obscène trafic d’influence, une Amérique du Sud où les criminels de guerre s’achètent sans problème une virginité… et s’enrichissent. Dans ce constat, l’auteur n’épargne personne, pas même ceux qui, à l’époque, furent considérés comme des bienfaiteurs, à l’image des Perón. Habile, Olivier Guez décrypte et nous offre une belle exposition des réseaux nazis (et pro-nazis) et de leurs animateurs, qui crurent un moment qu’il y avait encore un avenir en leur ignoble cause.

Encore plus dérangeant, Olivier Guez nous entraîne dans l’esprit torturé de Josef Mengele. La plume, abrupte, tranchante comme la lame d’un scalpel, contribue à l’impression horrifique. Le style est froid comme un cadavre, le phrasé obscène comme les pensées de Josef Mengele. A travers une série de flashback, durant lesquels her doctor revit ses exploits d’Auschwitz, et ses pensées du moment, le lecteur découvre un démon qui n’éprouve ni remord, ni regret, mais une haine inextinguible envers son prochain. Josef Mengele est possédé par son idéal raciste et antisémite. Il se considère comme un incompris. A ses yeux, cette bande de cons ne pige rien, il n’a fait que son devoir : éliminer la vermine juive qui pervertit la pureté de la race humaine. Quand aux sous-merdes, ces sous-hommes que sont les Russes et autres métèques, ils doivent être au service de leurs maîtres. Et cette perversion mentale est attisée par une peur permanente. Celle d’un homme traqué qui finit par plonger dans une paranoïa qui va l’éloigner de ses « alliés », qu’il méprise tout autant pour leur manque de rigueur dans leurs convictions.

Ces derniers temps, il est rare que je lise des romans. Le CV de l’auteur (j’ai beaucoup aimé le film Fritz Bauer, un héros allemand, dont il est coscénariste) m’a encouragé à tenter l’aventure La disparition de Josef Mengele. Je ne le regrette pas, tant Olivier Guez parvient avec aisance à mettre le roman au service du documentaire historique, ce qui contribue à rendre cette œuvre un réel intérêt.

4 etoiles

LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE

Un livre d’Olivier Guez

Paru aux éditions Grasset (aout 2017)

239 pages – 18,50€