En l’an 1137, à peine âgée de 15 ans, Aliénor, héritière du duché d’Aquitaine et du comté de Poitiers, épousait le futur roi des Francs Louis VII, à peine plus vieux qu’elle. Une union qui attachait au petit royaume de France d’immenses fiefs et vassaux. Mais tout en pouvait se dérouler sans heurt, et ces territoires vont devenir les enjeux de luttes dynastiques. Après avoir divorcé de Louis VII, Aliénor épousait en 1152 Henri Plantagenêt, couronné roi d’Angleterre deux ans plus tard. La concurrence entre Plantagenets et Capétiens tournait alors à la guerre ouverte.

alienor 1 Aliénor d’Aquitaine, c’était des terres riches et fertiles, mais également, si l’on en croit les textes, l’une des plus belles femmes de son temps. Ayant eut la chance d’atteindre un âge très avancée pour l’époque (elle mourut à l’abbaye de Frontevraud en 1204, à 82 ans), elle fut le personnage central de plusieurs chroniqueurs contemporains, comme Hélinand de Froidmont, qui dressèrent d’elle un portrait peu flatteur, emprunt de scandales et d’intrigues, de  ceux qui construiront les fondements de la légende noire.

Depuis quelques temps, les recherches archéologiques et les études documentaires ont changé le regard porté sur cette femme de caractère. Elle est même devenue un symbole de la lutte féministe. Et c’est ce personnage réhabilité qui se voit offrir par Delcourt (sans lui ôter son côté « obscur », qui ne peut être ignoré) la plus ambitieuse œuvre de sa série Les reines de sang. Pas moins de six tomes lui sont consacrés.

Scénarisée par Simona Mogavino et Arnaud Delalande, l’œuvre retrace la vie d’Aliénor, de son mariage avec Louis VII jusqu’à sa mort, en janvier 1204. Si le projet était ambitieux et tout à fait respectable, force est de dire que le résulta final apparaît comme assez déséquilibré, les dernières années de son existence étant résumées (voire un peu expédiées) dans le dernier album. Il est probable que ce problème repose sur un changement dans le choix éditorial. En effet, Aliénor, la légende noire, devait tout d’abord être composée de 3 tomes. Le troisième tome s’achevant avec le fiasco de la croisade de Louis VII, il était impensable d’arrêter là l’histoire d’Aliénor.  Cependant, compte tenu du rythme imposé par la série, il aurait fallu non pas 6 tomes, mais plutôt dix, pour couvrir convenablement toute l’histoire d’une femme qui fut reine des Francs, reine d’Angleterre et mère de trois rois.

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Quoiqu’il en soit, le scénario reconstitue de manière assez précise l’histoire de son siècle. Quelques personnages ont cependant été rajoutés, comme l’encombrant Vincent, un chevalier italien qui symbolise un peu le magnétisme (supposé) qu’opérait Aliénor sur la gente masculine. Le concept est intéressant, mais il est cependant dommage que ses états d’âmes et ses actes héroïques prennent parfois le dessus sur la leçon d’Histoire et transforme le récit en une sorte de romance un brin puérile. De plus, même si les premiers tomes la décrivent sous un angle plus critique, par la suite les scénaristes se sont bien gardés de trop « salir » Aliénor, la déchargeant de nombreux actes « condamnables » dont elle n’est pas totalement exempt, comme l’empoisonnement de Rosemond Clifford, la maîtresse d’Henri II, ou ses nombreuses liaisons adultères. On assiste ainsi à un adoucissement du traitement à partir du tome 2.

Au dessin, Carlos Gomez (assisté de José Luis Rio à la couleur) fournit ici un travail remarquable. Son trait réaliste et son élégance dans la reconstitution des décors et des costumes donne à l’œuvre une majesté toute « royale ». La précision de son coup de crayon est très précieuse dans ce type de récit qui fourmille en personnages qui doivent être identifiés au premier coup d’œil par le lecteur. Par contre, pourquoi avoir fait d’Henri II un personnage élégant aux cheveux bruns alors que les chroniques, s’ils affirment une certaine élégance, le décrivent comme un « homme trapu, aux cheveux roux » ? Un petit détail, certes, mais qui m’a toutefois un peu gêné. A noter également un évident sens du spectaculaire quand Carlos Gomez s’applique à reconstituer la dureté des combats féodaux, à grands renforts de gore et de violence non contenue.

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Au final, malgré la prise de quelques libertés, cette série mérite l’attention de tous ceux qui s’intéresseraient à la vie d’Aliénor d’Aquitaine, une existence qui compose une intéressante fenêtre sur l’histoire de France (et de l’Angleterre, les deux royaumes étant indissociables à l’époque) au XIIème siècle. De la construction de l’abbaye de Saint-Denis et du massacre de Vitry à l’assassinat de Thomas Becket et de la lutte ouverte entre Henri II et ses fils, Aliénor, la légende noire couvre de belle manière une période charnière de l’histoire européenne.

4 etoiles

ALIENOR, LA LEGENDE NOIRE

Scénario: Simona Mogavino et Arnaud Delalande

Dessin: Carlos Gomez

Couleur: José Luis Rio

Paru aux éditions Delcourt (2013-2017)

nombre de tomes: 6