Je le dis tout de go, je n’aime pas le style de Rückstühl (un homme charmant au demeurant, que j’ai eu souvent l’occasion de saluer sur les salons). Rien à avoir avec le talent de l’artiste, c’est tout simplement que je n’adhère pas à son coup de crayon, comme je n’appréciais guère celui d’Hugo Pratt, dont il se rapproche. Pourtant, j’ai investi dans Gallochju, bandit d’honneur. Mon achat a bien entendu été motivé par un certain chauvinisme, mais aussi par ma confiance (jamais trahie) en Bertocchini, le scénariste et surtout, pour l’amour que je porte à cette histoire semi-légendaire.
Oui, « semi »-légendaire, car Giuseppe Antonmarchi, alias Galluchju (petit coq en langue corse) a réellement existé. Au début du XIXe siècle, il fut pendant plusieurs années « le seigneur du maquis ». On lui attribue moult exploits. La postérité le présente comme le symbole du bandit d’honneur et, bien entendu, à brodé la réalité pour façonner une icône encore plus impressionnante, mélange de Mandrin et de Robin des Bois. En 1811, Gallochju devient un meurtrier par dépit amoureux mais aussi (surtout?) par l’humiliation qu’il a subi. Dans le maquis, condamné à mort 27 fois par contumace, il se construit une réputation, mettant en échec toutes les forces de police, avant de disparaître. Il est dit que fuyant la justice, Gallochju a servi comme mercenaire en Sicile et en Grèce, avant de revenir dans l’île quelques années plus tard, apparemment enrichi. Le 18 novembre 1831, il victime de la vendetta dans son village d’Ampriani, tué à coups de haches ou achevé au fusil (c’est la première version qu’a choisi le scénariste).
Enfant, cette histoire, on me la racontée. Je m’en souviens très bien. Elle avait fait exploser mon imaginaire. A l’époque, l’on m’avait dressé un portait terrifiant de ce bandit d’honneur, semblable à celui dessiné par Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire (un professeur de rhétorique que « l’on dit » inspirateur de Prosper Mérimée) ; un homme dangereux, à l’âme éteinte, un tueur de sang froid, teinté du romantisme lugubre du XIXe siècle. J’aimais déjà les histoires d’horreur. Pourtant, depuis, le profil du bandit corse, le regard porté sur lui par la communauté française, a évolué, a gagné en subtilité. Mais dans les années 60….
Fredericu Bertocchini qui, depuis plusieurs années, s’évertue avec passion et abnégation à faire vivre notre culture dans le petit monde de la bande dessinée hexagonale, réussit une nouvelle fois son pari : pérenniser une légende que nombre de petits Corses ne connaissent même pas (oui, je sais, c’est triste). Le scénario est facile à suivre, ne tente pas d’éclaircir les zones d’ombre pour entretenir le mythe, mais ouvre une fenêtre assez subtile (disons, propre à la réflexion) sur nous-mêmes, le peuple Corse, ces valeurs qui sont autant de boulets qui nous attirent souvent dans l’abîme. J’ai vraiment beaucoup aimé sa pudeur dans le traitement et, en même temps, j’ai regretté cette absence d’émotion (le récit est très formel) qui risque d’éloigner un certain lectorat. Une sensation étrange qui m’a entraîné à relire la BD dans la foulée.
Tant mieux. Au final, je me dis que je n’ai pas perdu au change.
GALLOGHJU, BANDIT D’HONNEUR
Scénario de Fredericu Bertocchini
Dessin de Rücksthül
Couleurs de Pascal Nino
Paru aux éditions DCL (juillet 2017)
58 pages – 14.50€