Cet extrait des Chroniques des temps mérovingiens, choisi par l’éminent Jean Heuclin (Les Mérovingiens, Ellipses 2014), est un texte mettant en lumière le ressenti des contemporains de l’auteur, Frédégaire (à l’existence aujourd’hui contestée) – qui est supposé avoir vécu au VIIème siècle de notre ère. Il est très instructif sur l’orientation de l’historiographie carolingienne, qui chercha, dans un premier temps, à légitimer la prise du pouvoir des maires du Palais de la maison des Pippinides qui ont amené la création de la dynastie carolingienne. Et, par la même occasion, à décrédibiliser les Mérovingiens, qui, dans le fond, à de rares exceptions près, ne méritaient guère leur qualificatif de rois fainéants. Avec Les chroniques des temps mérovingiens, on se situe définitivement dans le panégyrique. Très instructif, mais à prendre donc avec des pincettes…

C.13. Vers le même temps, le duc Eudes s’étant écarté des termes juridiques du pacte conclu (avec le prince Charles), celui-ci en fut informé par des messagers. Il leva une armée, traversa la Loire et mit le duc Eudes en fuite et rentra sur ses terres enlevant au passage un grand butin dans le pays, ravagé pour la seconde fois de l’année par la troupe. Le duc Eudes, se voyant vaincu et humilié fit appel à la nation perfide des Sarrasins pour l’aider contre le prince Charles et le peuple des Francs. Venus avec leur roi, nommé Abdérame, ils passèrent la Garonne, parvinrent à Bordeaux, incendiant les églises et massacrant les habitants, ils avancèrent jusqu’à Poitiers. La basilique de Saint-Hilaire livrée aux flammes – quelle douleur de le dire -, ils se disposaient à détruire celle de Saint-Martin de Tours. Le prince Charles audacieusement leva une armée et en chef de guerre se lança contre eux. Avec l’aide de Dieu, il renversa leurs tentes, se lança en avant et s’occupa d’en faire un grand massacre lors d’un épouvantable combat, tuant leur roi Adbérame et écrasant leur armée.

C.18. C’est alors que le très habile duc Charles lève une armée qu’il dirige en Bourgogne. Il soumet à l’Etat, placé sous son autorité, la ville des Gaules, Lyon, ainsi que les notables d’illustre naissance et le préfet de la province et place ses comtes jusqu’à Marseille et Arles. Il regagne le siège de son principat dans le royaume des Francs avec de nombreux trésors et cadeaux.

C.20. La puissante race des Ismaélites que l’on appelle d’une façon différente Sarrasins, s’étant encore rebellée et ayant traversée le Rhône. Traîtreusement en hommes sans foi, sous couvert d’un appel frauduleux du nommé Mauronte et de ses compagnons, ils parvinrent à rassembler une armée ennemie de ces mêmes sarrasins dans Avignon, ville bien fortifiée, entourée de montagnes, et ravagèrent tout le pays. Le vaillant duc Charles envoya contre eux, avec un grand appareil de guerre, son frère le vir inluster Chilbebrand, avec d’autres ducs et comtes. Promptement arrivés devant la ville et les faubourgs et assiègent cette cité très bien fortifiée. Le duc Charles, arrivant à leur suite, fait le tour des murailles et établit son camp pour attaquer. Comme jadis à Jéricho, au bruit des armes et au son des trompettes, munis de machines et d’échelles de cordes, les hommes escaladent les remparts et les murs des maisons. Ils poursuivent les ennemis, les bousculent et les égorgent, enfin maître de la ville ils y mettent le feu.

Ainsi donc en vainqueur et en guerrier reconnu, l’intrépide Charles traverse le Rhône avec son armée, franchit les frontières des Goths, s’avance en Gaule Narbonnaise, et assiège la célèbre cité, leur métropole. Il fit fortifier en cercle, à,la manière du bélier, les rives de l’Aude et enferma le roi des Sarrasins, nommé Athima (Youssef ibn Abd-ar-Rahman), avec ses alliés, et il fixa là l’emplacement du camp. Ayant appris cela, les princes et les hommes d’illustre naissance des Sarrasins qui, en ce temps là, demeuraient en Espagne, ayant formé une puissante armée coalisée avec un autre roi, nommé Amormacha (Omar ibn-Chaled), marchèrent ensemble avec toutes leurs forces contre Charles, après s’être préparé au combat. Ledit Charles, duc victorieux, s’avança contre eux jusqu’au palais fortifié de Corbière sur les bords de la Berre. Dans l’affrontement mutuel, les Sarrasins bousculés et vaincus, leur roi cerné et tué, ils tournèrent le dos et battus prirent la fuite. Ceux qui voulaient se sauver sur des bateaux, se jetèrent dans la lagune à la nage, et chacun pour soi, ils sautaient les uns sur les autres. Mais les Francs, avec des embarcations et armés de javelots, bondirent sur eux, les tuèrent en les noyant dans les flots. Ainsi les Francs, vainqueurs de leurs ennemis, s’emparèrent d’une grande quantité de butin et de dépouilles et firent une multitude de prisonniers. Avec leur duc vainqueur, ils ravagèrent la région des Goths. On détruisit jusqu’au sol, les murs et les remparts des célèbres villes de Nîmes, Agde, Béziers, et on y mit le feu, puis on ravagea la campagne environnante et les points fortifiés de ce pays.

C.21. Dans le courant de cette même année, Charles manda en Provence son frère Childebrand avec une armée de plusieurs ducs et comtes. Parvenus à la ville d’Avignon, Charles les rejoignit bien vite. Le duc Mauronte ayant pris la fuite pour se réfugier dans les massifs maritimes rocailleux et inaccessibles, il replaça sous son autorité toute la région jusqu’au rivage de la grande mer. Le prince Charles, victorieux, revint après acoir acquis tous ces royaumes, personne ne se révoltant plus contre lui. De retour chez les Francs, il tomba malade à la Verberie, sur les bords de l’Oise.

(traduction de Guizot, Paris, 1823)

Charles Martel est bien connu pour avoir battu les Arabes à la bataille de Poitiers, en l’an 732. Les Sarrasins cités dans le texte sont les Omeyyades (du nom d’un oncle de Mahomet) s’étant installés en Andalousie, après avoir détruit le royaume wisigoth. Si Charles Martel est censé d’avoir arrêté l’invasion, le duc de Toulouse avait accompli le même exploit en 721.

Charles Martel était un maire du palais (major palattii). Sa fonction, inspirée de celle du préfet du Prétoire sous l’empire romain, au début purement exécutive, pris de l’importance au fil du temps pour faire du maire du palais un véritable assistant au pouvoir. Il était d’ailleurs les tuteurs des rois francs quand ceux-ci n’avaient pas atteint l’âge de la majorité (14 ans).  Durant longtemps, les maires du palais de la maison des Pipinnides préférèrent rester dans l’ombre de leur roi tout en détenant le pouvoir effectif mais, en 751, Pépin le Bref (fils de Charles Martel et de Rotrude), enferme le roi Childéric III dans un couvent et monte sur le trône, fondant la dynastie carolingienne, légitimée par l’Eglise.

Charles Martel est né vers l’an 686 et mort le 22 octobre 741. Sous les règnes de Chipéric II et Thierry IV, il rempli la fonction de maire du Palais et dechef des armées franques en 718. Jusqu’à sa mort. Il est le conquérant de la Gaule Narbonnaise et est connu pour avoir arrêté une invasion arabe à Poitiers en octobre 732 (le site de la bataille se situe plutôt entre Tours et Poitiers). Il est le grand-père du célèbre Charlemagne.