Ayant toujours fortement apprécié les interventions publiques et télévisuelles, aussi pertinentes que limpides, du général d’armée Pierre de Villiers, ce n’est pas sans une certaine curiosité que je me suis empressé de lire son livre, simplement intitulé Servir.

Je n’ai pas été déçu. Servir n’est pas, loin de là, l’expression d’une rancœur ou l’objet d’un amer règlement de compte. Bien au contraire ! Profitant de sa nouvelle retraite pour prendre la plume (qu’il manie d’ailleurs aussi élégamment que son illustre frère), Pierre de Villiers, après avoir expliqué les responsabilités et les devoirs du général d’armée, explore plusieurs domaines de compétences militaires – où l’on peut apprécier à la fois son franc-parler et son érudition – pour nous offrir ses commentaires et ses conclusions.

« Sans bonne stratégie, la meilleure des tactiques est sans rendement. Sans supériorité tactique, la meilleure stratégie est défaillante ».

Pierre de Villiers débute son livre par dresser un portrait géostratégique et politique du monde actuel. Un portrait aux traits assez alarmants, avec l’omniprésence de la menace terroriste mais aussi l’agressivité croissante des nouveaux états-puissances. Prenant en considération ce constat très sombre sur la situation actuelle, il effectue une mesure via une méthode qu’il désigne sous le titre de « principe des 7d ». Méthode qui met en équation « les caractéristiques structurantes des engagements actuels et futurs ».  C’est le développement de chacune de ces caractéristiques, en prenant en compte deux données essentielles, les besoins et les moyens, qui donnent matière à l’ouvrage.

« La priorité d’une armée est de protéger la population du pays, là où elle se trouve. Les Français paient beaucoup d’impôts. En échange, ils veulent vivre en paix et en sécurité ».

Pierre de Villiers nous offre le visage d’une armée en état de surchauffe. Il fait plusieurs fois référence au « grand écart » qui sépare les moyens budgétaires et des besoins matériels et humains. Sans dramatiser la situation plus que raison. Il nous présente en effet une armée performante, capable d’adaptation, admirée des autres nations, riche en hommes et en femmes de valeur, doté d’un haut-commandement extrêmement bien organisé. Mais derrière ce rideau se trouve la souffrance, un sentiment de manque de considération, et la fatigue. Voire l’épuisement. Une armée à la limite de la rupture. Pour De Villiers, l’armée française étant de tous les combats, cette fragilisation peut entraîner des failles pouvant être préjudiciables à la sécurité européenne, mais aussi mondiale.

« Toute approche strictement financière et comptable est à bannir dans la situation sécuritaire actuelle, sauf à prendre le risque de se faire rattraper par la réalité. »

Pierre de Villiers nous apprend que l’armée française – terre, marine et air – est en état de veille permanente. Gardienne invisible de notre sécurité, elle surveille notre espace aérien, nos eaux territoriale, notre territoire (opération Sentinelle). Des missions qui ne peuvent s’effectuer que sur le territoire national mais qui nécessite la présence française sur les différents théâtres d’opération, via les OPEX et les unités déployées sur les bases opérationnelles, comme Djibouti. Là encore, Pierre de Villiers, mettant en avant la nécessité de mutation de l’armée pour faire faire à une nouvelle forme de guerre, nous avertit que la France commence à prendre du retard dans le domaine.

« Se limiter aux succès proprement militaires – détruire un camp d’entrainement djihadiste ou arrêter une colonne de picks-up -, ce serait ignorer les racines d’une violence que nourrit le manque d’éducation, de justice, de développement, d’espoir tout simplement. »

Pierre de Villiers regrette que l’armée française ne puisse plus accomplir correctement  une mission qui a fait sa renommée. Noyée dans ses problèmes, en manque de temps et de moyens, elle n’assume plus, ou mal, la phase qui suit la pacification : le développement. Comme il le dit, la paix est à construire avec des charrues, des tracteurs, des briques et des échafaudages, pas seulement avec des sentinelles, des patrouilles, des armes et des minutions. Mais comment aider son prochain quand l’on arrive même plus à entretenir ses hélicoptères ou réparer ses casernes ?

« Tout nous tire vers la tactique et l’action immédiate, au détriment d’une vision stratégique et d’un effet à obtenir dans la durée. »

Pierre de Villiers nous explique que sa démission n’est pas la conséquence d’un renoncement. Ce geste rare, qu’il avoue très douloureux, a causé une énorme onde de choc au sein de l’armée. Mais le but était autre. En démissionnant, Pierre de Villiers s’est fait le porte-voix de ses hommes. Avec l’espoir de causer un électrochoc chez des parlementaires qui se montrent parfois trop politiques et pas assez pragmatiques. Réveillez-vous ! C’est un peu le dernier message du général d’armée Pierre de Villiers.

4 etoiles

SERVIR

Un livre du général d’armée Pierre de Villiers

Edité aux éditions Fayard (décembre 2017)

253 pages – 20.90€