Porté sur les fonts baptismaux par un collège d’érudits dont les membres ne sont pas inconnus des amateurs d’histoire insulaires (Christian Castellani, Pierre Lanfranchi), animé par des historiens spécialisés dans l’histoire de notre île qui ne le sont pas moins, le magazine Storia Corsa est le fruit d’une volonté commune : celle d’offrir au grand public un outil pédagogique lui permettant de découvrir la richesse de la Corse dans les domaines de l’Histoire et du patrimoine.

Ce premier numéro fait preuve d’un éclectisme assumé dont le but est de toucher un lectorat assez large. L’initiative est, de mon point de vue, à la fois, aussi logique qu’élégante, mais elle présente un inconvénient qui ne pourrait être négligé. En effet, si tout chaland un tant soit peu intéressé par l’histoire de la Corse pourra trouver dans ce premier opus un article pouvant satisfaire sa curiosité, une faible pagination (67 pages, heureusement dénuées d’encarts publicitaires), associée à un prix assez élevé (9.90€), peut se poser comme un obstacle à l’achat. Oui, la concurrence est rude et force de faire un tri lorsque l’on se fouille les linéaires des maisons de presse. Par contre, cela ne posera aucun souci à celui qui désirerait arpenter quelques domaines de l’Histoire de la Corse qui lui sont inconnus.

C’est Antoine-Marie Graziani, que l’on ne présente plus, qui ouvre les festivités avec un long article sur la première insurrection contre Gènes, en 1729 – sujet qui fait également le gros titre de la couverture. Si l’historien se montre lucide en préférant le terme insurrection à celui de révolution, il nous démontre, au moyen d’une argumentation aussi efficace que limpide,  que ce premier mouvement de masse contestataire ne peut être résumé en une vulgaire révolte fiscale, et qu’il faut aussi rechercher ses origines dans une volonté d’émancipation et de reconnaissance. Un article intéressant sur un fait historique aujourd’hui un peu occulté par les récits des exploits de Pascal Paoli – prouesses qui, pourtant, n’auraient peut-être jamais eue lieu sans ce fameux (peut-être légendaire) 27 décembre 1729, quand le bon peuple de la pieve du Bozio refusa de payer la taglia. Ce jour-là, un feu fut allumé, qui tourna à l’incendie, et qui brûla durant 40 ans.

Autre article historique d’envergure, celui du capicursinu Michel Vergé-Franceschi, qui a pour sujet Les Corses de Marseille du XVIe au XVIIIe siècle. L’historien consacre la première partie de son texte à une  vue d’ensemble sur les communautés corses (principalement militaires) installées en France et en Italie, avant de se consacrer pleinement à la ville de Marseille, plus grand ‘’ville corse’’ de ces périodes (avec Livourne). Toujours aussi attaché aux détails et aux anecdotes, Michel Vergé-Franceschi nous dresse ici un beau portrait des négociants corses installés à Marseille. On y apprend tout de leurs activités commerciales, de leurs influences politiques et de leurs intrigues diplomatiques (et/ou criminelles). Des activités qui firent de la colonie corse de Marseille des interlocuteurs incontournables quand il s’agissait de définir une politique commerciale ou diplomatique en Méditerranée, même lorsque l’on s’appelait Henri IV.

Alain Venturini nous parle des Giovannali, une secte hérétique dont l’on sait peu de choses, hormis qu’ils étaient établis en Corse durant la deuxième moitié du XIVe siècle, mais aussi au bord du lac de Garde. L’article, rédigé sous forme de rapport d’enquête, est aussi passionnant qu’intriguant. Finalement, on en est sait très peu sur ces religieux qui, selon Alain Venturini, ne seraient pas une dérive du mouvement cathare mais plus un mouvement assez proche des Fraticelles, ces sectes franciscaines qui furent sévèrement réprimées par l’Eglise. Troublant.

Après les Corses de Marseille, les Corses de Madagascar ! Cet article à pour socle la contribution des Corses à l’expansion coloniale française. Nul doute qu’il en amènera d’autres. Mais ici, Christian et Alain Castellani nous parlent de l’installation des colons corses à Madagascar au début du XXe siècle, et de leur séjour jusqu’à l’indépendance de l’île en 1958, à travers l’histoire de Jules Castellani (et de son frère Jocant), arrivé sur l’île en 1913 (il n’était âgé que de 12 ans) et qui, après avoir effectué quelques boulots peu gratifiants, devint planteur, fit fortune dans le commerce du café et devint une influente personnalité politique. Le récit est à la fois divertissant de par son aspect exotique et très instructif de par les précisions apportées sur l’histoire coloniale de Madagascar. On en redemande.

Il  circule sur l’origine de cette fameuse tête de Maure qui orne notre drapeau un tas d’histoire, plus contradictoires les unes que les autres. Dans son article A Testa Mora : de l’emblème héraldique au symbole national, Anna Moretti sépare le bon grain de l’ivraie, sans toutefois nous apporter des réponses définitives sur ce sujet qui divise les historiens. Ce texte est une sorte d’état des lieux sur ce qui est connu et ce qui est supposé. Il repose sur une série de questionnements, qui génère plus une série de réflexions que des affirmations. L’exercice se révèle très intéressant. Une chose est cependant acquise : si les origines de l’usage de la Testa Mora reste floues, elle est aujourd’hui bien plus qu’un emblème nationaliste. Nul parti ne peut se l’approprier. Elle symbolise la Corse dans toute sa richesse historique et sa complexité sociétale.

Plus proche de nous, le chemin de fer. Enfin, quand je dis plus proche de nous, il faut quand même remonter à Charles X et Louis-Philippe pour trouver les premières esquisses d’un projet de chemin de fer pour la Corse. Pierre-Jean Campocasso m’a appris que le projet faillit être définitivement abandonné vers les années 1850, car trop coûteux, puis détruit dans les années 60, car jugé obsolète. Heureusement que cela n’a pas été le cas tant le chemin de fer corse remporte aujourd’hui un succès monstre auprès des touristes. En fait, on (oui, je sais, on est un c..) serait même tenté de dire que, durant longtemps, il a été le seul aménagement intéressant créé par les Français dans l’île, et l’on peut encore admirer aujourd’hui les extraordinaires travaux effectués durant la deuxième moitié du XIXe siècle, comme le monumental viaduc du Vecchio. Cela aurait été dommage, donc, de l’effacer. Aujourd’hui, comme nous le rappelle l’auteur, le train corse se porte bien et, au-delà du touriste, il rend de fiers services à tous les habitants de la périphérie de Bastia et d’Ajaccio, en proposant un moyen de transport de substitution bien pratique.

Alors que le théâtre de Bastia s’apprête à fermer (pour travaux) pour une longue période, Ariane Juquet (conservatrice au musée de Bastia) revient sur l’histoire de l’opéra de Bastia, institution initiée par le comte de Boissieux en 1738 et qui connut, comme nous le raconte l’historienne, des périodes très difficiles, notamment durant le XIXe siècle. Avec sa scène principalement dédiée à comedia del’arte italien, l’opéra de Bastia (ou plutôt à Bastia, car il y avait plusieurs théâtres en ville, dont certains étaient plus fréquentés que le théâtre municipal) faisait dans une originalité qui illustre de belle manière la riche histoire de la cité.

Dans le domaine du septième art, Jean-Luc Messager-Alfonsi nous parle d’un sujet que les arpenteurs de salles obscures de moins de 30 ans ne peuvent pas connaitre, à savoir les adaptations de Les frères Corses, le célèbre roman d’Alexandre Dumas père. Car, en effet, hormis un film d’animation sorti en 1989, il faut remonter à 1985 pour trouver trace d’une adaptation digne de ce nom (en encore il s’agit d’un téléfilm – avec Géraldine Chaplin et Donald Pleasence, tout de même). Les frères Corses, si vous n’avez pas encore lu ce livre, raconte l’histoire de deux siamois séparés à la naissance et plongés dans une histoire de vendetta. Jean-Luc Messager-Alfonsi revient sur les différentes adaptations traitées à l’écran, dont certaines furent des très grosses productions (aujourd’hui, on dirait blockbuster).

On n’est jamais mieux servi que par soi-même, ce dicton semble être l’adage Sylvain Gregori, directeur du musée de Bastia, puisqu’il nous présente ici quelques objets de la collection du musée, à savoir les coffres des marins cap corsins. Cela devrait intéresser Michel Vergé-Franceschi, tiens… Bon, pour redevenir sérieux, ce court article est très intéressant, notamment par le descriptif d’ornements des coffres, qui témoignent des sensibilités de l’époque (comme cette croix de Malte sur un coffre du XVIIIe siècle – à ce sujet, je vous encourage à enquêter sur les échanges entre la Corse révolutionnaire et l’ordre de Malte durant cette période).

Enfin, je finirai par un domaine qui m’est totalement étranger (je sais, c’est mal), l’art décoratif et le mobilier. Avec un article purement photographique sur ‘’le mobilier corse au temps des Bonaparte’’. Si vous êtes amateur d’art ou antiquaire…

Au final, ce premier numéro est une réussite. Des articles intéressants, des spécialistes de renom (bon, je suis mauvais juge car faisant partie du ‘’fanclub’’ d’Antoine-Marie Graziani). Seul bémol, à mon avis, passé l’effet d’annonce (j’ai eu un mal fou à me procurer un exemplaire et pourtant, je suis dans le milieu), j’ai peur que si la pagination n’augmente pas (ou si le prix ne baisse pas, mais bon, il ne faut pas rêver), ce magazine n’attirera qu’un public averti. Et sera-t-il suffisant pour assurer une pérennité ?

Longue vie à Storia Corsa !