Le 02 août 1830, suite à un mois d’agitation parisienne, Charles X abdiquait sans gloire. Sans lutte. Comme Louis XVI (et comme, 18 ans plus tard, son cousin Louis-Philippe), il ne voulut se résoudre à faire donner la troupe contre la rue. Comme son frère aîné, il fit preuve d’un fatalisme et d’une résignation que la postérité transmuta, via le creuset alimenté par les hussards noirs de la République, en une faiblesse coupable, un manque de caractère, de ténacité, de fierté et de sens de l’honneur. Un feu d’’artifices qui était présenté comme l’illustration de la dégénérescence d’une dynastie. Cependant, si force est d’admettre que le dernier Bourbon n’était pas exempt de défauts, on sait aujourd’hui que le portrait dressé par les historiens de la fin du XIXe et du début du XXe siècle n’est pas très honnête. Et que, de plus, il ne faut pas introduire au sein des mêmes schémas 1789 et 1830. Le contexte et les enjeux étaient en effet totalement différents.
En fait, la Restauration est, dans l’Histoire de France, une période de relative prospérité et de progrès, à la fois sociétaux, industriels, économiques et culturels. Durant les règnes de Louis XVIII et de Charles X, la France a vu la guerre s’éloigner de ses frontières, à rassis son autorité sur le théâtre européen (notamment grâce à l’affaire de succession d’Espagne), a réhabilité son image de grande puissance en débarrassant la Méditerranée de ses pirates barbaresques (succès accompagné de la conquête de l’Algérie). Sous Louis XVIII, qui a veillé à faire appliquer au mieux la Charte de 1814, les gouvernements successifs ont réussi à composer avec un paysage politique aussi complexe que bigarré ; performance difficile, en effet, qu’était de satisfaire à la fois les Républicains, les Modérés, les Royalistes et la jeune noblesse d’Empire. Charles X dut assurer la même charge. Pourquoi échoua-t-il ? Qui étaient ces gens sur les barricades ?
Jeune écolier, puis collégien, on me présenta le règne de Charles X et la révolution de Juillet comme une insurrection populaire contre un régime tyrannique qui affamait et exploitait son peuple. L’Histoire, dit-on, est écrite par les vainqueurs. Heureusement, aujourd’hui, les temps ont changé et la science réussit, à force d’insistance, à prendre le dessus sur la désinformation et l’interprétation orientée. Charles X, c’est certain, ne fut pas un grand roi. En d’autres temps, il aurait été un monarque quelconque. Mais dans cette première moitié du XIXe siècle, il fut un roi myope dans un univers politique en pleine mutation. Il ne vit pas l’émergence et la montée en puissance d’une nouvelle haute bourgeoisie industrielle et financière, dont les membres étaient souvent issus d’une noblesse d’empire qui se considérait injustement mise à l’écart. Il ne vit surtout pas leur ambition ultime ; accéder au pouvoir par tous les moyens. La presse fut une des armes utilisées par l’opposition. II suffit de consulter les dessins satiriques et les caricatures parus dans les journaux de l’époque pour s’en convaincre. Il était Charles X le naïf, un roi perdu dans un siècle qui n’était pas le sien, un roi ‘’hors-sol’’ qui croyait encore à l’amour du peuple envers son souverain et à la monarchie d’Ancien Régime. Son affection pour la noblesse de robe en fit un anachronisme. Son entêtement passéiste le fit passer pour un idiot.
Charles X fut la victime d’une révolution orchestrée par la haute-bourgeoise philippiste et exécutée par des Républicains qui se révélèrent finalement aussi naïfs que le roi et qui passèrent pour les dindons de la farce. Charles X, méprisé ou détesté par les libéraux (comme La Fayette, son ‘’meilleur’’ ennemi), les Républicains et les progressistes (francs-maçons et charbonniers) fut même laché par nombre de Légitimistes qui pensait trouver en Louis- Philippe 1er, roi des Français, un nouveau protecteur de la mouvance monarchique. Au final, Louis-Philippe, ami de la Finance, les berna tous. Durant un temps.
Jean-Paul Clément fait partie de ces historiens ‘’justiciers’’ qui corrigent les injustices de la postérité. Ici, avec le concours de Daniel de Montplaisir, il revient sur l’histoire du troisième fils survivant de Louis de France, mettant à bas tous les préjugés et les idées reçues pour nous offrir un portrait riche mais sans concession. Au moyen d’une plume agréable, il nous conte l’histoire d’un enfant de Versailles turbulent, peu attaché aux études, souvent irrévérencieux mais doté d’un charme certain qui lui valait tous les pardons. On découvre ensuite la jeunesse agitée d’un comte d’Artois frivole, libertin, plein d’élégance et impétueux, et doté d’une confiance absolu en sa personne. Celle d’un prince insouciant qui n’était pas, en principe, appelé à régner. Cet enthousiasme, cette joie de vivre, furent noyés par les vagues sanglantes de la Révolution, la tristesse de l’exil et la douleur du deuil (la perte d’une épouse adorée, d’un fils chéri), une série de malheur qui transformèrent un homme plein de vie en un roi mélancolique et pieu, et dont la vie s’acheva de nouveau dans l’exil.
Le portrait intime de Charles X dressé par Jean-Paul Clément nous montre un homme très attaché à sa famille. Il adorait son petit-fils, le duc de Bordeaux (le futur comte de Chambord). On y découvre la nature des rapports qu’il entretenait avec son frère aîné Louis XVIII (qui oscilla, au fil des années, entre détestation et amour, mais toujours avec un grand respect). L’assassinat de son fils, le duc de Berry, par le bonapartiste Pierre Louvel (1820) l’a profondément affecté, tout comme le décès de son épouse, Marie-Thérèse de Savoie (en 1805), qu’il aimait sincèrement malgré la tenue d’une certaine distance. On y voit également un homme très fidèle en amitié, attaché aux traditions, à l’étiquette et aux principes de société, mais parfois trop naïf, et accordant trop sa confiance à un entourage qui ne le méritait pas toujours.
Un très beau livre.
CHARLES X, LE DERNIER BOURBON
Un livre de Jean-Paul Clément, avec le concours de Daniel de Montplaisir
Paru aux editions Perrin (septembre 2015)
565 pages – 26€