‘’Le président Marchandeau était une personnalité importante de la République. Président de la Chambre des députés depuis cinq ans, il détenait un poste clé. Il avait la réputation – on était en mars 1958 – de vouloir briguer la succession de René Coty, le président de la République, dont le mandat expirait dans moins d’un an. Ses états de service républicains étaient en effet incontestables : socialiste, résistant, commissaire de la République à Alger, il appartenait à cette génération des Mendès France, des Mitterrand, des Guy Mollet, dont il partageait les convictions de gauche et les ambitions.’’
Alors que la cinquième République connait ses premières heures d’existence, une affaire de mœurs pédophiles éclate au grand jour et entraine un scandale impliquant des grandes personnalités de l’époque. Actifs durant les dernières années de la quatrième République, sous la présidence de René Coty, les Ballets Roses consistaient en un réseau de prostitution pédophile qui organisait des parties fines dans des lieux privés afin de satisfaire les pulsions lubriques de quelques membres de la haute société parisienne. A la lecture du dossier, il est aisé de faire le rapprochement avec des avènements plus récents. Ainsi, le Strauss-Kahn de cette fin des années 50 se nommait André Le Troquer. En 58, il était le président de l’Assemblée. Le rôle de Dodo la Saumure était tenu par un binôme haut en couleurs : Elisabeth Pinajeff, une fausse comtesse roumaine et artiste-peintre à la cuisse légère (elle organisait la chorégraphie de ces ‘’ballets’’ coquins) et Pierre Sorlut, un ancien de la DST (il jouait le rôle du rabatteur). Enfin, en lieu et place du Carlton de Lille, un pavillon de chasse de la région parisienne.
Avec La vérité sur la comtesse Berdaiev, l’académicien Jean-Marie Rouart redonne vie à cette affaire des Ballets roses. Le récit, cependant, ne se contente pas de nous raconter une version romancée de ce fait d’actualité qui a pourri les dernières années d’une République fragilisée par l’humiliation de Diên Biên Phu et les ‘’incidents’’ d’Algérie. Par le choix des personnages, il élargit l’impact du récit. En remplaçant la fausse comtesse roumaine par la jeune et belle comtesse Berdaiev, une princesse russe, il nous entraîne dans le microcosme mondain de la noblesse russe exilée, les ultimes vestiges anachroniques, amers et hautains, d’un empire déchu. Jean-Marie Rouart nous invite également à visiter l’arrière-cour de la politique française. Poussant le rideau de respectabilité, de patriotisme et de conviction, le lecteur découvre une immense et pestilentielle décharge d’intimidation, de pots de vin, de privilèges privés et de vices cachés. Et une horrible misère morale. Pas grand-chose à sauver. Le tableau est peu reluisant, déprimant.
Mais ce roman n’est pas la sinistre et ennuyeuse peinture d’un univers interlope où se côtoient et frayent escrocs, proxénètes, porte-flingues et polissons fortunés. Au contraire, la lecture se montre même assez divertissante. Mené avec un phrasé gras, et même parfois vulgaire, qui colle parfaitement à l’esprit du récit, La vérité sur la comtesse Berdaiev est également un efficace récit dramatique, aux personnages marquants ( à défaut d’attachants) comme l’impressionnant président Marchandeau, qui remplace ici André Le Toquer (il n’agit d’un personnage de fiction à ne pas confondre avec Paul Marchandeau, ministre sous la troisième République), évoluant au sein d’une intrigue de polar qui sent bon les films noirs des années 50. On se prend même à sourire. Parfois.
A noter que l’on y parle un peu de la Corse, Jean-Marie Rouart, vieil ami de Jean d’Ormesson, restant fortement attaché à notre île.
LA VÉRITÉ SUR LA COMTESSE BERDAIEV
Un romain de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française
Paru aux éditions Gallimard (1er mars 2018)
208 pages – 17,50€
Disponible également en pdf et ebook