Les destins de l’Inde et de l’Amérique du Nord se sont croisés en 1748 à la paix d’Aix-la-Chapelle. Tandis que les Britanniques acceptaient de restituer Louisbourg, qu’’ils avaient pris en 1745, Louis XV consentait à rendre Madras, siège du gouvernement général de la compagnie anglaise des Indes orientales, conquis en 1746 par La Bourdonnais. Comme en Amérique, les hostilités dans la péninsule n’ont pas attendu la déclaration de guerre de 1756 pour éclater. Entamée pendant la guerre de Succession d’Autriche, la rivalité franco-anglaise en Inde est restée très vive au cours des années postérieures au traité d’Aix-la-Chapelle. Et, comme en Amérique, et n’en déplaise aux défenseurs du ‘’doux commerce”’ ces tensions se présentent comme l’issue fatale de deux politiques d’expansion maritime et coloniale en rivalité aiguë.
Si le XVIII° siècle n’est pas une période avare de conflits, au regard de ses conséquences qui dépassent le simple cadre du cessez-le-feu et de l’arrangement diplomatique jusqu’alors d’usage, celui qui implique les nations européennes entre 1756 et 1763 est considéré par les historiens comme étant le plus impactant sur le futur. Politiquement tout d’abord. Sans les considérer comme des déclarations de tabula rasa, les signatures des traités de Paris et de Hubertsbourg, qui annoncent la fin du conflit, sont les marqueurs de l’émergence d’une nouvelle Europe. Celle qui perdurera jusqu’à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand. Ensuite, la guerre de Sept Ans voit également naître, souvent dans la douleur des champs de bataille et des pillages, de nouvelles aspirations, les premiers signes d’une émancipation sociétale, en Amérique et ailleurs. Enfin, ces années de lutte acharnée entraînent les nations à orienter définitivement leurs politiques européennes et coloniales, à revoir leurs systèmes de fiscalisation, à pousser leurs productions industrielles et commerciales, à se moderniser. Et même, pour certains, cela les pousse à affiner leur structure politique. Au fil de la guerre de Sept Ans, les nations européennes accomplissent une véritable mutation, souvent pour assurer leur survie.
D’un côté, parmi les plus puissantes nations, l’Autriche, la France, la Russie, la Suède, l’Espagne. De l’autre, principalement la Grande-Bretagne et la Prusse. Un conflit majeur, qui voit des armées s’étriper sur les champs de bataille de Silésie, de l’Allemagne, de l’Ohio et du Bengale. Cependant, comme l’illustre si bien l’extrait débutant ce billet, le livre d’Edmond Dziembowski se penche plus précisément à nous raconter la lutte acharnée opposant la France et la Grande-Bretagne. Notamment sur le théâtre américain. Il est vrai que la rivalité franco-britannique dans la vallée de l’Ohio est l’un des éléments déclencheurs de cette guerre, avec l’invasion de la Saxe par Frédéric II. Le choix n’est donc pas incongru, d’autant plus que son influence sur le déroulement sur le théâtre européen est plus importante que l’on ne pourrait le penser. Cependant, attention, il serait faux, et donc injuste, de dire que l’auteur néglige totalement les affrontements impliquant Russes, Impériaux et Prussiens. C’est juste qu’il met un accent plus poussé sur les agissements des Français et des Britanniques, en nous détaillant les opérations menées sur le sous-continent nord-américain mais aussi en nous invitant à pénétrer dans les salons diplomatiques de Whitehall et de Versailles. William Pitt, Newcastle, l’abbé Bernis, Choiseul, autant de personnages hauts en couleurs qui ont marqué notre histoire…
À travers cet ouvrage de plus de 800 pages, Edmond Dziembowski nous invite à découvrir les circonstances qui ont amené la signature du traité de Versailles et le renversement d’alliances. Il nous éclaire sur le fait que si Louis XV a ‘’laissé tomber” la Nouvelle-France, c’était qu’il n’avait pas vraiment le choix, embourbé dans une guerre européenne qu’il ne pouvait négliger. On y apprend les détails du projet avorté de débarquement français en Angleterre, mais aussi le fiasco de l’expédition britannique sur Rochefort. On y suit les désaccords de Vaudreuil et Montcalm, l’héroïsme du chevalier de Lévis, les sauvageries des Indiens des Lacs et de la vallée de l’Ohio, les exploits de la Royal Navy, les carences du commandement français et les malheurs de son armée de 150 000 hommes, errant en guenilles sur les chemins d’Allemagne.
Enfin, même si cela est plus brièvement, l’auteur nous entraîne également en Prusse, en Saxe et en Silésie. Des batailles qui tournent en boucheries (les 24 700 morts prussiens, sur un effectif de 48 500 soldats, de la bataille de Torgau), l’occupation cruelle de la Saxe, le sac de Berlin… Autant d’évènements qui nous rappellent que la guerre en dentelle n’est qu’un mythe sorti de l’imaginaire jacobin. A côté de ces actes marquants les esprits, les personnages ne sont pas en reste avec les envies de suicides (très passagères) et la témérité de Frédéric le Grand, les hésitations du maréchal Daun, qui, tel Hannibal devant Rome, hésite et perd l’initiative, et la tiédeur d’une l’impératrice de Russie qui n’a confiance en personne.
Bref, un récit passionnant, au scénario digne des meilleurs romans. Déjà un classique.
LA GUERRE DE SEPT ANS
Un livre d’Edmond Dziembowski
Paru aux éditions Tempus (1er mars 2018)
834 pages
12€