Le sort des milliers de soldats qui, de gré ou de force, ont rejoint les armées de Louis XIV s’est peu à peu affirmé comme un véritable problème politique et social. La rareté des perspectives de promotion, les fatigues de la guerre et l’indignité attachée à la condition de soldats auraient dû détourner de la vocation militaire. Pourtant, malgré la création de la milice et de l’obligation militaire, la monarchie ne cessa jamais de solliciter l’élan volontaire des jeunes gens. Quelle était donc la nature du contrat social qui liait la monarchie et ceux qui acceptaient de la servir au péril de leur vie ? L’honneur, qui donnait un sens au parcours parfois chaotique des officiers, pouvait-il motiver l’engagement et la persévérance des soldats ? (Hervé Drévillon, Troisième partie, Raison militaire, raisons d’état 1660-1789).
Ce premier tome de l’Histoire militaire de la France se présente sous la forme d’un solide pavé de près de mille pages, fort d’un texte dense à la police compacte (en d’autres mots, vous n’allez pas terminer sa lecture en deux jours). Il est l’aboutissement d’une ambition : celle de couvrir une longue période de l’histoire de France, allant des Mérovingiens au Second Empire. Conséquence directe de l’ampleur de cette tâche : l’ouvrage se voit divisé en six parties distinctes, chacune d’entre elle ayant identifié ses limites dans des « épisodes charnières » de différentes natures (religieuses, politiques, sociétales, etc.). Cinq historiens très estimés se sont attelés à la tache; Xavier Delary (Du royaume des Francs au royaume de France) ; Benjamin Duruelle (Le temps des expériences 1450-1650) ; Hervé Drévillon (Raison militaire, raisons d’état 1660-1789 et Une révolution militaire 1789-1795) ; Bernard Gainot (Honneurs et malheurs, héritages et mutations de l’armée « napoléonienne » 1795- 1815) et Annie Crépin (Défendre la France aux commencements de l’ère contemporaine 1815-1870). Usant, pour les uns, d’interrogations comme éléments de réflexion, pour les autres, d’éléments factuels marquant l’esprit du temps, ces historiens nous offrent, à travers de solides argumentaires reposant sur leurs recherches documentaires et leurs expertises, de beaux et intéressants exposés.
Au-delà de la grande érudition de ces experts, qui ne peut être mise en question, L’Histoire militaire de la France vaut aussi par le concept et le choix de traitement. Amateurs de chiffres, accroc aux frises chronologiques, il me faut vous prévenir : ceux d’entre vous qui espèrent trouver dans ce livre un récapitulatif des conflits livrés par la France, avec force détails sur les opérations, les campagnes et les batailles, seront déçus. Non, ici, l’on n’a pas affaire à une formelle succession de dates accompagnée de cartes d’état-major, de revus d’effectifs et de détails stratégiques et tactiques. Ces données y figurent bien, mais de manière mesurée, uniquement quand elles sont utiles à l’argumentaire. En fait, s’il me fallait cataloguer cet ouvrage, je dirai que l’Histoire militaire de la France se situe à mi- chemin entre l’œuvre monumentale d’Hervé Corvisier (les auteurs y font d’ailleurs régulièrement référence) et la non moins indispensable Histoire de la guerre, de John Keegan. Et comme le travail de synthétisation est admirable, on se trouve à lire un ouvrage enrichissant et captivant. Sous la direction d’Hervé Drévillon et Olivier Wievorka, les historiens impliqués dans ce projet sont parvenus sans effort à mettre en lumière la nature indéfectible de la corrélation (voire de l’interdépendance) entre l’élément militaire et des éléments sociétaux, philosophiques et scientifiques. Au fil des pages, le lecteur découvre, ou se rappelle, combien la gente militaire, avec ses us et ses codes, porte en elle toutes les spécificités de la société de son époque, et se pose ainsi en témoin, mais aussi, souvent, elle est le facteur déclencheur d’une mutation, d’un changement sociétal ou politique.
Une œuvre indispensable pour tous ceux qui cherchent à approfondir leurs connaissances sur la nature des relations établies, faites d’influences réciproques, entre l’élément militaire et les autres composantes de la société.
Ma note : 5/5
Histoire militaire de la France. 1. Des mérovingiens au Second Empire (Perrin/ Ministère des armées /2018)
Sous la direction d’Hervé Drévillon et Olivier Wieviorka
Direction éditoriale de Nicolas Gras-Payen
Paru aux éditions Perrin (aout 2018)
864 pages — 27€