Depuis le début du XVIIIème siècle, les Britanniques bénéficiaient d’un atout non négligeable dans le cadre de leurs échanges commerciaux avec la Chine : leur monopole sur la production d’opium, produit dans leurs colonies des Indes. Cette drogue devint rapidement très prisée des Chinois, pour intégrer littéralement leur style de vie. Cependant, à la fin du XVIIIème siècle, la consommation d’opium atteignait un tel niveau qu’elle en arriva à gêner le fonctionnement du pays et alarmer les célestes résidents de la cité impériale.

En 1839, après des années d’atermoiement entre les rois mandchoues de la dynastie Qing, qui souhaitaient freiner l’importation d’opium dans le pays, les plénipotentiaires britanniques, sûrs de leur bon droit, et les commerçants chinois, aussi versatiles que fuyants, l’empereur Daoguang entreprit de multiplier les mesures légales, et radicales, contre le trafic d’opium. La réaction des Britanniques fut aussi immédiate que violente. Elle débuta par l’occupation de Hong Kong par la flotte de la reine Victoria. Puis, via des actions militaires et des victoires écrasantes qui marquaient la supériorité des armées et des marines occidentales et la faiblesse de l’empire Qing, la Grande-Bretagne imposa à la Chine son commerce de l’opium. L’empire chinois, humilié, ne s’en remit jamais.

Une fois que les Qing se furent trouvés à portée de tir devant ces troupes réduites, un feu nourri éclata du côté des soldats flanqués à gauche et à droite. Après quelques instants de confusion totale (../..), ils regardèrent autour d’eux, interdits et pétrifiés de stupéfaction puis tentèrent de s’enfuir, trébuchant sur les morts et les blessés. Beaucoup voulurent fuir par le fleuve à contre-courant, mais les coups de feu ne leur laissèrent aucune chance. Bientôt, l’eau prit une teinte écarlate. 1500 soldats Qing périrent, d’après une estimation ; seize Britanniques tout au plus furent tués, et quelques-uns blessés.

La guerre de l’opium est un ouvrage important. En effet, le travail rendu dans ce livre par Julia Lovell est bien plus qu’un simple récapitulatif des événements qui ont marqué, entre 1939 et 1842, la première guerre de l’opium. En remontant aux origines du conflit, l’historienne nous éclaire sur les circonstances qui ont fait du peuple chinois un vaste réservoir de consommateurs de cette drogue débilitante, avant de nous offrir un superbe exposé sur l’histoire de la Chine, jusqu’en 1949. A cette occasion, Julia Lovell nous décrypte  un équation  complexe définissant les rapports que les Chinois ont continué à entretenir avec cette drogue et les conséquences politiques, idéologiques et sociales des humiliantes capitulations de  1842, 1860 (fin de la deuxième guerre de l’opium) et  1990 (guerre des boxers), sans oublier l’invasion japonaise – l’ennemi intime. Des éclaircissements qui permettent de mieux appréhender l’importance du rôle qu’occupa la guerre de l’opium dans la propagande anti-impérialiste dirigée par les parties nationaliste et révolutionnaire.

L’histoire de la Chine est l’histoire de la souffrance du peuple chinois, puis de sa résistance face à l’agression impérialiste occidentale, qui commença par une guerre de l’opium aussi éhontée que dégoûtante, un complot fomenté pour réduire notre peuple en esclavage, voler nos richesses et transformer une grande nation  depuis des milliers d’années en semi-colonie semi-féodale (Extrait de Humiliation et résistance, 1990 – université de Pekin).

Enfin, Julia Lovell, dans une longue conclusion, nous parle aussi de l’influence de la guerre de l’opium sur la Chine d’aujourd’hui, celle d’après 1989. Elle nous démontre que le PCC, après le massacre de Tienanmen, a utilisé l’essence de cet ancien conflit pour créer un nouvel élan patriotique, afin de compenser une idéologie politique en déliquescence. A travers ces pages, on comprend que le gouvernement n’y est parvenu que partiellement, la guerre de l’opium et ses humiliations (avec notamment le sac du palais d’été en 1860) ayant imprimé dans l’esprit collectif chinois une soif de revanche mais aussi une indélébile haine de soi.

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LA GUERRE DE L’OPIUM

Un livre de Julia Lovell

Paru aux éditions Buchet/Chastel (mars 2017)

575 pages – 27€