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Quel joli film que Les lignes de Wellington ! Attiré tout d’abord par un thème que je jugeais apte à combler mes goûts pour l’histoire militaire – à savoir un drame historique se déroulant durant la Guerre d’Espagne – j’ai finalement découvert dans ce métrage réalisé en 2012 par Valeria Sarmiento (sur une idée de son ex-compagnon, le grand cinéaste Raoul Ruiz, décédé en 2011) une magnifique fresque évoquant des grands classiques du cinéma comme Docteur Jivago ou Guerre et Paix. Ce comparatif flatteur pourrait sembler excessif, je le conçois, mais force est de dire que j’ai vraiment été sous le charme de ce spectacle plein de poésie et riche en superbes tableaux. Usant d’un classicisme classieux mettant en évidence la majesté des paysages portugais, la réalisatrice nous invite à suivre les existences, faites de rencontres, de drames mais aussi de quelques joies, d’une galerie de personnages plongés dans les tourments de la guerre. Des individualités aux origines sociales et culturelles totalement différentes, voire opposés, qui, tous fuyant l’envahisseur français, vont se retrouver à suivre des routes convergeant vers un même lieu : les collines de Torres Vedras…. Les lignes de Wellington.

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Le 27 décembre 1810, le duc de Welllington, à la tête d’une petite armée anglo-portugaise, bat les Français du maréchal Masséna à Buçaco. Bien que victorieux, le général-en-chef des armes alliées au Portugal réalise que cet action d’éclat ne peut réussir à arrêter les armées de Napoléon. Il décide alors de retraiter vers les collines de Torres Vedras où, depuis plus d’un an, en secret, il a engagé la construction d’une série d’aménagements défensifs. Pour les travaux de terrassement et d’élévation, il a embauché une partie de la population de la péninsule – le paysan portugais s’improvise alors bâtisseur. Stratège habile, Wellington accompagne cette retraite vers Torres Vedras par une politique d’évacuation des populations et de terre brûlée, une décision qui ajoute au train habituel des armées (cantine, prostituées et religieux) des colonnes de réfugiés. Valeria Sarmiento puise au cœur de cette foule bigarrée, au-delà du front, pour faire de son récit un éventail de trames secondaires aux douces fragrances feuilletonesques. C’est si agréablement efficace que j’en oublie que cela manque de scènes de batailles. En effet, il est difficile de ne pas être sensible à la romance entre la jeune veuve britannique et son gentil soldat portugais ou par la quête du camelot qui est à la recherche de sa femme soi-disant disparue. Tendresse et émotion sont également au programme quand une vieille dame solitaire recueille et cache un lieutenant blessé et dans les actes de Martirio, la fille à soldat. Il est également impossible de ne pas sourire lors des passages mettant en scène les friponneries d’une jeune aristocrate anglaise très attirée par les officiers. Un panel d’émotions, distribuées avec subtilité.

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Bref, prostituées, fous de dieux, pillards, traîtres ou héros (suivant les points de vue), personnages historiques ou simples religieuses, tour à tour acteurs principaux et secondaires de l’intrigue, sont les composantes d’un panorama aventureux crédible et humainement touchant, aux superbes costumes, appuyée par une mise en scène sage et académique. Un voyage dans l’histoire du Portugal qui a d’autant plus de valeur qu’il nous offre un regard sur une période très importante, le pays ressortant de cette guerre meurtri mais transformé en profondeur, dans les mentalités et dans ses structures sociales. L’état d’esprit des Portugais du début du XIX° siècle, très imprégné de religion, nous est dessiné à travers quelques portraits aux traits parfois douloureux. Valeria Sarmiento se montre d’ailleurs particulièrement précise quand il s’agit d’exprimer les ressentiments des locaux envers les envahisseurs français (ramassis d’hérétiques, de jacobins et de cochons francs-maçons) mais aussi envers leurs « alliés » britanniques, riches en soudards friands de pillages et de viols.

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Si le scénario ne laisse que peu de place aux personnages historiques, il fait une exception notable avec le personnage titre, à savoir le duc de Wellington, interprété par un John Malkovich inspiré (on peut remarquer que l’acteur sexagénaire est un peu vieux pour le rôle, Wellington ayant à peine dépassé la quarantaine en 1810). Valeria Sarmiento en dresse un portrait au final peu légitime mais délicieusement haïssable, notamment lors de ses échanges avec le peintre Levêque (Vincent Perez). D’ailleurs, puisque j’en viens à parler de l’interprétation (impeccable dans son ensemble, principalement des comédiens portugais), il me faut aussi signaler la présence d’un casting de niveau international pour assurer les seconds rôles (Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Chiara Mastroianni en hussarde, Michel Piccoli, Mathieu Almaric, Elsa Zylberstein, Malik Zidi). Des stars, parfois utilisées à contre-emploi pour leur plus grand plaisir (et le notre), qui ajoutent au spectacle un indéniable cachet.

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Dans le domaine de l’histoire militaire, le film n’a hélas que peu d’atouts. Heureusement que Les lignes de Wellington présentent d’autres aspect autrement intéressants car ce n’est vraiment pas le registre purement guerrier qui intéressait Valeria Sarmiento quand elle s’est penchée sur cette campagne militaire. L’amateur de reconstitution a juste droit à un léger aperçu du dénouement de la bataille de Buçaco, quelques accrochages entre partisans et soldats français en maraude, ainsi qu’une vue sur la première ligne de Torres Vedras. C’est bien maigre surtout quand, comme moi, on espérait y trouver plus de richesse. Par contre, le contexte est très bien exposé et du point de vue historique. De manière générale, cet épisode de la guerre d’Espagne est vraiment bien défini, ce qui fait que non seulement le spectateur profane n’est pas égaré par la narration mais, de plus, cela l’amène à découvrir une tranche assez peu connue des guerres napoléoniennes.


Ma côte : 4/5

Les lignes de Wellington (France/ Portugal – 2012)
Titre original : Linhas de Wellington
Réalisation : Valeria Sarmiento
Scénario : Carlos Saboga
Musique : Jorge Arriagada
Avec : Nuno Lopes (sergent Francisco Xavier) ; Soraia Chaves (Martίrio) ; Marisa Paredes (Filipa Sanches), John Malkovich (Duc de Wellington) ; Victόria Guerra (Clarissa) ; Jemima West (Maureen) ; Mathieu Almaric (baron Marbot) ; Melvil Poupaud (maréchal Masséna) ; Elsa Zylberstein (Irmã Cordélia) ; Vincent Perez (Lévêque) ; Catherine Deneuve (Severina) ; Isabelle Huppert (Cosima Pia) ; Michel Piccoli (Léopold Scheitzer) ; Chiara Mastroianni (La hussarde) ; Malik Zidi (Octave Ségur) ; Maria João Bastos (Maria de Jesus Almeida).
151 minutes
Disponible en DVD et Blu-Ray aux éditions Alfama Films / France-Culture / Les Inrockuptibles (juillet 2013). Existe également en coffret collector.