A Rome, au soir du 20 août 1662, une rixe entre la milice corse des Etats Pontificaux et des gens de la maison du duc de Créquy, ambassadeur de France, s’achevait sur le décès de plusieurs belligérants et badauds, mais aussi celle du jeune page Berthaud, attaché au service de madame l’ambassadrice. Cet incident aux conséquences dramatiques, puisqu’il engendra un casus belli qui ne put être désamorcé que par l’humiliante soumission du Vatican, l’auteur Marc Piazza nous le raconte à travers son dernier roman ; L’affaire de la Garde Corse du pape.
En 1661, Sanocello Corso, un jeune florentin d’origine corse, doit quitter le foyer familial pour Rome, où il entre comme apprenti dans l’étude de maître Donsimone, un respectable notaire chargé, entre autres taches, des traductions de la correspondance des services diplomatiques du pape Alexandre VII. De cet emplacement privilégié, le jeune homme assiste à la rapide dégradation des relations entre les Etats Pontificaux et le roi Louis XIV, conséquence souhaitée des intrigues d’ambitieux et peu scrupuleux diplomates français, qui se concrétise par une forte animosité entre leurs principaux représentants à Rome, à savoir les domestiques et gardes de monsieur l’ambassadeur de France et les hommes de la milice corse.
Contrairement à l’idée communément répandue aujourd’hui, la milice corse n’effectuait pas auprès du pape le même service que les Gardes Suisses qui, d’ailleurs, existaient déjà en ce milieu du XVIIème siècle (Non, non, les Gardes Suisses n’ont pas été appelé pour remplacer les Corses !). En réalité, il s’agissait d’un régiment étranger d’environ 800 hommes qui servait dans les armées assurant la sécurité des Etats Pontificaux. Durant la période qui nous intéresse, deux cents de ces soldats d’élite étaient en poste à Rome, avec pour mission d’assister les sbires dans le maintien de l’ordre et assurer la sécurité des citoyens. Ils avaient leurs quartiers à la Trinité des Pélerins, non loin du Palazzo Farnese, siège de l’ambassade de France. Un voisinage assez mal vécu par les deux partis car envenimé par les machinations des Français en recherche d’un incident déclencheur de troubles. Une manœuvre qui finit par fonctionner. Un jour, provocations et échauffourées cédèrent la place au feu des arquebuses.
S’il est la consécration d’un admirable travail de synthèse documentaire, le roman de Marc Piazza n’est pas seulement un procès-verbal d’une grave affaire qui amena le licenciement de la milice corse. C’est aussi – et même surtout ! – un enrichissant voyage dans l’Italie de la Contre-Réforme. Marc Piazza nous invite à y suivre les pas de Sanocello Corso, fils d’une famille corse installée à Florence qui, suite à une querelle (on découvre à cette occasion les particularismes du calcio, sport très populaire qui n’a pas grand-chose à voir avec son homonyme actuel), est obligé de trouver refuge dans la cité éternelle. Suivant le héros dans ses promenades dans les rues de Rome, ses poses amicales dans l’auberge du Fico d’India, et ses entretiens complices avec maître Donsimone, le lecteur se voit offrir une belle exposition sur les us et coutumes de l’époque, sur l’écheveau complexe qui compose le paysage politique de l’Europe du Grand Siècle mais aussi sur la place tenue par la diaspora corse au sein de la société romaine – mais aussi, de manière plus générale, italienne. Au final, l’essai est réussi, car si la méthode employée par Marc Piazza apparaît parfois comme un peu artificielle et que les personnages secondaires, simples étoiles filantes, pèchent un peu par un manque de profondeur, il est juste de dire que la mayonnaise fiction-histoire prend plutôt bien et que la lecture, facilitée par une plume accessible et une trame dramatique légère, se révèle aussi instructive que divertissante (l’alchimie fonctionne beaucoup mieux que dans Le siège de Furiani, son précédent roman). Par contre, je regrette que l’auteur (ou même l’éditeur) n’est pas songé à introduire une carte de Rome car, par moment, je me suis un peu égaré dans les rues de cette grande cité.
Si, dans la deuxième partie, Marc Piazza ne laisse pas complètement tomber sa préoccupation première (qui est, comme il le dit en sous-titre, de nous offrir des scènes de la vie des Corses en Italie au XVIIe siècle), il consacre la plus grande partie du récit à nous exposer les détails de l’affaire. Auteur d’une honnêteté remarquable, l’historien-romancier a fait le choix de ne pas y impliquer directement Sanocello Corso. Non seulement le jeune homme n’y joue aucun rôle mais il n’est même pas témoin de l’échange de coups de feu le soir du 20 aout 1662 (il dormait dans sa chambre !). Ce n’est que le lendemain, dans l’étude de maître Donsimone, que le jeune Corse va découvrir, en même temps que le lecteur, qu’un très grave incident a secoué Rome la vieille au soir. Une manière habile de ne pas prendre parti et d’éviter la digression dans une affaire embrouillée par les intrigues et les conspirations et qui, encore aujourd’hui, conserve son lot d’incertitudes. S’en suit une exposition condensée des différentes versions rapportées par les témoins (avec la présence d’extraits de nombreuses lettres et rapports étudiés par l’auteur), qui composent une enquête faussée par les témoignages douteux, les ingérences politiques et les pressions. Si ce choix, qui se traduit par une rédaction plus universitaire que littéraire, peut être décevant pour l’amateur de fulgurances romanesques et épiques, il permet au roman de conserver toute son intégrité pédagogique et suit la démarche logique de Marc Piazza, qui est d’utiliser la fiction pour habiller un exposé qui serait autrement trop scolaire pour toucher un large public.
Après un premier essai concluant où l’auteur nous avait offert un roman ayant comme décor le siège de Furiani (voir chronique ici), Marc Piazza continue à explorer l’âme corse à travers l’Histoire en invitant cette fois son lecteur à Rome, en l’an 1662, lors de l’affaire de la Garde Corse du pape. Bien que l’incident soit connu de la plupart des insulaires, elle a subit les effets pervers du Temps pour s’embellir d’un aspect légendaire, au détriment de son impact historique non négligeable. Marc Piazza remet les choses à leur légitime place. Le mythe en prend un coup, certes, mais l’Histoire en ressort grandie.
Ma note : 4.5/5
L’affaire de la garde corse du pape
Un roman de Marc Piazza
Paru aux éditions Anima Corsa (juin 2015)
Prix : 19,50€
Bonsoir Monsieur Lamberti,
je vous remercie pour votre critique. Je pense que bien des auteurs largement plus côtés que moi seraient bien aise d’en recevoir une semblable. J’ai le plaisir de porter à votre connaissance que les deux tiers du stock imprimé de cet ouvrage se sont écoulés en deux mois d’été. Ce qui nous porte à croire, mon éditeur et moi-même, qu’il correspondait à un besoin. Les psychologues nous apprennent que dans chaque famille il existe des non-dits qui perturbent la vie des gens sur plusieurs générations (suis-je le fils réel de mes parents ou un enfant adopté, le petit fils de mon grand-père ou celui d’un occupant, etc…). Je crois qu’il en va de même pour les nations, comme le prouve par exemple le succès jamais démenti des productions sur l’Occupation. Pour moi, le succès de l’ « Affaire de la garde Corse », dont chacun connaissait chez nous l’existence mais pas la réalité historique, est du même ordre. La Corse du XVII ème siècle bénéficiait traditionnellement pour ses hommes d’un débouché économique à la fois valorisant et économiquement non-négligeable dans les Etats Pontificaux. En une seule soirée, tout a été perdu. Qu’avait-il bien pu se passer ? On sait aussi que toute victime a tendance à culpabiliser : « pourquoi moi ? J’ai bien dû faire quelque chose ? ». Cette culpabilité flottait comme une grande ombre sur notre mémoire collective. (Pour preuve, j’ai moi -même écrit ce livre pour savoir, c’est à dire parce que j’aurais eu envie de le lire. Et j’ai parallèlement reçu des demandes de deux personnes qui m’ont demandé des renseignements sur des ancêtres dont elles avaient ainsi retrouvé la trace). Et voici qu’arrive un livre écrit par un gars sorti de nulle part qui apporte l’explication…
Dans la mesure de mes moyens, je me propose donc de rechercher, pour l’avenir, tous ces non-dits sur lesquels repose l’histoire corse, composante de l’histoire française et européenne. Rendez-vous dans deux ans (au moins !) pour l’année 1958, qui vit le sommet du rapprochement entre la Corse et la France continentale, dans une perspective de défense de l’Empire et de re-fondement de l’Etat, avant une lente dégradation des rapports : si la Corse est un pont en direction de l’Empire, elle devient un cul de sac une fois celui-ci disparu.
En attendant, veuillez agréer Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.
Marc Piazza.